• Un accident ? répéta mécaniquement Alice.

Virgile hocha la tête. Alice détourna le regard. Visiblement, cette nouvelle semblait la déstabiliser ou du moins, remettre en cause toute une stratégie, tout un plan qu'elle avait mis au point. Tout en parlant Alice s'était rapproché de Virgile. Elle semblait encore plus jeune qu'il ne l'avait supposé au départ. Sa nuque qui était à découvert laissait apparaître une peau plutôt blanche et pâle, parsemé de petites taches de rousseur et recouverte d'un fin duvet comme celle d'un bébé. Malgré la situation, cette proximité ne put qu'embarrasser Virgile et se traduire par un petit mouvement de recul gêné. Alice le sentit et alla ficher son regard dans le sien avec une dureté qu'il était difficile de décrire.

• Qu'est-ce qu'il y a ? Tu penses à quelque chose ?

De toute évidence, Alice ne s'était rendu compte de rien. Voyant qu'aucune réponse ne s'esquissait sur les lèvres de Virgile, Alice enchaîna :

• Je comptais pourtant sur toi pour pouvoir localiser ce livre.

Virgile eut un sourire niais et compatissant.

• Je suis... Désolé.

La jeune fille ne sembla pas émue par cette moue.

• Comment est-ce arrivé ? Tu vas me dire que tu ne t'en souviens pas non plus, je parie...

Virgile secoua la tête.

• C'est bien ma veine.

Il y eut ensuite quelques longues minutes de silence. Virgile ne savait quoi dire et Alice semblait plongée dans ses pensées, sûrement en train d'essayer d'élaborer un autre plan de substitution. Puis Virgile osa poser une question.

• Il y a une chose que je ne comprends pas, Alice. C'est quoi le problème avec Nahash ? Et qu'est-ce qui te préoccupe autant ? En fait... C'est quoi l'enjeu de tout cela ? J'ai l'impression qu'on essaie d'échapper à un drame, de la manière dont tu le présentes mais lequel ?

Encore une fois, Alice sembla surprise de la question mais elle se ressaisit assez vite.

• Nahash... Ce n'est pas qu'un pseudo. Tu te dis sûrement que c'est juste un truc limité à la sphère virtuelle... Alors pourquoi s'en préoccuper ? Sauf qu'en fait, la réalité n'a rien de virtuel. C'est plus complexe, c'est plus subtil. C'est plus vicieux pour être plus direct. Tu connais sûrement Nahash dans les textes anciens. Nahash n'a pas choisi de s'appeler ainsi par hasard.
• Nahash est quelqu'un ?

Alice secoua la tête.

• Nan. C'est une entité pensante, autonome.
• Ça existe ça ?

Alice lança à Virgile un regard dédaigneux.

• Tu peux faire comme si ça n'existait pas comme le fait la majorité des gens mais il n'empêche qu'effectivement, ça existe. En vérité, c'est très compliqué de les mettre en évidence, comme c'est compliqué de les définir. Le premier obstacle pour démontrer qu'elles existent, c'est leur proximité avec les IA. Les gens sont tellement habitués à avoir affaire à des IA dont ils ne comprennent pas comment elles fonctionnent que lorsqu'ils rencontrent une entité autonome, ils sont incapables de les distinguer. Et pourtant, c'est assez facile de faire la différence. Lorsque tu interagis avec une IA, peu importe comment tu le fais, à une question, l'IA t'apportera une réponse et quand tu l'entendras, tu pourras obligatoirement remonter le raisonnement qui en a été l'origine. Tu ne peux pas être surpris par une IA. A part par sa stupidité ou son manque de tact. Mais ce n'est pas vraiment de la surprise, c'était plutôt sur le mode : j'aurais dû m'en douter.
• Je crois que je saisis ce que tu veux dire sans peine, murmura Virgile.
• J'ai parlé avec Nahash.

Alice se redressa et soutenu le regard interrogateur de Virgile.

• Oui. Je lui ai parlé. J'ai essayé de la faire de la manière la plus naturelle possible. Au début, je pensais que c'était vraiment quelqu'un, une personne physique, je veux dire. Mais je ne voulais pas qu'elle sache pourquoi je l'abordais. Et je peux dire que ça m'a plus que troublée. Je savais qu'elles existaient, ces entités. Je veux dire que beaucoup savent qu'elles existent mais en fait, la plupart des gens affirment que c'est le cas plus par envie que par conviction. Cela tient souvent à l'envie d'entretenir une sorte de légende urbaine. Même si toutes les preuves concordent, les gens vont laisser planer le doute parce qu'ils ne veulent pas passer pour des personnes complètement folles ou ravagées. L'apparence est tellement importante à l'heure actuelle qu'on est capable de défaire une partie de nous pour éviter de trop dépareiller du reste. C'est triste mais c'est comme cela. Nahash, quand je lui ai parlé pour la première fois, c'était pour évoquer ses loisirs. Je dois dire qu'il était plus que convaincant. J'ai eu un petit ami qui était féru de moto et plus précisément de courses sauvages. Et là, je dois dire que j'ai failli me laisser séduire.

Virgile arqua un sourcil.

• Tu es fan de courses sauvages ?

Alice lui lança un regard dépité.

• Bien sûr que non. Mais j'aime les gens passionnés.

Alice poursuivit son récit. Elle décrivit tout ce qu'elle avait dû faire pour démasquer la nature véritable du fameux « Nahash ». Elle avait usé de tous les stratagèmes et d'identités multiples pour l'approcher et se rendre compte d'une chose primordiale :

• Etant donné le nombre d'interactions sociales que Nahash était capable d'avoir à la minute, il était impossible que cette entité puisse être humaine. C'est comme cela que j'ai pu me forger ma propre conviction, fit Alice.
• Et pour son but ?
• Son but ?
• Oui, l'objectif qu'il tente d'atteindre et qui mérite qu'on s'inquiète. Je ne sais pas. Tu dois bien avoir une raison logique de craindre quelque chose de cette entité. En soi, elle n'a pas l'air si méchante.
• C'est vrai. Elle n'a pas l'air. Et je crois qu'elle n'aurait jamais eu l'air de quoique ce soit, si elle n'avait jamais rencontré mon programme.