A la recherche du Signal

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Shloooorpsh. C'était le bruit de la dernière sangsue. Une faille dans ma combinaison. Ma cheville gauche était devenue un buffet à volonté. Je me débarrassais de la dernière suceuse de sang avec le Zap. Ca picote, mais c'est efficace.

Ces deux derniers jours dans les marécages m'avaient fait payer pour ne jamais avoir donné mon sang. Ha ! Donner son sang.

Australia n'avait rien à voir avec les archives. Une terre aride? mon cul oui ! Un bourbier infernal, imprégné d'une odeur de fange perpétuelle qui noyait mes poumons à chaque respiration. Cette humidité boueuse qui vous prend à la gorge ... j'étais comme un ravioli vapeur qu'on avait oublié dans un pédiluve putride. Il faut vraiment que j'arrête avec les expression terriennes.

Je n'étais pas venu par plaisir. Enfin, plus maintenant. Tout archéonaute qui se respecte est galvanisé au début de chaque mission. Mais je m'imaginais la Terre comme une destination de rêve, un paradis perdu. Je ne pensais pas me retrouver sous cette canopée dense tapissée d'une gadoue infâme.

Forcément, la végétation est luxuriante sur une exoplanète laissée à l'abandon pendant plus de 20 siècles. J'aime me dépayser, certes, mais avec un minimum de confort.

Depuis que je m'étais enfoncé dans ce marécage, plus aucune trace de la moindre structure humaine. Je regrettais les premiers jours de l'expédition.

Il avait été décidé de monter le campement non loin du point de déphasage, au sud des ruines d'Adélaïde. En regardant vers le nord, on devinait des décombres, vestiges d'une civilisation oubliée. Mais ce n'était pas notre mission. Du moins pas la mienne.

Phaser. Localiser le signal. Se rendre sur place. Prélever la source du signal. Déphaser.

Simple comme bonjour. Va savoir pourquoi, le phaseur nous avait matérialisés à plus de 100 kilomètres du signal, qui se trouve être quelque part dans ce marécage.

Le Signal. La plupart du temps il s'agit d'une anomalie magnétique, alors des échantillons de roche suffisent à remplir la mission. Parfois il s'agit de petites formes de vie détramées qui détraquent le signal. Je les prélève et les rapporte à Antorn. Hier je lui ai ramené un rongeur immonde de 10 kilos. Il était ravi. Les zoonautes je vous jure.

Je pensais à Leen. Quelle idée d'aller sur Terre pour sa mission de confirmation. Je pouvais parler, j'avais fait la même. Elle accompagnait Antorn dans son projet et allait passer Pionnière à l'issue du voyage. Elle l'avait bien mérité. Je sais bien qu'elle me plaît. Ce n'était pas très malin de me perdre dans mes pensées en ce moment, mais j'en avais besoin. Cet enfer vert commençait à me taper sur le système. Quelle purge d'être à pied aussi. Je me rappelais les premiers jours...

Les mecazods montaient le campement et déployaient les sondes pendant que nous faisions nos recherches de proximité.

Le travail était simple, mais je passais des nuits atroces. Sur Terre, les journées durent 24 heures. Du coup, je n'avais aucune fatigue au coucher du soleil. Alors oui, les cachets de pseudo sommeil étaient efficaces, mais me donnaient une migraine terrible au réveil, et la sensation de ne pas avoir assez dormi, ainsi que la sensation d'avoir trop dormi. Un véritable casse-tête.

Le troisième jour nous décidions de prendre l'Hover Ride en direction du signal. Nous avons suivi les routes, car même si de routes elle n'en avaient que le nom, c'était le relief le plus surfable pour notre unité. En vingt minutes nous étions à Silverton, et nous nous apprêtions à déployer le Flotteur pour traverser les 30 kilomètres d'eau du Golfe Saint-Vincent qui nous séparaient du Signal. Mais aucune trace d'eau. A la place, une végétation étouffante dans laquelle je serais obligé de patauger ... à pied. J'en avais pour 3 jours aller-retour.

Mon ego. Encore et toujours mon ego. Antorn et Leen m'avaient proposé de m'accompagner, mais je les en avais dissuadés. "Ce n'est pas une petite jungle qui va me faire peur ! J'ai connu bien pire sur Pamera... je serais de retour dans quelques jours, et de toute façon, j'ai la radio !" leur disais-je.

Je faisais le fier devant Leen sans me rendre compte que j'allais fatalement la laisser avec Antorn.

Et me voilà, partant seul vers la jungle, avec ma combinaison, mon sac de survie et ma machette à impulsion.

48 heures plus tard, je n'avais toujours pas trouvé le Signal. J'étais sorti des marécages, et je m'étais débarassé des dernières sangsues. J'avais envoyé mes rapports radio à l'Hover Ride pendant les 2 premiers jours, et Antorn m'avait répondu - de manière très formelle, ce qui avait tendance à m'agacer.
Mais ce matin, aucune réponse. Ca confirmait mes soupçons d'interférence magnétique. Je me rapprochais à coup sûr de la source.

En fait, j'avais déjà atteint l'emplacement du signal. Mais l'anomalie qui m'empêchait de recevoir les messages de Antorn devait également perturber mon GPS. Je devais à présent utiliser mon bon sens et mon tracker courte portée. Je me dirigeais donc vers ce qui me semblait être une paroi rocheuse. Classique pour qui recherche une anomalie magnétique.

Curieux. Le tracker n'était plus cohérent. Comme si ma source se déplaçait. La dernière fois que c'était arrivé, c'était sur Gannion, dans les gigantesques carrières de fer. Je ne devais plus être loin. Si interférence magnétique il y avait, les cristaux devaient être souterrains, car rien à la surface ne laissait présager la présence de minerais.

Soudain, j'entendis un bruit. Ou plus exactement, un cri. Profond et insondable, comme un brame rauque venant des entrailles de la terre.

Je me pétrifiais sur place. Qu'est ce que je venais d'entendre ? Je déglutissais pendant que le bruissement des oiseaux faisaient frémir les feuilles. Les "bips" du tracker s'affolaient.

Une forme gigantesque semblait sortir de terre. Je ne l'avais pas distinguée jusqu'alors, mais il y avait une ouverture dans la paroi, à l'ombre des arbres. Quoi que cette créature soit, elle venait de là, et elle était indubitablement la cause des perturbations du tracker.

C'était ... un dinosaure. Beaucoup trop grand pour être un mammifère terrestre. Cinq mètres de haut et une queue qui me semblait tout aussi grande. Des petites pattes avant recourbées comme un T-Rex. Je m'étais beaucoup documenté sur les variances terrestres des Âges Oubliés.

Ce n'était pas possible, ils étaient éteint depuis des millions d'années dans presque toutes les Phases connues. A moins que ... avait-on aterri sur Terre MC-90 ?

La réalité qui se tenait devant moi prévalait sur tout ce que je croyais savoir. J'étais tellement abasourdi que je ne remarquais pas tout de suite de subtiles nuances. Les oreilles dressées. La gueule allongée. Le pelage. Ce n'est que lorsque je vis une créature dépasser de son ventre que je réalisai enfin. Une poche ventrale ?

Toujours incapable de bouger, pour rester le plus discret possible, mais surtout car je n'aurais pas pu même si je l'avais voulu, je scrutais scientifiquement le gigantesque kangourou qui se tenait au loin. Je n'en croyais pas mes yeux. C'était sans précédent. Comment un kangourou géant pouvait exister alors qu'aucune trace de vie avancée n'avait été détectée, ni avant, ni après notre arrivée.

D'un coup, il se tourna vers moi. Je réalisai soudainement que mon tracker émettait un son continu depuis tout ce temps. Je l'éteignais en un éclair. Trop tard. Le kangourou bondit vers moi. *THUMP*. Je ressenti l'impact de son aterrisage en étant à une cinquantaine de mètres à peine.

Je m'apprêtais à courir. Les arbres pourraient me sauver. En 30 secondes je pourrais rejoindre la canopée. Les kangourous évoluent difficilement dans la jungle. D'ailleurs, comment pouvait-il vivre ici ? En dehors de la clairière dans laquelle j'étais, je ne voyais aucun terrain propice à cette menace bondissante. C'est tout moi ça. Dans un moment de panique, je trouve le temps de me poser des questions pratiques.

Je regardai une dernière fois la bête avant de détaler. Je me rendis compte qu'elle ne me regardait plus. Je me risquai tout de même à faire un pas de côté et amorcer ma retraite.

Je n'eu le temps de faire qu'un pas avant de m'arrêter de nouveau. Le même cri que la première fois retenti derrière moi. Mais ma nouvelle amie ne semblait toujours pas intéressée par moi. Je ne sais pas la raison de son comportement, autant de questions que je poserai à Antorn en rentrant. Pourquoi Antorn ? Je demanderais à Leen directement. C'est une femelle. Pas Leen. Le kangourou. Je me rappelais d'un coup cette information, sans en saisir tout de suite la portée.

*THUMP*. *THUMP*. *THUMP*.

J'étais mort. Trois bonds. Elle devait être juste derrière moi. Avait-elle finalement décidé de m'écraser ? Je me retournai tel le condamné qui accepte son sort.

Elle n'avait pas bougé. Pourtant j'avais bien entendu. J'avais même ressenti les bonds.

Je réalisai alors l'information que mon subconscient possédait depuis plus longtemps que moi. Son cri ne m'étais pas destiné. Il ne l'avait jamais été. Je me rappelais alors la subtile nuance des cris d'animaux.

Une femelle. Un petit dans la poche avant.

Elle appelait son compagnon.

*THUMP*.*THUMP*.*THUMP*.

Je compris que depuis tout ce temps, une autre menace s'était approchée, depuis l'autre côté de la paroi. J'avais envie de disparaître. Je ne voulais pas savoir ce que je savais déjà.

Mais mon corps se tourna machinalement vers l'ouest. Il était là.

Une sensation de vertige me donna l'impression de tomber à l'intérieur de moi-même. J'étais en ébullition. Je ressentais toutes les extrémités de mon être. J'entendais à nouveau les *THUMP*, mais cette fois-ci, ils venaient de mon coeur, dont la cadence correspondait plus à un concert de metal qu'à celui d'un organe vital.

Je levais les yeux.

Un colosse.

Magistral et effroyable à la fois.

Il me regardait, de toute sa hauteur.

J'étais à sa merci.

C'était donc ça, la paralysie par la peur.

J'eu une pensée pour Leen.

Puis plus rien.

*THUMP*

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