La rentrée du troupeau

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Cinq heures après le zénith. Le soleil rougeoie dans les cieux, les nuages prennent une teinte grise veinée de violet. Au sol se déroule un étrange et déroutant spectacle. Tous les jours, aux mêmes heures, de surprenantes créatures défilent.

Il semble qu’elles suivent des codes sociaux complexes. Les adultes encadrent leurs descendants, plus forts qu'eux, plus prestes aussi, en un mot, plus expérimentés. Cette stratégie peut se comprendre, ces entités empruntent des chemins dangereux. Impossible de savoir d'où elles viennent, ni où elles vont, mais elles s'y rendent avec vélocité et célérité. Parfois, l'un d'entre eux émet un cri cristallin, ce qui alerte son entourage. Ils se mettent alors sur leurs gardes, identifient l'obstacle, le dépassent puis reprennent leur rythme de croisière.

Ces bêtes circulent vitement, afin de ne pas souffrir de leur équilibre précaire. Leurs cornes et leurs couleurs permettent de distinguer les individus. De face, l'on voit leurs cornes proches de leur thorax, leurs étranges pattes et, jurerait-on en deux dimensions ; le tout surmonté d'un long cou parachevé d'une coquille aux couleurs et aux motifs variables. De profil, en plus de leur membre antérieur et postérieur, deux appendices contribuent à leur motricité, et ne touchent le sol que pour stabiliser la bête à l'arrêt.

Difficile d'affirmer à quel moment elles se sustentent. Toutefois, il semblerait que les ralentissements leur cause de la douleur, car la plupart émet des vocalises discordantes ou stertoreuses, et toujours dissonantes, selon leur genre, au moment de la perte de vitesse. Puis leur ahanement au moment de la reprise fend le cœur.

En effet, on prendrait avec facilité en pitié ces bêtes, traquées par des béhémoths quadrupèdes voisins, des mastodontes certes plus petits mais aussi plus vicieux, plus nombreux que les béhémoths, en vérité légions dans les environs. Mais les animaux cornus doivent aussi craindre le courroux de bipèdes hargneux, qui ne les prennent guère en considération. Et toujours, béhémoths, mastodontes et hargneux encadrent les cornus, guettant une erreur, disposés à précipiter leur chute.

Elles circulent en terrain hostile, suivant des rubans les comprimant entre plusieurs files de vils ennemis vifs et sans pitié ni clémence. Parfois, l'une de ces bêtes dépasse de son ruban, et empiète sur le terrain des bipèdes ou des quadrupèdes. S'ensuit alors un concert tonitruant, qui rappelle à la bête cornue que tous lui tiennent rigueur de dépasser de son habitat habituel. Aussi vocifère-t-elle tout autant lorsqu'un bipède, plus bas dans la chaîne alimentaire de ce curieux biotope, empiète sur son ruban attitré.

Aujourd'hui sort de l'ordinaire. Aujourd'hui, cinq heures après le zénith, alors que le ciel rougeoie, que les nuages gris se veinent de violet, il faut aller quérir sa pitance. Alors, avec prudence et méfiance, on sort de son abri en hauteur. On approche du territoire des bêtes cornues. Un regard à gauche. Un regard à droite. La voie est libre, on peut s'avancer. Un son aigu retentit, un courant d'air se fait sentir, une masse fait vibrer l'air. Un poing, surmonté d'un doigt s'érige vers le ciel, à l'intention du cornu qui vient de passer en trombes. Et la sentence est rugie, implacable et irrévocable :

  • Connard de cycliste !

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