Chapitre 2

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Trop tard. La flèche siffla et se ficha dans l'œil de l'animal. Il s'écroula sans un cri. Une goutte perla comme une larme de sang. Les joues d'Annah étaient inondées de larmes. Pourquoi l'avait-elle assassiné ? C'était son animal totem ! Elle voulait lui juste donner un biscuit de maïs. La druidesse voulut fuir, s'en aller loin de ce massacre inutile. Au lieu de cela, ses pas la conduisirent près du cadavre. Elle posa son pied sur le crâne et s'arcbouta. Les bois cassèrent avec un bruit de branche morte, un son trop sec et trop propre pour ne pas révéler l'horreur de son geste. Ce n'était rien de plus qu'un meurtre vide de sens. La vue brouillée par ses larmes d'incompréhension, elle réduisit les bois en une poudre plus fine que de la poussière d'étoile grâce à un sort connu seulement de sa caste. Elle savait ce qu'on faisait de cette poudre et elle en avait d'autant plus honte. Mélangé à du venin d'iguane ailé, on en fabriquait un acide terrifiant : jeté sur une personne, il s'enfonçait sous la peau et rongeait les os. Privées de leur squelette, les victimes mourraient au bout de plusieurs mois, écrasées par leur propre poids. Depuis le début de sa quête, elle avait vendu aux alchimistes de quoi créer plusieurs litres de potion. Les pièces d'or qu'elle recevait en échange lui brûlaient à chaque fois les doigts. Elle n'avait pourtant pas besoin de cet argent mais une étrange frénésie de richesse semblait s'être emparée d'elle. Elle avait bien acheté une meilleure armure avec une fraction de cet argent mais ce surcroît de protection valait-il bien tout le mal qu'elle causerait indirectement par l'utilisation de cette potion ? Les corbeaux croassaient déjà lorsqu'elle s'éloigna. Elle avala une autre gorgée de sa gnôle pour faire passer le goût de l'amertume. Heureusement que sa quête, elle, avait un sens.

Il fallait faire cesser l'épidémie de Folie qui sévissait dans le royaume. Six mois plus tôt, le collège de haut-prêtres l'avait choisi à cette fin. Elle était née sous le signe de l'Immunité lors d'une nuit où les astres étaient entrés dans une rare conjonction. Les prêtres l'avaient donc proclamée « Élue » : la maladie ne pourrait l'atteindre. Ils avaient tort. Ils avaient raison. Sa Folie n'attaquait que son corps, pas son esprit. Elle restait consciente des gestes qu'elle ne contrôlait pas. Hélas, la druidesse aurait préféré ne pas être témoin de cette décadence. Trois longues gorgées achevèrent la bouteille. La carcasse d'argile fut jetée au hasard sur le bord du chemin. Ce geste-là ne lui ressemblait pas non plus mais à quoi bon ? C'était bien le moindre des maux qu'elle avait causé jusqu'à présent. Elle avait dû saisir toute occasion de s'entraîner pour devenir suffisamment forte et tuer la Source Zéro, le monstre apparu des ténèbres pour répandre la Folie. Le pays était infesté de bandits. Elle n'hésitait pas à les prendre pour cible. Mais pourquoi ses pas la conduisaient-elle aussi à assassiner les animaux innocents et la moindre créature ? On pouvait la suivre à la piste sanglante qu'elle laissait derrière elle avec des cadavres en guise de cailloux de Petit Poucet. Depuis le cerf, elle avait croisé trois autres loups, des gnomes ailés, des voleurs de grands chemins et même une poule. Tous morts. Maintenant, se dressait devant elle, le prochain caillou. Elle apercevait les fragments d'une ruine de l'Ancien Temps, en contrebas de la route. Elle savait ce qu'il se passerait et soupira de tristesse.

Annah s'approcha des ruines, doucement, accroupie pour ne pas se faire repérer. Elle s'arrêta derrière un roncier et observa. Autour des colonnes de marbre effondrées, mangées par le lierre, rôdaient les fantômes des Désespérés. Ils gardaient ce lieu qui avait vu leur trépas. Ils n'étaient dangereux que si on s'approchait. Rien ne l'obligeait à y aller : ces esprits étaient en harmonie avec la nature. Sa vocation de druidesse était de faciliter cette harmonie, de la créer, de la préserver. Pourtant, alors qu'elle regardait encore ces hères d'une autre époque, ses mains sortirent des flèches de jade, les seules capables de tuer à nouveau ces morts. Le trait transperça une gorge éthérée avant de se ficher dans l'omoplate du deuxième spectre. Le premier fantôme se désagrégea à partir de sa blessure, hurlant simplement sa douleur avant de disparaitre. L'autre arracha la flèche de son dos, se tourna vers l'origine de l'arme, l'aperçut. Ses yeux opaques brillèrent d'une lueur bleue et il se rua vers elle. Annah se releva et prépara son sortilège. L'esprit décocha un crochet du gauche, elle esquiva, passa sous le bras et lança sa main droite dans sa direction. Ses doigts s'enflammèrent de flammes pourpres au cœur noir. À leur contact, le fantôme s'embrasa et disparu. Il ne laissa dans les ruines que ses dernières pensées : une atmosphère de rage et de terreur envahissait les lieux.

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