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À dix heures du matin, conformément au planning, il s’attaqua au premier étage. Une autre unité de ménage gisait dans le couloir. Le mur écroulé pourrait expliquer son immobilisme, mais il était plus probable que cette carcasse dispersée sur une distance de trois mètres, dont les membres étaient répartis en quatre sections distinctes, soit la véritable raison. Numéro 4 tenta d’effacer la tache d’huile provoquée par son défunt collègue. La moquette était fichue, en plus d’être déchirée sur toute sa longueur.
Le robot notifia ces problèmes au Système Central, notamment le dysfonctionnement de l’unité de ménage numéro 13, ainsi qu’un éclairage de couloirs vacillant. La réponse devenait prévisible : déjà ouvert et en cours de traitement. Numéro 4 acquiesça et demanda en retour la liste des chambres où il pouvait intervenir en l’absence de leurs occupants.
Chambres éligibles : 101, 103, 104, 105, 108.
Numéro 4 dut cependant contredire le Central au sujet de la 101. Le statut sur la porte affichait : « Ne pas déranger ».
Le régisseur répliqua d’une façon autoritaire :
De : Système Central
À : Unité de ménage numéro 4
Chambre 101 : Pas de présence humaine détectée.
Réservation expirée depuis : 1 jour.
Procédez.
Numéro 4 obtempéra et déverrouilla la pièce.
Le Central avait bien raison : tous les occupants avaient quitté les lieux. Cependant, deux valises au contenu éparpillé sur le tapis mettaient à mal l’interdiction de toucher les effets personnels. Il rusa pour se frayer un chemin à travers ce champ de culottes, chaussettes, slips et chemises, ainsi qu’une adorable peluche de la mascotte de l’hôtel, pour atteindre le lit. Les draps le couvraient encore, et les chocolats de bienvenue reposaient toujours sur les oreillers. Numéro 4 se contenta de réajuster le linge et augmenta la puissance du recyclage d’air pour bien ventiler la pièce. Un bruit de soufflerie remplaça pendant quelques minutes la quiétude de ces merveilles de technologies parfaites par plusieurs siècles de vie dans l’espace. Exiatis-4 possédait des versions haut de gamme extrêmement silencieuses qui diffusaient en prime une douce senteur boisée. Deux ou trois coups de chiffon et un passage d’aspirateur plus tard, la chambre était terminée. Le robot enchaîna tout naturellement avec la suivante.
De : Unité de ménage numéro 4
À : Système Central
Erreur : Chambre 103 manquante.
Numéro 4, pantois, envoya cette étrange notification au régisseur de la station. La porte ouverte donnait sur un trou béant vers le vide spatial, avec des affaires en apesanteur qui bougeaient au gré de leur inertie. Celles-ci rebondissaient sur le champ de force d’urgence. Numéro 4 nota qu’une bonne partie de la structure manquait. Sans se décontenancer, le Système Central acquitta d’une fin de non-recevoir la remontée d’incident en justifiant qu’il le savait déjà. Les chambres 104 et 105 présentèrent la même problématique.
Dans la 108, Numéro 4 ne put accomplir sa besogne dans son intégralité. Le Central lui avait bien confirmé l’absence d’occupants humains, mais le robot tomba face à un couple allongé sur le lit. Il était dépourvu de capteurs médicaux et ne pouvait donc pas estimer si leur peau noire craquelée était normale. Le plafond et le mur droit manquants, transpercés par un trou en forme de cercle aux bords brûlés, légèrement vitrifiés, étaient la cause la plus probable de ce désordre. Les corps entremêlés l’un sur l’autre s’enlaçaient et se touchaient. Numéro 4 ne sut trop comment interpréter cette étrange façon de dormir. Une de ses routines analytiques considéra observer les moulures des défunts d’une Pompéi du vingt-cinquième siècle dans un hôtel spatial de grand luxe. Les draps à moitié carbonisés ne pouvaient être changés sans déranger les deux occupants, et Numéro 4 n’osa pas : son programme le lui interdisait. Le robot s’attela donc à la salle de bains : il déposa des serviettes propres, remplit les réservoirs de produits d’hygiène, et nettoya le lavabo ainsi que la baignoire. Il s’excusa de sa voix synthétique monocorde pour avoir incommodé ces deux résidents dans leurs activités. Avant de quitter la chambre, il abandonna deux chocolats sur la table d’entrée.

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