Scène 7 - Mont Tianzi

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Puis la lumière l’aveugla, le forçant à clore ses paupières pour protéger ses rétines. Petit à petit, ses yeux s’habituèrent au soleil qui inondait le paysage dans lequel il se trouvait.

Au lointain, plusieurs colonnes montagneuses surgissaient au-dessus des nuages. Leurs flans nus laissaient apparaître la roche rose et rugueuse, tandis que, sur leurs sommets coupants, la pierre disparaissait derrière une végétation luxuriante. Immanquablement, le regard de Christopher fut aspiré par le vide. Il chercha où s’enracinaient ces montagnes, mais arbres et nuages dissimulaient le sol. C’était comme si les monts volaient, comme s’ils étaient suspendus dans le ciel, à une altitude inconnue.

Lui-même ne savait pas à quelle altitude il se trouvait !

Il observa ses chaussures et vit qu’il marchait dans les airs, plus d’une centaine de mètres au-dessus de la canopée. Aussitôt, la chute lui parut inévitable, son ventre se retourna. La perspective de tomber d’une telle hauteur lui hérissa tous les poils du corps et, par réflexe, il s’accroupit pour se rapprocher du sol, se cramponner n’importe où.

Ses doigts reconnurent alors la sensation inimitable du bois. Un plancher.

Évidemment, il se trouvait toujours dans la même pièce, à Paris.

— Vous pouvez vous redresser, Monsieur Lourme, affirma la voix de Brice Richard qui semblait parvenir d’un morceau de ciel. Vous ne pouvez pas tomber.

— Où suis-je ? interrogea-t-il, constatant que sa propre voix transpirait la panique.

Il chercha tout autour de lui. Où qu’il pose les yeux, à 360 degrés, ce n’était qu’un horizon sans fin de pics rocheux émergeant d’un gouffre vertigineux.

— Ce sont les monts Tianzi, en Chine. La montagne qui vous fait face domine à 1074 mètres. Elle a inspiré James Cameron pour son film Avatar.

— Formidable, ironisa Christopher, qui ne parvenait toujours pas à se risquer au moindre mouvement. Comment on arrête ça ?

— Ne vous inquiétez pas. Ce n’est qu’une représentation de la réalité. Vous n’êtes pas en Chine. Vous ne pouvez pas tomber.

Christopher eut un rire jaune. Tout irréel qu’il soit, ce paysage gigantesque l’emprisonnait dans cette posture grotesque. Il songea à retirer son casque, mais l’idée de rompre le contact avec le sol lui était inconcevable.

— Pouvez-vous arrêter ça ? répéta-t-il, la voix moins assurée qu’il ne l’aurait voulu.

Soudain, les monts Tianzi disparurent, remplacés par une obscurité de cinéma. Il fallut pourtant encore un instant à Christopher pour se remettre de ses émotions.

Il retira le casque.

— C’est si impressionnant que ça ? voulu savoir Clarice.

— Comme si j’y étais.

Il fallut ensuite sortir le scanner de sa valise. Les agents observèrent le directeur ouvrir l’appareil pour récupérer la carte SD qu’il contenait.

— Il faudra être patient, expliqua-t-il. Le scanner contient des données brutes que l’ordinateur doit traiter pour qu’on puisse les envoyer à Francis. La technologie RM permet de voir sans lumière à plus de 500 mètres et avec une acuité inégalable, tout cela en trois dimensions. C’est comme avoir des yeux partout dans un espace donné : sous les meubles, derrière les portes, il n’y a pas de limites. Par contre, comme une vraie maquette fraîchement assemblée, c’est une surface unie, sans couleur et sans jeux d’ombres. L’ordinateur utilise le nuage de points qu’il associe à de la photographie traditionnelle pour « peindre » cette maquette vierge. Il va ajouter de la lumière et de la couleur. Ce procédé prend un peu de temps.

— Cela va être long ? s’inquiéta Clarice.

— Moins d’une demi-heure.

Ils profitèrent de ce temps pour interroger Brice Richard sur le rôle des chasseurs de paysage sur le terrain. Ils apprirent ainsi que plus de 2000 « hunters » sillonnaient la France. Chacun d’entre eux pouvait numériser un territoire de 20 hectares en une seule journée.

— Est-ce que vous numérisez l’intérieur des habitations ? s’enquit Christopher.

— Non. Nous respectons strictement le droit à la propriété privée. Nous voulons limiter au maximum les procès, nous protéger. Nous avons tiré des enseignements de l’expérience Google Earth, nous avons anticipé. Cette fois, il est hors de question de se retrouver à nouveau attaqués par un imbécile qui urine dans sa cour.

Brice Richard accompagna son anecdote d’un ricanement peu convaincant.

— Je me rappelle de cette histoire, coupa Clarice, mais je ne comprends plus. Je croyais que votre scanner 3D pouvait photographier à travers les murs ! Qu’il pouvait donc voir à l’intérieur des pièces, et donc des bâtiments…

Brice Richard inspira, visiblement embarrassé.

— Si, si. Il le peut. C’est le traitement informatique qui est paramétré pour éviter l’intrusion dans la vie privée des personnes. Le scanner 3D prend absolument tout en capture, mais nous superposons les données brutes avec une cartographie officielle qui distingue les lieux publics et les espaces privés. La machine efface alors les données que nous ne sommes pas autorisés à utiliser. L’intérieur de votre maison par exemple.

Aussitôt, Christopher lorgna du côté de l’ordinateur. En ce moment-même, les données qui les intéressaient étaient peut-être en train d’être supprimées. Clarice et lui échangèrent un regard inquiet.

— Est-ce que les écoles sont des lieux publics ?

— Oui. Pourquoi ?

Christopher soupira de soulagement sous le regard accusateur de sa supérieure. Il reprit aussitôt un visage aussi inexpressif sue possible. Quelques minutes plus tard, Brice Richard annonça :

— C’est presque terminé.

Il se tourna vers l’écran, et des rides d’inquiétude apparurent sur son visage.

— Un problème ? demanda Clarice.

— Pas vraiment. Seulement… C’est inhabituel. Pour commencer, la zone qui aurait dû être quadrillée est incomplète. Ensuite, le logiciel me signale que le Chasseur a pris plusieurs captures au même endroit. En fait, les six dernières prises ont été faites au même endroit.

Christopher dû prendre sur lui pour ne pas montrer l’excitation qu’il ressentait à cet instant. Sarah Mouet avait sûrement tenté de prendre ces captures au moment où elle avait compris qu’une chose grave se produisait.

— Si vous voulez, je peux supprimer les données en excès ? proposa Brice Richard.

— Non, l’interrompirent les deux agents d’une même voix.

— Comme vous voulez, mais vous allez avoir de l’écho.

— De l’écho ?

— L’image risque d’être floue, et même étrange. Les différentes captures vont être superposées. Les feuilles des arbres qui bougent sous l’effet du vent vont avoir des formes insolites, être un peu floues. Et vous risquez de voir la même personne en triple si elle s’est déplacée… Pire, si la personne n’a bougé que le bras, alors vous verrez une personne avec trois bras, vous comprenez ?

— Nous comprenons, répondit Clarice.

Alors, de nouveau, l’agent Lourme se positionna au centre de la pièce. Puisqu’il aurait besoin de se déplacer, Brice Richard lui confia un joystick.

— Attention, dit-il, vous aurez le réflexe de vouloir marcher pour de vrai, mais il faut avancer dans le monde virtuel et seulement dans le monde virtuel. Sinon, vous allez foncer dans un mur, forcément. Donc, on ne se déplace pas. Vous pouvez utiliser le joystick pour vous diriger sans bouger pour de vrai. Au départ, cet outil aide. Plus tard, on apprend à s’en passer.

— Comment peut-on s’en passer ?

— Ce n’est pas le doigt qui dicte le mouvement à Francis, c’est votre volonté.

— Cette chose lit dans mes pensées ?

— On peut dire ça comme ça.

— Rassurant.

— Allons. Vous pouvez vous sentir en sécurité. Cette machine lit vos pensées, c’est vrai, mais elle ne comprend que ce qu’elle est programmée à comprendre.

Pas beaucoup plus rassuré, Christopher remit le casque de réalité virtuelle sur sa tête. Comme la fois précédente, l’obscurité l’entoura, puis rapidement une lumière aveuglante l’obligea à fermer les yeux. L’image qui se présenta à lui fut nettement moins impressionnante que celle des pics des monts Tianzi.

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