Quatrième Partie — Parfaite

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Je n’avais aucune idée de ce que pouvait être l’amitié. J’avais jamais vraiment eu de BFF (Best Friend Forever), ni de confident.e, ni personne avec qui échanger des bracelets ou colliers assortis.

Pour ainsi dire, ma seule « amie » était ma grand-mère…

Ce qui est plutôt triste quand on a sept ans.

À défaut de me lier avec les autres enfants, je collectionnais les bourreaux. Le primaire a été ma grande découverte de la cruauté du monde.

Le racisme, d’abords. Parce que j’étais plus foncée que les autres, pas de beaucoup, juste assez pour déranger.

Mes cheveux frisés — mes beaux cheveux — devenaient des armes qu’on utilisait pour m’humilier.

Je n’étais plus Marina. J’étais le mouton noir. Le palmier. Je n’existais plus vraiment.

On me faisait des croches-pattes dans les escaliers, on me bousculait, m’accusait de vol ; j’étais la faire-valoir parfaite. J’avais pas d’amis. Seule. Vulnérable.

La cible idéale…

Et je croyais que le collège changerait les choses. Je m’étais promis que ce serait différent. Quitte à devenir quelqu’un d’autre. Je préférais être mal accompagnée que seule.

*

Je me souviens du stress, le jour de la rentrée. J’avais la boule au ventre. Je ne connaissais personne. Juste quelques visages, vaguement familiers.

Et puis, la semaine suivante, je me suis fait ma première amie. Puis deux. Puis un groupe. Et j’étais heureuse.

La nouvelle Marina avait réussi. Elle n’était plus seule. Elle avait des potes avec qui sortir, faire du roller, traîner au skatepark, aller au lac. Plus tard, elle aurait ses premières cuites avec eux. Ses meilleures soirées.

Alors, quand ils se moquaient d’elle « pour rire », elle riait avec eux. Quand ils lui collèrent l’étiquette de la victime, elle a ri aussi. Quand l’un d’entre l’a prise comme cobaye dans une démo d’arts martiaux, elle a ri encore.

Elle rentrait avec des bleus, mais elle s’était bien amusée. Elle riait d’elle-même avec eux. Elle ne se plaignait jamais.

Cette Marina-là n’était pas chiante. Elle ne pouvait pas se permettre d’être susceptible : elle aurait dérangé. Et puis, c’étaient ses amis, non ? Ils ne pensaient pas ce qu’ils disaient. Ils jouaient. Juste des jeux entre potes...

J’ai fini par me perdre entre celle que j’étais et celle que je pensais devoir être

pour qu’on m’aime.

*

Je me suis construite comme ça : en pensant que je devais être celle qu’on attendait de moi. Ne surtout pas laisser de place à celle que j’étais vraiment.

Chez ma mère, je n’existais pas. Je devais m’occuper d’elle. J’avais six ans quand j’ai commencé à vider les bouteilles d’alcool dans l’évier, en pleine journée. À la tirer par le bras quand elle s’énervait sur des inconnus dans la rue. À la ramener à la maison quand elle avait trop bu avec les SDF du quartier. J’ai appris par cœur le numéro de mon père. Au cas où.

C’est à cette période que j’ai commencé à faire des cauchemars. J’y voyais ma mère en sang, le crâne éclaté sur le trottoir. Ou ivre morte, affalée sur le canapé de notre vieille maison. Le pire, c’est que je n’avais pas peur que ça arrive. Je… voulais que ça arrive. Dans ces rêves, j’étais soulagée. Libérée.

Et je me détestais de ressentir ça.

Je me rappelle d’une après-midi… Il faisait beau, pas vraiment chaud, mais suffisamment pour s’habiller léger. J’étais avec ma mère, nous remontions la place de la mairie de la ville où j’ai grandi. Je devais avoir 6 ou 7 ans… Elle avait bu. Trop bu. Deux policiers à pieds ont fini par l’interpeller, elle était même pas capable de répondre à leur question.

Alors, j’ai pris le relais.

Je les ai guidés jusqu’au chantier où travaillait mon père. Je me souviens qu’on m’avait félicité pour ma maturité, mais je n’avais ressenti aucune fierté.

Mon père, lui, pleurait souvent à cause de sa séparation avec ma mère. Il se raccrochait à moi. J’étais sa bouée de sauvetage. La voix de ma grand-mère faisait que me dire que c’était ma présence dans sa vie qui le maintenait en vie. Un poids trop lourd pour mes petites épaules.

Mon insouciance s’est envolée à travers ce divorce. Je devais être le pilier qui gardait mon père en vie. Je devais être plus que Marina. Je devais être parfaite.

Je ne pouvais pas faire de vagues. J’étais la petite fille sage, presque passive. Celle qui reste silencieuse, dans son coin. La gamine qui reste sagement à attendre que la colère se déverse sur elle et imprègne chacune de ses cellules encore en construction. Mon père a déversé sa frustration et sa tristesse sur moi. Il les a gravés au fer rouge dans mon esprit à base de « Tes bonnes à rien ! », « Tu finiras comme ta mère ! », « T’as rien dans le crâne ! ».

Et de l’autre côté, ma seule alliée, ma mamie, elle me disait de lui pardonner, de me laisser faire pour ne pas aggraver la situation. Je devais taire mon indignation, ma colère, ma frustration, ma douleur… J’ai tout enfoui, aussi profondément que possible. Et très vite, je suis tombée dans cette spirale où j’avais de l’affection pour mon bourreau, je lui trouvais des excuses. Même lorsqu’il a levé la main sur moi, la première et dernière fois. Même lorsqu’il m’a dit « J’aurais préféré me couper les couilles plutôt que de mettre ta mère enceinte. ».

Je n’ai rien dit.

Lorsqu’on m’a harcelé et discriminé au collège.

Je n’ai rien dit.

Lorsque j’ai été violée.

Je n’ai rien dit.

Lorsqu’un ex a failli me tuer.

Je n’ai rien dit.

Et j’ai rien dit non plus quand j’ai avalé ces 30 cachetons pour disparaître.

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