Chapitre 1

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Marguerite aimait danser à la vue de tous. Ses vêtements avaient été retirés pour dévoiler ses chevilles fines et délicates, ses mollets à la musculature finement ciselée, ses hanches rondes, sa vulve discrète sous un nid de poils épais, son ventre très légèrement rond, ses seins lourds aux mamelons d’un rose si clair qu’il se confondait avec sa peau et finalement sa barbe épaisse qui cachait une partie de sa gorge. Ses grands yeux de biches aux reflets verts auraient pu attirer l’attention de part leurs éclats joueurs, mais c’étaient bel et bien ses mouvements, hypnotiques, qui concentraient toute l’attention du public.

Marguerite aimait les frôler, faisant vaciller leurs projections holographiques. Aucun d’entre eux n’étaient présent physiquement dans cette pièce. Le contraire aurait été hautement inconvenant. Plus qu’inconvenant en réalité. Décadent peut-être. Tout en dansant, cherchant à faire transparaître la grâce jusqu’au bout de ses doigts, Marguerite ne pensait qu’à ça. Qui pourrait vouloir d’un contact physique quel qu’il soit ? Sa propre barbe, longue, glissa contre sa clavicule lui tirant un frisson. Un tel contact était bien assez suffisant pour éveiller les sens. Il n’y avait pas besoin de plus.

En enchainant les mouvements pour exprimer toute sa joie de pouvoir ainsi danser, Marguerite essaya de chasser ces pensées qui lui étaient pénibles. Jamais elles n’auraient dû se faire aussi pressantes, à hanter ainsi son esprit. Seulement, depuis que Anthoea lui avait annoncé son choix, l’incompréhension n’arrêtait pas de revenir. Pourquoi une personne censée voudrait-elle rentrer en contact physique avec quelqu’un d’autre ? Anthoea ne lui avait jamais semblé manquer d’esprit jusqu’à présent. Leur amitié était sincère, mais également longue. C’était peut-être pour ça que la surprise était d’autant plus forte.

Marguerite plaça son final et s’immobilisa, en haletant, le souffle court. Son corps s’était recouvert d’un film de transpiration délicat qui faisait luire sa peau au milieu des projecteurs tamisés. Le sourire aux lèvres, en saluant le public pour terminer la représentation, ses pensées étaient néanmoins toujours concentrées sur l’idée d’une rencontre physique. Oh Anthoea ne le lui avait pas proposé. A croire que sa réponse était des plus évidentes, jamais oh grand jamais un « oui » n’aurait franchit ses lèvres. Pas que le système coordonnant leurs déplacements -rarissimes !- aurait permis une telle rencontre !

- Tu as l’air ailleurs…

Marguerite sursauta et se retourna vers la projection. Anthoea était toujours là. C’était leur habitude, mais il n’aurait pas été étonnant qu’elle change aujourd’hui. Après tout, l’annonce s’en était suivi d’une dispute assez virulente. Marguerite craignait pour sa sécurité.

Attrapant une serviette pour s’éponger le front -ou plutôt pour se redonner un peu de contenance-, Marguerite prit le temps de souffler. Retourner aussi vite dans un affrontement avec une personne qui lui était aussi chère qu’Anthoea lui était vraiment pénible. Et puis, quel argument pourrait faire flancher une décision aussi extrême ? Anthoea avait dû y réfléchir un long moment avant de l’admettre, et un plus long moment encore, avant d’oser lui en parler, …

- Tu as déjà fait ta demande ? demanda finalement Marguerite en se redressant tout en faisant rouler les muscles délicats de ses épaules.
- Non… J’aurais aimé avoir ton soutien avant.

Marguerite soupira en comprenant parfaitement ce qui lui était demandé mais comment soutenir un choix aussi insensé. Doucement, d’une voix cassée, Marguerite fit remarquer :

- Il faut être deux pour que ce programme s’active.
- Oui… Cela pourrait prendre des années…
- Ou des siècles.
- Ou des siècles, en effet. A moins que quelqu’un ait déjà fait une demande similaire.

Dans son fauteuil virtuel, l’hologramme d’Anthoea avait l’air parfaitement détendu, presque las.

- Tu connais quelqu’un qui a fait ce genre de demande ?

Anthoea eut un sourire piteux. En dehors de Marguerite, ses fréquentations étaient réduites à presque rien. Son état d’esprit l’avait toujours conduit à la solitude et jusqu’à présent, ça n’avait jamais été problématique…

- Tu sais bien que non.
- Alors c’est un espoir ?
- Oui… J’y pense depuis longtemps.

Marguerite se laissa tomber. Sous ses fesses nues, le sol était doux et moelleux, légèrement tiède. C’était celui qui lui avait semblé le plus adapté pour sa salle de danse et de représentation, mais à cet instant, un sol froid et dur comme du métal aurait été préférable à ses yeux.

- Aucun programme d’animalité n’a été débloqué depuis la grande séparation, remarqua sagement Marguerite.
- Tu as vérifié ?
- Oui… Je l’ai fait. Je me demandais si d’autres avaient été assez fou pour prendre ce risque… Je suppose que tu as pensé aux contagions ?
- Oui…
- Et aux potentielles blessures ? Volontaires ou non ?
- Oui…

Marguerite se laissa tomber en arrière, arquant son dos et faisant ressortir sa poitrine voluptueuse. Anthoea avait déjà répondu à ces questions. Plusieurs fois même. Passant une main lasse dans ses courts cheveux bruns, Anthoea soupira. La confiance en soi ne lui avait jamais manqué et même en cet instant, dans son esprit, son choix ne faisait pas le moindre doute. Seulement, parmi la liste de ses certitudes, il y avait un fait tout simple qui venait freiner sa demande : au cours du programme, il y aurait des moments pénibles où il faudrait se dépasser et le faire sans soutien serait d’autant plus dur.

Marguerite s’entraînait chaque jour à en avoir des crampes, des courbatures, des douleurs et des doutes. Certains mouvements semblaient impossibles même en faisant modeler le corps idéal pour l’exercice. Le programme de découverte de la danse n’était absolument pas anecdotique à suivre. Aucun programme ne l’était en réalité. Anthoea ne comptait pas le nombre de fois où il avait fallu changer ses mains, modifier son corps, ajouter des muscles à ses bras ou à ses épaules pour pouvoir suivre son propre programme. La sculpture était parfois tout aussi exigeante que la danse. Ce nouveau choix le serait bien plus encore. Pour la première fois, il ne s’agirait pas juste d’un dépassement physique ou d’un exercice de concentration ou même de créativité. Le dépassement devrait également être émotionnel. Améliorer le corps ne suffirait pas, pas quand il s’agissait de se livrer aussi complètement.

- C’est dégoutant… finit par émettre Marguerite.
- Oui, certaines choses le seront.
- Tout tu veux dire.

Anthoea éclata d’un rire sans joie avant d’acquiescer, concédant ce point sans soucis. Marguerite finit par lâcher, d’une voix un peu défaite :

- Je serai là à chaque fois que tu m’appelleras. Pas physiquement… mais je serais là.
- Merci.
- Je ne te promet pas d’arriver à te plaindre par contre…
- Ce n’est pas ce que je demande.

Marguerite acquiesça, sombrement, en effet ce qu’on lui demandait été bien plus complexe que ça. C’était de l’acceptation et de la présence. Ne pas fuir quand cette personne adorée serait au fond du trou en se demandant si son choix était le bon car cela arriverait sans doute et ce serait alors son rôle de la soutenir.

- Il y a combien de programmes potentiels ?
- Un paquet… J’ai choisi un sous-programme d’animalité. La sexualité à travers les âges. Il y a un peu de tout dedans. Je pourrais commencer seul.
- Il existe un programme autour de la masturbation non ?
- Oui…
- Mais ce n’est pas ce qui t’intéresse.
- Non…

Marguerite acquiesça tristement.

- Tu as déjà choisi le corps que tu utiliserais ?

Anthoea lui fit le premier sourire sincère depuis le début de la conversation. Actuellement, son corps était taillé pour la sculpture. Ses choix s’étaient portés des muscles forts, de longs bras, de longs doigts, des cheveux courts, des yeux noirs qui ne craignaient pas les lumières vives, … Tout ses choix étaient purement fonctionnels. Son torse était plat, dépourvu de seins proéminant pour plus de praticités et exactement pour les mêmes raisons, une vulve discrète avait pris place entre ses cuisses. S’il n’avait pas fallu maintenir des fonctions urinaires, tout aurait pu être retirés pour la différence que cela faisait. A ses yeux, ce n’était pas un corps idéal pour la découverte de la sexualité.

- Non, mais le programme impose des variations de corps pour être pleinement validé.
- Oh ! Ça va te faire bizarre…

Effectivement, si certains changeaient de corps chaque jour ou presque, Anthoea faisait partie des gens stables qui ne se modifiaient qu’en cas de nécessité ou pour pratiquer une nouvelle activité.

- Oui…
- A travers les âges… En termes de corps ça veut dire quoi exactement ?
- Au début, il y avait des corps masculins et des corps féminins.
- Ah… C’est à dire ?
- Les corps féminins possédaient des hanches plus larges, une vulve, des seins proéminant, … Un utérus également afin de porter les enfants. Les corps masculins possédaient des pénis, des testicules, un torse plat, des muscles plus développés, souvent davantage de pilosités, … Cela supposait des différences hormonales également.

Tout en l’écoutant, Marguerite avait commencé à glisser ses doigts dans ses longs cheveux noirs bouclés, pour en retirer les nœuds qui s’y étaient formés.

- Deux combinaisons types donc c’est ça ?
- Oui, définies à la naissance…
- Et personne de différents ?
- Très peu et très mal vu si j’ai bien compris.
- Bizarre…
- Ouais, mais le programme n’impose pas de suivre ces deux modèles types…
- Encore heureux !

Anthoea acquiesça silencieusement. Ça ne l’aurait pas spécialement dérangé, mais cela laissait bien peu de possibilité tout de même.

- Je te demanderais bien de m’aider à choisir, mais je me disais que ça pourrait être utile de me coordonner avec la seconde…

Anthoea se tut un instant et Marguerite compléta sinistrement :

- Avec la seconde personne.
- Oui… c’est ça.

Le silence s’éternisa devant cette simple idée. Le cœur d’Anthoea battait un peu vite sous l’appréhension et la joie qui se partageait dans son esprit. Sur le peu de personnes qui habitaient la tour, qui pourrait demander un tel programme ? Le cœur de Marguerite se serrait et son estomac se faisait douloureux sous l’angoisse sourde ressentie… A part une catastrophe, que pourrait-il découler d’une telle folie ?

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