BioMen

20 minutes de lecture

La pendule du salon sonnait neuf heures, ses aiguilles fluorescentes filant sur un cadran en plexiglas orange translucide. Alice, robe fleurie ceinturée à la taille et tablier immaculé, suivit Loïc jusqu’à la porte d’entrée. Il remit en place sa cravate devant le miroir au cadre chromé, attrapa sa serviette de cuir et se pencha vers elle pour un petit bibi sur la bouche.

— À ce soir, ma chérie.

— À ce soir, mon cœur.

Il s’éloigna à grands pas, son pardessus se déplaçant dans le vent de juin. Alice resta quelques instants sur le seuil, les mains croisées devant elle, observant la silhouette de son mari. La Peugeot 504X démarra au coin de la rue avec un bruit atténué. Le quartier, alors, retrouva son calme habituel, où tout semblait immuable.

Elle allait retourner à ses tâches ménagères quand une silhouette surgit du trottoir d’en face, contrastant brutalement avec la quiétude domestique. Sarah, sa meilleure amie, marchait vite, cigarette aux lèvres, tailleur pantalon gris clair impeccablement ajusté. Ses lunettes noires en goutte d’eau, aux montures métalliques étincelantes, lui donnaient l’air d’une héroïne de magazine prospectif — femme libérée, femme d’affaires, femme de demain.

— Alice ! lança-t-elle en lui déposant deux bises rapides, une odeur de tabac blond et de parfum capiteux dans le sillage. Je passe en coup de vent, j’ai un rendez-vous pour signer des contrats et… visite d’usine dans la foulée. Pas une minute à perdre !

Alice se mordilla la lèvre, un peu déçue.

— Oh… moi qui pensais que tu resterais un peu… On aurait pris le thé, bavardé comme avant.

— Une prochaine fois, promis, fit Sarah avec un sourire éclatant. Mais tiens, si tu veux… viens avec moi !

Alice sursauta.

— Moi ? Mais je ne voudrais pas te gêner…

— Me gêner ? Allons donc. Ça te fera sortir un peu, et crois-moi… la visite va te dérider.

La façon dont elle appuya sur ce mot fit frissonner Alice. Elle fronça les sourcils, intriguée.

— Et… quelle est cette entreprise, au juste ?

Sarah eut un petit sourire mystérieux, ses verres fumés reflétant le ciel bleu électrique et les antennes paraboliques sur les toits.

— BioMen. Tu ne connais pas encore, normal : le produit n’est pas encore sorti. Mais crois-moi, tu ne regretteras pas la visite.

Alice baissa les yeux, triturant machinalement le nœud de son tablier amidonné, comme pour s’ancrer dans son cocon familier. Sarah lui attrapa la main et l’entraîna déjà vers le trottoir.

— Allez viens, ne fais pas ta sainte-nitouche. Ça va être… instructif.

Alice hésita encore une seconde, son cœur battant plus vite qu’elle ne voulait l’admettre. Puis, à demi-rougissante, elle se laissa entraîner, imaginant déjà des halls immenses aux murs vitrés, des machines silencieuses au plastique blanc immaculé et luisant, des slogans en lettres lumineuses promettant « un avenir meilleur pour tous ». Elle avait l’impression de mettre un pied hors du présent — et dans une version radieuse de l’an 2000.

*

L’entrée de l’usine ressemblait à la vitrine d’un futur en marche : façades vitrées polies comme des miroirs, logo rutilant BioMen™ en lettres chromées rétro-éclairées, réceptionnistes en tailleurs pastels rappelant les hôtesses de l’Exposition universelle. Sarah s’avança d’un pas sûr, serrant les mains d’hommes en costume gris perle, d’un commercial à l’autre, comme si elle était ici chez elle.

— Je vous présente mon assistante, Alice, dit-elle d’un ton naturel en poussant Alice vers eux.

Alice rougit jusqu’aux oreilles, tentant un sourire maladroit.

Sarah ricana et lança à la cantonade :

— Ne vous fiez pas aux apparences, messieurs. C’est la devanture sage qui cache le moteur. Sous le capot… je peux vous dire que ça carbure !

Les hommes éclatèrent d’un rire gras aux accents mécaniques, et Alice, encore plus écarlate, tenta de protester, mais Sarah l’entraînait déjà par le coude.

— Et puis, ajouta-t-elle en lui jetant un clin d’œil, pour cette visite, Alice, c’est la cible marketing idéale. Je parie qu’ils vont l’adorer.

Alice sentit son cœur battre plus vite, partagée entre vexation et une étrange curiosité.

Ils entrèrent dans une salle de réunion impeccablement climatisée, décorée de panneaux muraux en plastique coloré et d’éclairages tubulaires aux reflets futuristes. Sur les parois, de grands graphiques polychromes affichaient des courbes ascendantes, des barres comparant « Apports bio-synthétiques » et « Efficacité énergétique ». Une présentatrice en tailleur prune micro-casqué expliquait d’une voix assurée :

— Le produit BioMen™ a été spécialement conçu pour répondre aux besoins des femmes modernes. Vitalité, endurance, éclat de la peau et de la chevelure… nos études cyber-statistiques sont formelles : une consommation régulière accroît bien-être, tonus et satisfaction globale.

Alice se tortilla sur sa chaise. Les phrases semblaient calibrées pour une réclame télévisée, impeccablement huilées, mais quelque chose sonnait étrangement vague. Sarah, elle, prenait des notes comme si tout allait de soi.

Puis, au terme d’une demi-heure de discours, la porte coulissa avec un chuintement discret. Une femme élégante fit son entrée, cheveux argentés laqués en une coupe impeccable, tailleur crème à la ligne géométrique. Elle avait cette prestance glaciale des PDG qu’on écoute sans discuter.

— Mesdames, messieurs, conclut-elle en souriant. Vous en savez assez sur nos chiffres. Il est temps, à présent, de découvrir nos secrets de fabrication. Veuillez me suivre pour la visite de nos installations.

Un murmure d’excitation parcourut l’assistance. Alice sentit Sarah se pencher à son oreille, son souffle chaud glissant contre sa joue :

— Tu vas adorer.

*

Le petit groupe traversa un couloir carrelé immaculé, aux néons blafards encastrés dans des corniches arrondies, puis déboucha sur un vaste hall vitré où flottait une odeur étrange, mélange de désinfectant et d’organique. Alice s’arrêta net : derrière les baies transparentes, des hommes nus circulaient dans des espaces compartimentés aux cloisons translucides. Tous jeunes, athlétiques, mais soigneusement différenciés : blonds nordiques, bruns méditerranéens, silhouettes longilignes ou robustes, torses glabres ou velus — un véritable catalogue vivant.

La PDG leva la main avec un sourire professionnel, presque publicitaire.

— Voici nos unités de production. Chaque “mâle” est sélectionné selon des critères rigoureux : rendement, typologie, constance biologique et caractéristiques organoleptiques. Comme vous le voyez, ils évoluent dans des environnements calibrés, afin de garantir un volume optimal au moment de la collecte.

Des femmes en blouses blanches, charlottes tirées à la perfection, circulaient parmi eux avec des gestes précis. L’une appliquait un gel translucide issu d’un flacon sérigraphié BioMen™, l’étalant soigneusement sur un sexe déjà tendu avant de le stimuler de mouvements mesurés. Une autre caressait les testicules d’un geste circulaire, comme si elle en vérifiait la densité, l’air aussi professionnel qu’une technicienne en contrôle qualité. Plus loin, une collègue notait des chiffres sur une tablette aux reflets nacrés, ses doigts glissant avec l’efficacité d’une comptable.

Un peu à l’écart, une technicienne armait un appareil chromé, semblable à un pistolet médical futuriste. Elle l’approcha de l’arrière-train d’un mâle solidement campé. Un discret bip lumineux s’alluma.

— Capteur thermoréctal, expliqua la PDG d’un ton satisfait. Il permet de contrôler la température interne et la tonicité musculaire, afin de réguler l’excitation. Une innovation brevetée BioMen™.

À quelques mètres, une autre technicienne maniait une console bardée de cadrans à aiguilles et de tuyaux translucides. Elle fixa un embout arrondi et luisant contre le périnée d’un sujet athlétique, puis ajusta un levier. Les manomètres frémirent, une aiguille rouge monta doucement.

— Pression pelvienne stabilisée, nota-t-elle calmement. Rendement optimal atteint.

Alice, moite, suivait ces gestes du coin de l’œil. Tout semblait mené avec le sérieux le plus professionnel, mais l’objet de ces manipulations — ces corps jeunes et nus — lui nouait la gorge et réveillait une chaleur qu’elle tentait en vain de refouler.

Soudain, son regard fut happé par une scène encore plus incongrue. Une technicienne aux cheveux courts, lunettes de protection sur le nez, ajustait un appareil relié à un tuyau flexible terminé par une buse nacrée. Après un bref signal sonore, un liquide clair jaillit en fins jets, irriguant le conduit rectal d’un mâle maintenu immobile. Elle nettoyait l’intérieur avec des gestes assurés, sans un mot. Quelques éclaboussures vinrent heurter sa visière transparente.

— L’hygiène est une étape cruciale, commenta la PDG d’une voix docte. Le produit final étant destiné à la consommation, aucune contamination n’est tolérée. Nos standards dépassent de loin les normes internationales.

Alice détourna les yeux, la gorge serrée. Ses joues en feu, ses cuisses se serraient malgré elle. Elle fit semblant de noter quelque chose dans son carnet, pour masquer l’agitation qui la gagnait.

Sarah se pencha vers elle, un sourire malicieux aux lèvres :

— Alors ? On prend des cours, madame l’assistante ?

Alice rougit violemment, gardant les yeux fixés sur ses notes pour dissimuler son trouble.

La visite continua, chaque compartiment présenté avec le même jargon scientifique, chaque protocole exhibé comme une étape rationnelle et inattaquable. Alice, de plus en plus fébrile, faisait semblant d’écouter les chiffres, les courbes et les protocoles, mais ses pensées s’égaraient, son corps réagissait malgré elle.

Enfin, ils atteignirent le bout du hall. Là, une double porte modeste, encastrée dans une paroi gris métallisé, se détachait par sa discrétion même. Contrairement aux baies vitrées et aux slogans lumineux, elle semblait garder le secret de locaux opaques, insonorisés — un ailleurs interdit.

*

La PDG ouvrit une double porte et le groupe s’engouffra dans un hall gigantesque, baigné d’une lumière blanche impitoyable qui faisait miroiter chaque surface. Une odeur chaude, animale, saturait l’air, dissimulée à peine par les relents de désinfectant. Alice inspira malgré elle, son ventre se contracta.

— Voici notre unité de collecte, annonça la PDG d’une voix posée. À droite, la section artisanale. À gauche, la section industrielle.

Côté artisanal, derrière une cloison vitrée, Alice découvrit une dizaine d’hommes, corps brillants sous les néons, installés sur des sièges de plastique moulé aux formes étranges. Autour d’eux, des techniciennes en blouses blanches — fines, presque transparentes sous la lumière crue — évoluaient avec un professionnalisme troublant.

L’une chevauchait un producteur, le sexe profondément en elle, tout en notant d’une main rapide sur un formulaire plastifié fixé au mur. Plus loin, une autre recueillait à la bouche le liquide d’un second avant de le recracher soigneusement dans une éprouvette graduée, qu’elle scellait aussitôt d’un bouchon coloré et étiquetait avec une rigueur bureaucratique.

Alice observa, interdite, la variété des gestes. Les sexes les plus imposants recevaient une attention lente, presque cérémonielle, comme une dégustation précieuse. Les plus modestes, eux, bénéficiaient d’encouragements insistants : doigts agiles, torsions habiles, pressions ciblées. Une technicienne utilisa ses seins huilés comme écrin, glissant leur galbe entre deux verges dressées en parallèle, alternant son souffle de l’un à l’autre. Deux giclées éclatèrent presque ensemble, qu’elle transvasa ensuite avec sérieux dans deux tubes distincts.

Mais le clou du spectacle se trouvait au centre : une grande brune, blouse entrouverte, s’occupait simultanément de trois mâles. Sa bouche engloutissait le premier, sa main gauche malaxait le deuxième, et le troisième était prisonnier entre ses fesses serrées qu’elle faisait onduler avec précision. Leurs corps se tendaient en rythme, gémissant comme synchronisés. Et pourtant, sa main droite restait parfaitement libre : elle maniait flacons et stylos avec une dextérité insolente. Trois décharges successives éclatèrent presque ensemble : sur sa langue, dans sa paume, entre ses fesses. Sans faillir, elle recracha, transvasa, pressa son bassin pour diriger le flux, et aligna aussitôt les échantillons numérotés. Pas une goutte perdue.

La PDG, implacable :

— C’est notre technicienne cinq étoiles. Elle combine stimulation buccale, manuelle et fessière, tout en gardant une main libre pour garantir la traçabilité. Son rendement est exceptionnel.

Les visiteurs hochèrent la tête, fascinés. Sarah ricana dans son coin, se penchant à l’oreille d’Alice :

— Tu vois ? L’innovation, ça passe aussi par le postérieur.

Alice sentit ses joues s’embraser. Elle griffonna un mot illisible sur son carnet, juste pour masquer la moiteur qui lui collait déjà la jupe aux cuisses.

Côté industriel, l’ambiance était tout autre. Une file d’hommes nus avançait sur un tapis roulant en caoutchouc noir. À chaque arrêt, des techniciennes s’approchaient, fixant sur les sexes de taille presque identique des pompes transparentes reliées à de longs tuyaux colorés. Le bruit mécanique des pompes suceuses rythmait la salle, ponctué de gémissements étouffés.

Parfois, une main gantée pressait précisément sous le périnée, déclenchant aussitôt une décharge abondante. Le sperme remontait en pulsations régulières dans les tubes, rejoignant des cuves en inox étincelantes.

Une fois la pompe retirée, chaque sexe était inspecté avec soin. Une pommade translucide était appliquée en cas d’irritation, tapotée presque maternellement, avant que le tapis ne reparte.

— Ici, expliqua la PDG, nous privilégions le rendement. Collecte rapide, standardisée, mais toujours contrôlée. C’est notre gamme industrielle.

Elle marqua une pause, balayant l’assistance de son regard clair, puis reprit avec l’intonation rodée d’une conférencière de salon de l’innovation :

— Et bien sûr, une telle diversité de procédés nous permet d’offrir une gamme de prix adaptée à toutes les situations. BioMen n’est pas un luxe réservé à une élite, c’est une révolution pensée pour toutes les femmes. De la jeune étudiante soucieuse de rester performante à nos grand-mères désormais dynamiques et actives, chacune peut accéder à la vitalité retrouvée. C’est ce que nous appelons la démocratisation heureuse : un produit pour toutes les bourses, sans jamais compromettre la qualité.

La PDG claqua des doigts. Aussitôt, côté industriel, cinq producteurs parfaitement alignés furent stimulés d’un geste synchronisé. Leurs corps se tendirent d’un même mouvement et, dans une simultanéité impeccable, cinq jaillissements blancs remplirent les pompes transparentes. Les jets pulsèrent en cadence, aspirés aussitôt dans les tuyaux translucides, convergeant vers les cuves en acier poli.

La vision, d’une régularité presque chorégraphique, semblait scellée au discours de la PDG. L’illustration parfaite de la rigueur d’un procédé, la beauté froide d’un rendement parfait, l’incarnation visible de la promesse d’un avenir maîtrisé et accessible à toutes.

*

La porte de l’Espace Dégustation s’ouvrit sur une salle lambrissée, presque cosy, mais dont le centre était occupé par une estrade circulaire, baignée de lumière crue comme celle d’un plateau télé. Trois “producteurs” attendaient, immobiles, corps huilés, sexe au repos ou à demi gonflé, leurs silhouettes sculpturales mises en valeur par des projecteurs orientables.

La PDG s’avança, sourire professionnel aux lèvres :

— Pour nos invités, nous proposons une expérience immersive. La dégustation directe, à la source.

Elle désigna le colosse placé au milieu : un noir massif, torses et épaules huilés, la peau brillante comme du bronze sous les néons. Entre ses cuisses, un membre épais, semi-dressé, pulsait déjà.

— Voici notre Grand Cru Ebony. Un spécimen réputé pour sa puissance et sa richesse aromatique. L’un de nos fleurons.

Le nom heurta légèrement Alice, sans qu’elle sache s’il fallait en rire ou se taire ; elle ravala le malaise — personne n’avait bronché.

Sarah donna un petit coup de coude à Alice.

— C’est le millésime de luxe, ma belle. Tu vas te régaler.

Alice se crispa, mais n’eut pas le temps de protester : Sarah leva la main, d’un aplomb ravageur.

— Alice se propose. Elle est parfaite pour tester l’expérience utilisateur.

Sous le regard amusé des visiteurs, Alice monta les marches, les jambes tremblantes. Le colosse la dépassait de deux têtes, son sexe lourd battant lentement.

La PDG, d’un ton professoral :

— Vous pouvez commencer par une stimulation manuelle. Cela facilitera la suite.

Alice avala sa salive et posa ses doigts sur le membre tiède. Sa main s’enroula autour de l’énorme verge, ses paumes glissant timidement. Elle serra, relâcha, pressa la base comme elle avait vu les techniciennes le faire. Le sexe répondit aussitôt, se redressant sous son geste. Encouragée, elle accéléra, ses doigts souples massant le frein, son autre main roulant doucement les testicules.

Un grognement grave monta de la gorge du producteur.

— Correct, nota la PDG, un sourcil légèrement levé. Une certaine intuition, malgré le manque de formation.

Sarah ricana, s’adressant aux autres visiteurs :

— Vous voyez ? Elle fait la sainte-nitouche, mais dès qu’elle a quelque chose dans les mains, ça roule comme une mécanique huilée.

Alice sentit la chaleur lui monter aux pommettes. Mais elle continua, appliquée, jusqu’à ce que le sexe se dresse à pleine hauteur, dur et imposant. Peut-être que je ne suis pas si nulle… pensa-t-elle fugitivement.

— Bien, reprit la PDG. Passons maintenant à la phase orale.

Alice se figea. Elle se pencha pourtant, les lèvres entrouvertes, et posa timidement sa bouche sur le gland énorme. Trop crispée, elle recula aussitôt. Une secousse violente jaillit : un jet épais éclaboussa sa joue.

— Relâchez, madame, dit la PDG d’un ton sec. Vous avez serré trop fort.

Sarah éclata de rire.

— On dirait une gamine qui découvre sa première glace italienne.

Alice tenta de se ressaisir. Elle reprit, avalant cette fois une bonne moitié, sa langue maladroite contre la base. Mais elle hésita, se figea… et un second jet partit, éclaboussant sa paupière gauche. Elle cligna, la vision brouillée, le cœur affolé.

— Fermez l’œil, ordonna la PDG comme si elle commandait une opération médicale. Les projections oculaires sont irritantes.

Sarah, hilare :

— T’avais qu’à mettre ton mascara waterproof, Alice…

Humiliée, Alice inspira profondément et se lança une troisième fois. Cette fois, elle se rappela la consigne : accompagner de la langue. Elle glissa plus profond, et le membre pulsa violemment. Un flot chaud se déversa au fond de sa gorge. Elle s’étouffa presque, mais réussit à avaler quelques gorgées, les yeux noyés de larmes.

Elle recula, haletante, les lèvres poisseuses, le souffle court. La PDG conclut d’une voix neutre :

— Correct. Pas parfait, mais correct. La pratique permettra d’améliorer la technique.

Alice recula du “Grand Cru Ebony”, essuyant discrètement le coin de sa bouche. Elle n’eut pas le temps de reprendre son souffle que la PDG lui tendit un carnet.

— Vos impressions, madame. Le protocole prévoit un retour sensoriel à chaud.

Alice ouvrit de grands yeux.

— M… mes impressions ?

Sarah gloussa.

— Oui, chérie. Dis-nous : c’était fruité ? corsé ? Un petit goût de terroir, peut-être ?

Les visiteurs étouffèrent des rires. Alice déglutit, tenta de se concentrer.

— Eh bien… c’est… très… comment dire… riche. Oui, riche.

— Riche ? demanda la PDG, impassible.

— Oui… enfin… plutôt… consistant. Un peu… euh… velouté ?

— Velouté, répéta Sarah, pliée de rire. On dirait une pub pour du yaourt !

Alice se mordit la lèvre. Ses mains tremblaient, ses joues en feu. Elle tenta un dernier effort :

— Il y a… un arrière-goût… comment dire… chaud, épicé, presque…

— Musqué ? souffla la PDG.

— Oui ! Musqué ! Voilà… musqué.

Sarah éclata.

— Eh ben, ma belle, si tu commences à trouver des notes de muscade, tu vas finir œnologue avant moi !

Alice baissa la tête, à deux doigts de disparaître sous sa chaise. Mais la PDG nota calmement dans son dossier :

— Riche. Velouté. Musqué. Correct.

Alice baissa la tête, ses mains tremblantes serrées contre sa robe. Elle regagna sa place en titubant, la paupière encore luisante d’une traînée blanche, incapable de soutenir le regard des autres.

*

La dernière pièce ressemblait à un bar à la mode de demain : comptoir chromé, robinets alignés, verres à pied en plastique cristal. Chaque pompe portait une étiquette élégante, sérigraphiée en lettres futuristes :

· Artisanal Millésimé

· Industriel Standard

· Spécial Premium

· Expérimental

La PDG s’installa derrière le comptoir avec l’assurance d’une hôtesse de salon de l’innovation.

— Mesdames, messieurs, voici notre espace de dégustation comparative. Vous allez pouvoir tester différentes gammes, puis remplir un questionnaire sensoriel afin d’affiner notre segmentation marketing.

Des hôtesses distribuèrent de petites tablettes lumineuses. Alice baissa les yeux : une grille interminable de cases à cocher s’afficha.

Notes dominantes : ☐ iodé ☐ noisette ☐ métallique ☐ fruits rouges ☐ boisé

Texture : ☐ crémeux ☐ fluide ☐ pétillant ☐ soyeux

Finale en bouche : ☐ longue ☐ courte ☐ surprenante ☐ persistante

Émotion globale : ☐ nostalgie ☐ énergie ☐ tendresse ☐ puissance

La PDG tira la première pompe et servit un verre laiteux à chaque invité. Puis, son regard s’arrêta sur Alice.

— Madame, dit-elle avec un sourire glacé, vous correspondez parfaitement à notre panel cible. Nous aimerions que vos impressions ouvrent la séance. Elles seront particulièrement précieuses pour nos études.

Alice sursauta. Moi ? Pourquoi moi ? Sarah se pencha, chuchotant avec un rictus :

— Je te l’avais dit, ma belle. Tu es la ménagère de l’an 2000. Leur consommatrice idéale.

Les joues en braise, Alice leva son verre d’une main tremblante.

La PDG annonça :

— Lot n°1 : gamme industrielle.

Alice avala une gorgée. Une chaleur lourde lui descendit dans la gorge. Elle consulta sa tablette, perdue.

— Mais… c’est pas du tout fruits rouges… murmura-t-elle.

Sarah éclata de rire.

— T’inquiète, coche au hasard. Moi j’ai mis “noisette” et “tendresse”.

— Tendresse ?! s’étrangla Alice.

— Ben oui, chérie. Ça glissait tout doux, non ?

Écarlate, Alice cocha “fruits rouges, pétillant, nostalgie”. Sa tablette émit un bip satisfait.

La PDG nota sans lever un sourcil :

— Échantillon 1 : fruité, pétillant, nostalgique. Très intéressant.

Alice aurait voulu disparaître.

On passa au second lot : Artisanal Millésimé. Le liquide, plus épais, présentait de subtils reflets nacrés. Sarah huma son verre comme une sommelière.

— Notes de cuir, de cave humide… une belle longueur en bouche.

Alice goûta à son tour, déglutit avec peine. Sa tablette lui proposait “métallique”, “fluide”, “énergie”. Elle soupira et cocha “boisé” puis “puissance”, sans conviction.

Sarah la piqua aussitôt :

— Sérieux ? Boisé ? Tu crois que t’as léché un tronc d’arbre ?

La PDG resta glaciale.

— Boisé et puissant. Pertinent.

Lot n°3 : Spécial Premium. La texture était presque mousseuse. Alice faillit tousser en avalant. La tablette proposait “crémeux”, “surprenant”, “tendresse”. Elle sélectionna tout d’un coup, pour s’en débarrasser.

Sarah souffla, taquine :

— T’as coché “tendresse” ? Mais oui, c’est vrai, c’était la caresse du matin, comme un café au lit…

Alice lui donna un coup de coude furieux.

Enfin, le lot Expérimental. Le liquide tirait vers l’ivoire nacré. Alice hésita avant d’avaler. L’écran afficha cette fois :

Émotion globale : ☐ extase ☐ mélancolie ☐ fraîcheur ☐ chaos

Elle cligna des yeux. Chaos ?! Qui peut goûter un truc et dire “ça goûte le chaos” ?!

Elle cocha au hasard “chaos”. Bip. Sarah éclata d’un rire si sonore que plusieurs visiteurs se retournèrent.

La PDG nota calmement :

— Échantillon 4 : perçu comme chaotique. Résultat atypique mais exploitable.

Quand les verres furent vides, la PDG reprit :

— Merci pour vos retours. Chaque case cochée nous aide à affiner notre marketing.

Sarah lança un clin d’œil à Alice :

— T’as vu ? Finalement, t’es une pro. Nostalgie, chaos, boisé… t’as inventé une vraie poésie sensorielle !

Alice se couvrit le visage de ses mains, les oreilles en feu.

Mais les tablettes bippèrent une dernière fois. Un nouvel écran s’afficha :

Évaluation organoleptique de votre compagnon (question facultative mais recommandée pour affiner notre segmentation)

Goût dominant : ☐ salin ☐ sucré ☐ amer ☐ umami

Texture : ☐ fluide ☐ crémeuse ☐ filante ☐ surprenante

Finale en bouche : ☐ courte ☐ persistante ☐ piquante ☐ enveloppante

Alice faillit lâcher l’appareil. Non… ils osent…

Sarah, pliée de rire, se pencha.

— Allez, Alice, dis-le : Loïc, il est plutôt salin ou sucré ? Moi, je parierais sur le salé, avec une petite touche noisette.

— Mais tais-toi ! souffla Alice, écarlate.

Ses mains tremblaient. Elle ferma les yeux, un souvenir précis traversant son esprit malgré elle. Ses doigts cochèrent machinalement : “salin, crémeux, persistante”.

Sarah hocha la tête, faussement sérieuse.

— Oui, crémeux et persistant, ça lui va bien. Tu pourrais écrire une thèse là-dessus !

La PDG nota placidement :

— Excellent. Les retours qualitatifs sur les conjoints sont particulièrement précieux pour nos futures campagnes.

Et l’écran afficha une ultime série de cases :

Caractéristiques de votre compagnon (facultatif si vous n’en avez pas)

☐ longueur approximative

☐ circonférence

☐ endurance moyenne

☐ particularités notables

Alice sentit son sang se glacer. Non… non, ils ne peuvent pas demander ça…

Sarah, hilare, se pencha encore.

— Alors ? Tu vas cocher quoi pour Loïc ? Longueur : grande ? Très grande ? Allez, Alice, sois honnête !

— Mais… mais ça ne les regarde pas ! balbutia Alice.

— Mais si ! C’est pour la science, voyons, répondit Sarah avec un sérieux feint. On n’va pas mentir à la science.

Alice, affolée, valida d’un doigt tremblant : “longueur : grande”. Elle hésita, puis se dépêcha de cocher “endurance : correcte” et, dans un geste de panique, “particularités notables : légère courbure”. La tablette bipa joyeusement : Merci pour votre contribution à l’innovation BioMen™.

Sarah manqua s’étouffer de rire.

— Courbure ! Ah ça, je confirme ! Je savais bien que t’allais pas oser cocher “effet marteau-piqueur” !

Alice releva brusquement la tête, les yeux écarquillés.

— Mais… comment ça, tu confirmes ?!

Sarah se contenta de hausser les épaules, l’air faussement innocent, un sourire en coin.

— Oh, ma belle… il faut bien que quelqu’un valide la donnée, non ?

Alice resta figée, la tablette tremblante entre ses doigts. Un frisson glacé lui remonta la colonne vertébrale.

La PDG, imperturbable, collecta les tablettes comme si tout cela était parfaitement normal.

— Merci pour votre participation, mesdames. Vos réponses nourriront directement nos futurs développements.

Alice, tête basse, aurait voulu disparaître dans le sol.

La PDG leva enfin les yeux vers l’assemblée.

— Avant de conclure cette visite, permettez-moi de rappeler que BioMen™ récompense l’engagement citoyen. Chaque jeune femme rapportant un échantillon de son… compagnon recevra un chèque de 1 000 ECU.

Un silence stupéfait suivit l’annonce, vite brisé par Sarah qui leva les mains au ciel :

— Mais c’est génial, Alice ! Tu fais pisser ton mec dans un flacon, et hop, les vacances sont payées !

— Sarah ! Mais enfin !

La PDG continua comme si de rien n’était :

— Naturellement, toutes nos procédures respectent les normes européennes de protection des données personnelles et garantissent une parfaite anonymisation. BioMen™ : la science au service de votre quotidien.

Elle termina avec un sourire glacé, comme si elle venait d’annoncer une promo Tupperware.

*

Le soleil de fin d’après-midi frappait l’esplanade. Des hôtesses en minijupe distribuaient des prospectus colorés vantant “La vitalité au quotidien”. Des passants consultaient distraitement les affiches murales où s’étiraient des slogans en lettres chromées : “BioMen™ — l’avenir a un goût d’homme.

Sarah et Alice quittèrent le bâtiment, leurs escarpins claquant sur le béton clair. Sarah riait encore, mais Alice gardait les bras serrés contre elle.

— Bon, avoue, fit Sarah, c’était quelque chose, non ?

Alice hésita, mordilla sa lèvre.

— Je… je ne sais pas. C’était… original. Impressionnant, même. Mais… tu n’as pas trouvé ça… un peu trop huilé, trop mis en scène ? Je veux dire… est-ce que ce qu’on a vu, c’est vraiment la réalité de la production ?

Sarah haussa les épaules.

— C’est une usine, Alice. T’as vu des techniciennes, des pompes, des cuves. Le reste… qu’est-ce que ça change ?

— Je ne sais pas… souffla Alice. Tout ce discours de démocratisation, de bonheur accessible… et en face, ces… ces hommes… enfin, ces “producteurs”. Est-ce qu’on les traite vraiment comme ça au quotidien ? Est-ce qu’ils sont libres ? Ou juste… dressés pour l’expo ?

Sarah leva un sourcil, amusée :

— Voilà que tu deviens philosophe. Mais tu sais quoi ? Si ça me file énergie et bonne mine, moi je signe tout de suite.

Alice serra plus fort son sac contre elle. Une part d’elle brûlait encore de honte et de trouble. Mais une autre, plus sourde, commençait à douter sérieusement de ce qu’elle avait vu.

*

Le soir tombait sur le pavillon propret, ses rideaux de dentelle déjà tirés. Loïc poussa la porte, encore en costume froissé de sa journée de bureau. Alice l’accueillit avec un sourire trop sage, presque mécanique.

— Ta journée ? demanda-t-il en défaisant sa cravate.

— Oh… rien de spécial, répondit-elle, la voix un peu tremblante.

Il fila sous la douche. Alice, restée dans la chambre, s’assit sur le lit, les yeux perdus. Les slogans entendus dans la journée tournaient dans sa tête : « démocratisation heureuse », « toutes les bourses », « 1 000 ECU par échantillon ». Sarah avait ricané, bien sûr… mais Sarah y croyait. Pourquoi pas elle ? Mille ECU… ça payait largement les vacances au bord de la mer. Et après tout… ce n’était pas grand-chose à demander.

Loïc sortit de la douche, encore mouillé, une serviette nouée à la taille. Alice l’attendait, agenouillée devant lui, un éclat de malice nouveau dans le regard.

Sans un mot, elle écarta la serviette et saisit son sexe, ferme mais joueur, l’empoignant comme on attrape une poignée. Loïc sursauta.

— Mais… qu’est-ce que tu fais ?

Alice se redressa d’un bond, sans lâcher sa prise. Elle trottina vers la chambre, tirant Loïc derrière elle comme s’il n’était qu’un chien en laisse.

— Hey ! Doucement ! protesta-t-il en trébuchant, obligé de suivre, le bassin penché en avant. Sa serviette glissa à moitié, il la rattrapa d’une main maladroite tandis que l’autre cherchait son équilibre.

Alice riait sous cape, la main serrée sur sa “laisse”, avançant sans se retourner.

Dans la chambre, elle lâcha enfin son “prisonnier” sur le lit. Loïc, essoufflé, fronça les sourcils.

— Attends… c’est quoi ce délire ?

Alice, un doigt posé sur ses lèvres, murmura seulement :

— Chut. Pour nos vacances, chéri.

Sur la table de chevet, bien en évidence, reposait une éprouvette stérile. À côté, une enveloppe blanche frappée du logo chromé BioMen™. Sous l’enveloppe dépassait un catalogue de voyages, sa couverture colorée vantant “La Méditerranée ensoleillée” — une page déjà cornée marquait le chapitre Baléares, huit jours tout compris.

Annotations

Vous aimez lire Alys Lupinelle ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0