Corps
Ils m’ont dit : « Vous pouvez vivre comme tout le monde, mademoiselle. »
Mais en réalité, tout mon monde était en train de s’effondrer.
En surface, oui, j’avais la même vie que tout le monde.
Je sortais. Je mangeais. Je me baignais. Je riais.
Mais à côté, je devais calculer, surveiller, ressentir, anticiper… et ne jamais me débrancher.
Et j’étouffais.
À chaque fois, j’étouffais.
Tous les trois jours, il fallait me piquer, vérifier que ma pompe était chargée, penser à ne pas « abuser » avant de manger.
Parfois, j’oubliais.
Alors ma glycémie montait, mon cathéter s’infectait… puis je me retrouvais, en pleine nuit, assise à côté d’une prise, attendant que ma pompe soit suffisamment chargée.
Et les gens autour de moi me disaient :
« C’est fantastique, les avancées ! Maintenant, tu peux vivre comme tout le monde. C’est moins difficile. On ne voit presque plus rien… Ta vie est normale désormais. »
Mais rien n’est normal.
Personne ne me comprenait.
On pensait que j’exagérais.
Moi, je me sentais seule.
Épuisée.
J’en ai marre de devoir tout compter.
De me surveiller en permanence.
De craindre qu’un oubli abîme encore ma santé… ou me tue, alors que ma maladie est banalisée.
J’en ai marre de devoir m’expliquer.
De devoir encaisser.
Oui, chaque jour, j’aimerais vivre comme tout le monde.
Mais chaque jour, je me heurte aux alertes incessantes de mon corps.
Mon esprit s’épuise à gérer, à calculer, à prévoir.
Et, certains jours, j’ai envie de tout laisser tomber.
Car mon corps tient encore… mais mon esprit, lui, a déjà lâché.
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