L'écrivain qui n'écrivait rien

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Je n’arrive pas à écrire. Je suis un écrivain qui n’écrit pas. J’écris quelques mots. Quelques phrases. Quelques pages. Quelques chapitres. Mais jamais un livre entier. Jamais. Plus jamais. Pourtant j’aime écrire. J’aime tellement écrire que je ne voudrais faire que ça. Mais je n’y arrive pas. Je suis devenu incapable d’écrire. Incapable d’écrire plus de quinze minutes. J'écris et je fais autre chose. J’écris et je regarde twitter. J’écris et je consulte facebook. J’écris et je vérifie ma messagerie. J’écris et je surfe. J’écris et je n’écris rien. Pas de cohérence, pas de suivi. Ni qualité, ni quantité.

Alors je cherche à débrancher. Je me déconnecte et j’écris. J’écris dans une pièce sans internet. J’écris et je prends un livre. J’écris et je lis un livre. Un livre sur une liseuse. Un livre papier. J’écris et je lis. Je lis et je n’écris plus. Je ne fais que lire. Lire, lire pendant que je n’écris pas. Que je ne conçois pas. Et je m’en veux. Je m’en veux tellement de lire au lieu d’écrire.

Alors je sors de chez moi et je marche. Je marche sans écrire. Je sors de chez moi et je vais dans un endroit sans livre et sans internet. Et j’écris. Et je vais au cinéma. Et je regarde des films plutôt que d’écrire. Et je me sens coupable. Encore à ne pas écrire. Encore à ne pas créer. Encore à subir. Encore à consommer. Au lieu de créer.

Je sors encore. Pour marcher. Mais je n’écris pas. Mais je pense. Je pense et je crée. Je crée dans ma tête, mets les mots en place, structure les idées, m’enthousiasme, suis pressé de rentrer, rentrer pour créer, pour écrire.

J’arrive chez moi. J’allume le pc. Pour créer. Pour écrire. Quinze minutes. Quinze minutes et je me connecte à internet. Quinze minutes et je tweete. Quinze minutes et je suis sur facebook. Et tout est à recommencer.

Jour après jour après jour après jour. Nuit après nuit après nuit après nuit. Encore et encore et encore. Je suis le Sisyphe de la littérature. Et je n’en peux plus. Je ne me sens plus la force de pousser cette pierre. Plus la force d’essayer encore.

Parce qu’il y a trop de distractions. Depuis vingt ans que j’essaye, le nombre de distractions a implosé. Distraction partout, création nulle part. Distraction fixe, distraction portable, distraction partout. Je voudrais créer mais je n’y arrive pas. Je me hais pour cela. Alors je fuis. Je voudrais aller ailleurs, être ailleurs. Mais je ne peux pas fuir. Partout où je vais, je suis. Partout où je suis, je suis le même.

Je ne veux plus penser. Je veux faire le vide. Alors pour faire le vide, je fais le plein d’images, de mouvements. Et je joue. Je joue pour oublier. Je joue à un jeu d’action, je joue à un jeu de réflexion, je joue à un jeu de simulation, je joue à un jeu de stratégie et je n’écris pas. Et ma tête se remplit de vide et quand ma tête est vide, je sors de chez moi. Je vais marcher. Marcher dans la nuit. Et je pense. Et je crée. Et je suis enthousiaste et je reviens rapidement chez moi. Pour créer. Pour écrire. J’allume le pc. Je commence à écrire. Quinze minutes. Et je me couche. Et je me jure que demain, oui demain, je vais créer, écrire. Plus de quinze minutes.

Je me lève. Je me douche. Je me connecte. J’écris. Et je twitte. Et je vais sur facebook. Et je vérifie mes emails. Et je pleure. Je pleure sur moi. Sur mon incapacité à créer. Sur toutes ces sollicitations qui m’empêchent de créer. Je voudrais tant, tant être interné, pour être dans une pièce blanche : sans téléphone, sans twitter, sans facebook, sans amis, sans jeux, sans livre, sans film, sans bruit. Une pièce blanche. Une machine à écrire. Ecrire.

J’ai demandé à me faire interner. Plusieurs fois. Plusieurs fois. Une fois on a accepté. On a accepté de m’interner car j’avais menacé de me jeter dans le vide si on ne m’internait pas. Plus exactement, j’étais sur un toit quand j’ai fait cette menace :

« Internez-moi que je puisse créer, que je puisse écrire. »

J’avais hurlé :

« Internez-moi ou je saute ».

Alors ils m’ont interné. Quinze jours. Quinze jours pour écrire un roman. Quinze jours, c’est peu et c’est énorme. Quinze jours c’était beaucoup. Quinze jours pour écrire suffisamment. Quinze jours pour être assez loin dans le processus de création. Quinze jours pour enfin, lancer la machine créatrice. La lancer pour qu’elle ne s’arrête plus.

Ils m’ont interné quinze jours mais ils ont refusé de me mettre à disposition de quoi écrire. Ils m’ont dit, en souriant :

- C’est le règlement. Pas de PC dans le bâtiment pour les malades.

Mais du papier et un crayon j’ai demandé ?

« Donnez-moi juste du papier et un crayon ».

J’ai tenté de leur faire comprendre que cela n’avait aucun sens. Que je ne voulais pas me suicider, que je voulais juste du papier et un crayon. Du papier et un crayon pour écrire. Mais ils ont refusé. « Vous pouvez vous faire beaucoup de mal avec un crayon ». J’ai dit que non, que je ne voulais pas me faire de mal, que je voulais écrire, juste écrire, écrire plus que tout.

« S’il vous plait », j’ai demandé.

« S’il vous plait », j’ai dit.

Ils n’ont rien voulu savoir. J’ai passé quinze jours, sans un livre, sans une image, sans un pc, sans un jeu, sans un film, sans twitter, sans facebook. Quinze jours tout seul, sans amis, sans parents, sans distraction mais je n’ai pas écrit une ligne. Pas une ligne. J’essayais d’écrire dans ma tête mais je n’y arrivais pas. Je ne me souvenais pas. Je ne pouvais pas me souvenir.

Je suis sorti. Ils m’ont laissé sortir au bout de quinze jours. Ils m’ont laissé sortir au bout de quinze jours sans écrire. Je suis sorti il y a une semaine. Et depuis, j’écris quinze minutes, et je me connecte, j’écris quinze minutes et je tweete, j’écris quinze minutes et je vérifie ma messagerie, et je vérifie mon téléphone, et je lis, et je regarde un film, et je joue et je ne crée pas, et je n’écris pas.

Mais aujourd’hui, j’ai eu un éclair. Une illumination. Ils avaient raison à l’hôpital. On peut se faire très mal avec un crayon. Mais on peut aussi se faire du bien avec un crayon. J’ai un crayon. J’ai mon crayon. Je n’ai pas de papier mais ce n’est pas grave. J’ai mon crayon. Je suis face à la glace. Je me regarde. Je regarde mes yeux. Mes yeux. Ce sont mes yeux les coupables. C’est à cause de mes yeux que je tweete, que je vais sur facebook, que je regarde mes messages. Avec mes yeux que je lis, avec mes yeux que je regarde les films, avec mes yeux encore que je joue. Mes yeux. Toujours. Tout le temps. La distraction ne vient pas de l’extérieur, elle vient de l’intérieur. De mes yeux. Mais j’ai mon crayon.

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