Acte III

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Dieu aime les choses vagues.

Émergeant de l’écrin noir de mes songes moribonds, j’ai l’âme empourprée mais le cœur cri l’azur !

Des cieux lumineux me transpercent et évoquent violemment en moi la vie. L’écorce de mon cher saule se craquèle. Elle vibre de nouveau !

Il s’ébroue et jette loin de lui le charbon qui entartrait sa sève. Son feuillage, son épais feuillage verdi de nouveau… et il m’enlace. Si tendrement. Si plein d’amour.

Mais avec force.

Une note de brutalité.

Comme un bourgeon qui se déploie enfin. Chassant loin de lui l’hiver et embrassant avec fougue le printemps arrivant ! Une froide matinée de février…

L’écorce est froide mais la sève est chaude.

Comme ses pulsations sont fortes ! Comme son cœur bat puissamment près du mien. Avec le mien. En écho. En cadence.

Dieu aime les choses vagues.

C’est Son image que je sens près de moi. Le saule disparait presque quand au-devant de moi le monde s’éveille enfin et que, en écho à Sa volonté, à Son envie, à Son désir, mille bourgeons se déploient et germent enfin dans l’étreinte chaude de Sa passion aimante.

Dieu aime les choses vagues.

Et les oiseaux sont des images si trompeuses de Son amour…

*

Alors que le ciel s’éclaircit peu à peu, par vagues et par saccades, les volatiles tant attendus se plaisent de nouveau à noircir le ciel de leurs aimables caprices.

L’azur, tacheté de nacre, est noirci de couleur.

Peu à peu le sol lui-même s’éveille et laisse s’envoler dans l’air ses sudations musquées. Le monde s’enivre. Sa passion est aphrodisiaque.

J’entends soudain le tintamarre doucereux de jadis. C’était il y a des siècles me semble-t-il. Des millénaires peut-être !

Les Heureux (et autres faunes) — Oh ! Un visage ami ! Enfin, ce qu’il en reste ! Bon sang, ce que vous avez vieilli !

Ce n’était pas faute de vous avoir prévenu… Voyez ce qu’un hiver a fait à votre âme, alors que nous sommes plus jeunes et plus beaux que jamais ! C’est bien qu’au soleil, on ne prend pas une ride !

? (Le Glabre) — …

Les Heureux (et autres faunes) — Regardez mes amis (ils se parlent entre eux) ! Voyez ce qu’il ne faut jamais faire ! Que son visage blême et son crâne ébouriffé vous soient témoins qu’il ne faut jamais s’aventurer au-delà de l’étreinte protectrice du soleil ! Voyez ces ongles racornis et sa peau ridée. Elle est si dure et sèche que l’on croirait de l’écorce !

? (Le Glabre) — …

Les Heureux (et autres faunes) — Il est catatonique. Ah, que cela nous serve de leçon ! Pensons bien à colporter partout qu’il faut se moquer des fous et des égarés. Je ne sais s’ils pèchent par infidélité ou par audace ! Mais il est certain qu’une minute à leur côté peut valoir un siècle en enfer !

? (Le Glabre) — …

Les Heureux (et autres faunes) — Nous vous laissons l’ami. Que les cieux aient pitié de vous. Nous suivons les oiseaux. Eux seuls ont toujours raison.

Bon vent !

*

Dieu aime les choses vagues. On ne peut pas agir s’il n’y a rien à ACTIONNER.

Le monde croît et s’ébroue tant autour de moi qu’il en devient étouffant. Les oiseaux passent en trombes.

Les Heureux se noient dans leurs yeux.

Tant de passions… Tant de désir… Ah ! Tant de vie !

Y a-t-il de l’amour ?

Dieu aime les choses vagues. On ne peut pas AIMER s’il y a des distinctions.

*

Dans le tourbillon bienheureux qui se meut tout autour de moi, j’aperçois une figure lointaine. Si familière et en même temps si étrangère. Quelle est-elle ? Comme les couleurs sont nouvelles ! Et comme elles sont anciennes !

Et cette musique est une ode à l’enfance…

Le Luthain (Mortifuge) — Ah ça par exemple ! En voilà un qui est passé par tout le spectre de la Grande Palette de Couleurs ! D’une jeune pousse avec rien à montrer au bout de sa barbe, vous voilà maintenant un fier arbuste feuillu !

Et bon sang quel teint !

? (Le Glabre) — …

Le Luthain (Mortifuge) — À ce point ? Vous plaisantez !

? (Le Glabre) — …

Le Luthain (Mortifuge) — Ah non je ne veux pas l’entendre ! Loin de moi ces mots-là ! Vous avez muri, mais n’exagérez pas tout de même !

? (Le Glabre) — …

Le Luthain (Mortifuge) — Vous voulez que je vous dise votre problème ? Trop arrogant ! Où est-il passé ce p’tit tas de boue, tout doux, tout chou, qui faisait la moue contre mon front roux ? Il est là ! Il se prend de grands airs ! Vous croyez que vous valez mieux que les autres ?! Allons. Ce n’est pas sérieux. Même pour moi.

Ça ne vous donne pas l’air sage. Simplement idiot.

? (Le Glabre) — …

Le Luthain (Mortifuge) — Vraiment ? Eh bien peut-être ai-je tord. Vous dites que vous avez vu qui ?

? (Le Glabre) — …

Le Luthain (Mortifuge) — Dans ce cas-là. Je n’ai rien à dire ! Je doute de votre honnêteté, pour sûr ! Je ne sais si vous parlez vrai. Je me méfie de vos couleurs… Mais après tout… Enfin peut-être bien que oui.

Quoi qu’il en soit, j’admire votre courage ! Les cieux vous remercient !

Vous avez bien agi.

Vous avez fait le bon choix.

Mais à quel prix ?…

*

Et les oiseaux dans les cieux très haut, dans les azurs les plus bleus, tournaient autour du monde sans jamais l’écouter !

Les volatiles de paradis s’en allaient et venaient de par le monde sans jamais l’écorcher.

Et s’approchait de moi.

Sans me voir ni m’entendre.

Et je ne m’ébrouais pas.

Je ne vois ni n’entends plus rien.

Attendais-je encore ?

Qui attendais-je ?

J’étais humblement hirsute.

Une peau brune et grise, aussi sèche et ridée que les crevasses d’un désert.

Et un halo vert ceignait ma couronne…

Comme une terre fertile abritant un jeune plant.

Comme le ventre aimant de la terre protégeant un cœur pourpre.

La Lumière et le Vent convergeaient vers moi.

Comme on retrouve un frère perdu depuis longtemps.

Elle était sottement accoutrée.

Une chevelure qui ne touchait plus les astres.

Et des coquilles de noix pour accompagner sa fanfare…

Comme un vin mélangé à la boue.

Comme une tourbe divine lâchée là par les cieux.

La terre et les ombres la dévoraient du regard.

Comme on désire un festin depuis trop longtemps attendu.

*

J’ai longtemps marché seul en hiver. Je progressais accompagné de mes songes, rêvant parfois de l’aurore, sans jamais l’espérer. Des landes brunes, grises ou bleu pâle que m’offrait le monde, j’ai projeté au-devant de moi mes pensers printaniers. Et si mon corps est en Printemps désormais, mon âme et mon cœur résident en Hiver.

Et j’ai rêvé d’oiseaux. À l’apogée des nuits, j’ai connu leur langage…

Et j’ai longtemps rêvé d’eux, espérant en secret qu’ils usent un jour de leur liberté pour venir me trouver…

Et m’aimer quelque temps.

M’aimer le temps d’un soupir.

Le temps d’un printemps.

Et aujourd’hui il ne me reste que des plumes.

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