Sombre désert de pics
C'est à tâtons que j'avance. La lumière s'est longtemps atténuée pour finir par disparaître dans le gouffre que j'avais un jour perçu au loin. C'est un trou dans le sol comme un cratère formé par une force venue de l'espace, d'un haut-delà si lointain que même la mort ne pourrait l'atteindre. Et pourtant, c'est à la mort que mène ce gouffre.
Lorsque je voyais encore, j'avais pu admirer des tâches sombres, des ombres diformes et dansantes ; et à force de marche, je les ai vu courir et virvolter. Car c'était et ce sont toujours des Hommes noirs. Ni yeux, ni bouche, ni nez, ni cheveux, ni habits, ni sexe ; rien que des délimitations pleines d'une unique couleur.
Bientôt, des chants et des cris me perçaient les tympans, si bien qu'aujourd'hui des grésillements continus me poursuivent sans répit. Ces ombres émettaient tout d'abord certains sons mélodieux que j'ai vite apparenté à des harpes, lyres ou violons, qui formaient un concert étonnement construit de cordes enchantées - tandis qu'ils avançaient, tout comme moi, vers le gouffre aux improbables dimmensions.
Étais-je une ombre moi aussi ?
Je marchais, je marchais, et les sons ont changé. Je pensais et pense toujours que les ombres souffraient de leur longue marche, plutôt que de la peur du gouffre ; mais elles avançaient toujours, elles ne s'arrêtaient pas ; jamais elles ne se sont arrétées.
Elles criaient, hurlaient de douleur. Le désespoir. Et plus loin, les cris tombaient, accompagnant leurs propriétaires au fond du gouffre.
Enfin, j'ai arrêté de marcher. Sûrement dû à ma peur, mais je me demande encore quelle peur.
Pendant quelques minutes, j'ai continué à écouter et regarder, sans bouger, sans lever un doigt. Il fallut à mon ouïe mourir pour que je prenne conscience que j'étais maître de moi-même.
J'ai couru en sens inverse. J'esquivais la foule, et rien ne me bloquait ou n'a cherché à me stopper. Je remarquais dès lors, pour la première fois, que je n'étais pas seul à fuir. Et aucun de ce gens n'était des ombres, ce qui me rassura sur le fait que j'en étais pas une.
Alors que je pensais avoir marché plusieurs jours, il me fallut moins d'une minute pour sortir de l'amas noir. Je fus soulagé en me pensant sorti d'affaire, mais plus vraiment heureux en sachant le monde derrière moi. Et c'est à cause de ce dernier sentiment que je me retournai.
Mon effroi revint : il me sembla les voir marcher plus vite, peut-être même courir, vers le gouffre. Elles semblaient pressées de tomber et de mourir. Je compris également que je ne pouvais rien faire pour stopper leur course folle. Je distinguais au loin une vague noire se déferler dans ce creux sans fond.
Et alors que je pensais que rien ne pouvait être pire, je vis la lumière elle-même suivre la tombée. Tout s'obscurcissait.
Le désert marron, aux énormes pics de roches, faisait se confondre les silhouettes.
Avant que plus rien ne soit visible, je perçus deux choses s'élever au dessus du gouffre. Deux choses pointues. Je n'eus aucune réaction, aucun réflexe, en les voyant fondre sur moi, et elles se plantèrent droites dans mes globes occulaires avant même que je sache ce dont il s'agissait.
Aujourd'hui, j'erre toujours dans ce désert de roche arride, avec pour seuls repères, mon touché et mon cerveau.
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