Accomodement

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Faute de mieux, vous faites avec, comme disent les gens. Vous la poussez de vos draps le matin, la laissez vous envelopper lorsque vous vous habillez. Le froid qui vous pénétrait jusqu’aux os devient familier, presque réconfortant, quelque part. Après tout, elle est là, avec vous, quoi qu’il arrive. Lorsqu’une mauvaise nouvelle arrive ou que vous êtes bousculé dans le métro - est-ce que cela n’arrive pas de plus en plus souvent ? Vous être vraiment irrécupérable de maladresse - elle est la première - la seule - à vos côtés. Obligeamment, elle remonte le temps, vous montre ce qui a été, encore et encore, insiste sur les points où vous avez été ineptes, ceux où vous auriez pu faire mieux. Parfois, vous vous souvenez de la chaleur, du monde d’avant la brume, mais ces images ont de moins en moins de sens. Plus vous les regardez, plus vous voyez les courants froids, qui déjà s’amassaient.

De plus, vous n’avez pas le temps de vous appesantir sur ces bonheurs passés. La vie dans la brume est moins solitaire que vous ne l’imaginiez. Les monstres rôdent, au détour des colonnes humides. Vous ne les voyez pas, pas encore, mais vous les entendez. Proches. Menaçants. Leurs pas sont lourds. Leur haleine transforme les couloirs que vous empruntez. Vous avez lu des histoires, enfant. Vous les imaginez lourds, leurs cous surmontés de hures sanguinolentes. Autant de bêtes mythologiques, de créatures de cauchemar que vous pensiez avoir oubliées. Désormais, elles sont réelles, bien trop réelles, à mesure que vous avancez dans ce nouveau monde. Ce monde est hanté d’être bien plus anciens, bien plus puissants que vous. Les couloirs que vous arpentez vous paraissent infinis, les murs s’étirent sans fin vers un plafond inexistant. Dans la brume, vous rétrécissez, vous êtes insignifiant, sauf en ces moments de peine aigue où elle s’écarte pour mieux vous exposer. Vous tremblez, alors. Le soleil vous brûle la peau. Les regards de ceux autour de vous vous transpercent. Vous attendez la morsure, le coup. Car il viendra. L’air vous abandonne. Pourtant, vos voeux ont été entendus. Vous êtes hors de la brume. Ses monstres ne peuvent plus vous atteindre. Le reste du monde le peut, lui. Votre vie passée, votre vie présente. Elles convergent pour vous écraser.

Vous appelez la brume de vos voeux. Elle est votre misère, mais une misère que vous connaissez. Une misère qui ne vous force pas à vous tourner vers le futur, au risque de vous en brûler les yeux. Alors avec le temps, vous vous improvisez Robinson. La brume est votre île, une terre inconnue et inexplorée. Peut-être pouvez-vous l’aménager, la rendre plus confortable. Vous vous imaginez y bâtir une cabane, en attendant un éventuel sauvetage. Vous vous efforcez de baliser les chemins et les passages. Vous relevez les heures où les monstres se font plus proches. Bien souvent, vos efforts sont balayés d’un simple souffle humide, mais vous persévérez. Vous ne pouvez rien faire d’autre, à part vous abandonner et la laisser vous envahir totalement.

Et cela arrive, plus souvent que vous ne voulez bien vous l’avouer. Un souvenir soudain découvert, une discussion voilée d’humidité qui vous laisse un goût de sel dans la bouche. Et surtout, ce sentiment toujours plus fort qu’il existe une brèche, une séparation de plus en plus grande entre la brume et le reste du monde. Vous vous sentez dériver, petit à petit.

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