Chapitre 6 : le songe d’une nuit
Ce fut la première fois depuis une éternité que mon sommeil fut paisible, bercé par le paysage sous un soleil couchant. Ce rêve ressemblait un peu à ceux que je faisais enceinte. Je savais que ce n’était pas le fruit d’un de mes souvenirs mais bien provenant d’un passé lointain qui n’était pas le mien.
Mon regard était porté sur une étendue verte recouverte de fleurs. Ma main était plongée dans le pelage d’un grand loup noir et blanc qui regardait au loin les montagnes blanches. Elles sortaient des nuages colorés d’aurore teintés d’orange et de rose. La lumière était douce mais le loup semblait en absorber une grande partie. Son poil luisant ressemblait à de la pierre d’obsidienne sur le haut de son corps, le dessous était aussi blanc que du sélénite. Il me faisait penser au parfait mélange de ces deux pierres, que j’avais vues chez le sorcier installé près de la rivière d’Argent. Un grognement survint de cet animal à la carrure majestueuse. Un frisson parcourut mon bras.
« Vois-tu le terrain se rétracter ? D’ici un mois cette plaine, chère à mon peuple pour garder nos ancêtres, disparaîtra. Les étendues divines sont broyées par les hommes et leur insatiable envie de découverte. » Sa voix traversais mon esprit tel une brume, comme si elle était le propre fruit de mes pensées. Elle était empreint de colère.
Je retiens mon souffle, ce qui me perturbait le plus dans cette voix, au-delà, que je comprenais qu’elle venait du loup c’est que je la reconnaissais. Elle appartenait au chef des envahisseurs, à Misrord. Mon regard se détourna de la montagne pour le regarder. Ma main des son pelage remonta vers le haut de son crâne pour lui caresser entre les deux oreilles.
Puis de nouveau, je me retournais cette fois pour regarder dans mon dos, j’y vis des chaumes et des grottes qui protégeaient les familles de géants dont les enfants courraient entre les feux poursuivis par d’autres loups. Ils étaient paisible. Au fond de moi un sentiment étrange naquit, il ne m’appartenait pas. Une immense peine prit mon cœur.
Misrord du le sentir, sa tête se posa sur ma hanche juste avant qu’il murmure dans mon esprit : « Mère… »
Mes yeux se fermèrent et je plongeai dans un noir intense et l’inconscience reprit possession de mon esprit et envahit ma nuit. Je me réveillais en entendant grogner l’homme qui était devenu mon maître, Misrord. Il s’était relevé, la main sur la tête, l’autre se soutenait à la table en bois.
Il venait de ramasser un gobelet de fer qui devait être rempli d’eau. Je me retiens de rire, cachant mon visage sous les draps blancs. J’étais étonnamment apaisée, je venais de passer ma première nuit sans cauchemars depuis des années. Bien que je ne me souvienne plus du rêve que j’avais fait, j’avais au moins l’impression que tout allait bien. La crise d’hier me rendait plus légère également. Je n’avais pas oublié le comportement de Misrord de la veille tellement contradictoire avec son arrivée fracassante et la tête qu’il avait jetée à mes pieds.
Je sortis de mes penser pour reporter mon regard sur Misrord. Je m’efforçais de me faire un visage neutre craignant ses foudres, je me rappelais les sautes d’humeur de Bruder quand il passait son regard sur moi alors que je souriais des bavures que faisaient notre premier fils, Auloysius.
En pensant à mes enfants, la peine se remit à peser sur mon cœur, effaçant la béatitude de ma nuit. Malgré sa grande gentillesse de la veille, je ne devais pas oublier que Misrord serait l’assassin de mes enfants. J’eus le bref réflexe de regarder par la fenêtre avant de me détourner rapidement. Je ne voulais pas que cela se reproduise, que le cauchemar recommence.
J’étais tellement dans mes pensées que je ne remarquais même pas le silence qui s’était installé. Le feu crépitant était le seul son que j’entendais, il réchauffait la pièce fraiche à cause de ce mois de mai. Le regard de Misrord était posé sur moi, il me dévisageait en fronçant les sourcils.
« Je viens de vous voir passer par une palette d’émotions. A quel point me cogner la tête contre cette table trop basse vous a-t-il perturbée ? » Me questionna-t-il, aucune colère ne transperçait dans sa voix, j’entendais juste l’incompréhension et la curiosité.
Je levai ma tête, surprise, une expression très vite balayée par mon regard plongeant dans le sien. Des que mon regard se plongea dans le sien, je sentis des picotements dans le creux de mon ventre. J’avais du mal à me cerner depuis notre rencontre mais une chose était sure, plonger mes yeux dans les siens me faisait oublier toutes mes craintes et j’en avais peur. Il donnait l’impression de percer mes secrets, comme si il cherchait à me rendre ma liberté.
Je détournais rapidement le regard pour m’échapper à cette sensation désagréable et tenta de reprendre mes esprit. Un sourire ironique se dessina sur mes lèvres, je le destinais plus à moi-même me moquant de ma situation. À une époque, mon père affectionnait se comportement et les répliques cinglantes qui en découlaient. Maintenant je n’était plus si sûr d’y parvenir sans craint le retour de bâton.
Pourtant je ne pu m’empêcher de soulevé d’une voix évitante mais qui se voulait moqueuse : « Nos tables sont-elles trop basses ou vos jambes sont-elles trop longues ? »
Il eut un rire franc qui me fit sursauter. Je retiens un mouvement de recul mais voyant la joie sur son visage, je ne pus m’empêcher de m’attendrir. Je voulais me flageller de ressentir de tel sentiment pour un ennemi mais ne pouvait empêcher mon sourire d’apparaître face a la spontanéité de Misrord.
Au final, je ne pus m’empêcher de rire, à cause de la naïveté mais aussi face au regard de louveteau intrigué que me lançai Misrord. Il s’approcha de moi et me surplombant de ses deux mètres, il me regarda sans vouloir me faire peur mais quelque chose avait changé. Son sourire avait disparu, de nouveau je vis le géant tueur qui avait franchi la porte de cette pièce. J’eu un mouvement de recul.
« Je préférerais quand vous souriez, votre visage s’illumine et j’ai l’impression d’enfin vous voir. »
Tout mon cœur s'arrêta l’espace d’un instant, ma respiration se bloqua. Sa voix avait quelque chose de nouveau, un teinte de joie et tout mon corps réagit à ce ton. Pourtant en parallèle l’angoisse remonta d’un coup sans que j’en connaisse la provenant. M’encourageait-il à rire malgré les malheurs qui s’abattaient sur moi ?
Avant même que l’on frappe à la porte, la visage de Misrord se tourna vers cette dernière. Il gronda et celle-ci s’ouvrit sur une femme que j’avais entraperçu dans la foule hier soir et Wighlem, un sourire au lèvre.
La femme avait une longue chevelure rousse dont la lumière contrastait avec la noirceur de ceux de Misrord. Elle s’approcha du nouveau chef et lui prit la main dans la sienne avant de la remonter vers son épaule et de poser sa tête contre celle-ci et imperceptiblement leur visage se frôlèrent. Ninah devait être plus petite de seulement quelques centimètres que Misrord car elle ne devait pas se mettre sur la pointe des pieds pour garder cette position.
En voyant cette scène, j’eu un pincement au cœur, exactement comme la première fois que Bruder m’avait provoquée en prenant sur ses genoux une domestique. Wighlem me regardait avec un air suffisant comme si il jubilait déjà de voir mon futur mari avec une autre.
Pourtant le contact qui rapprochait Misrord de la femme devant moi ne semblait pas être de la provocation mais un simple besoin physique qui permettait d’échanger des informations comme à la manière des animaux. Cette dernière brisa le silence qui s’était installé, je n’osais même plus lever les yeux de mes doigts qui grattaient le dos de mes mains.
« Alpha, je pense qu’il est l’heure pour vous de laisser notre dame se préparer. Lillemord vous attend pour la chasse. » Puis elle se tourna vers moi avec un grand sourire. « Je suis Ninah, ravis de vous rencontrer enfin et éveillée. »
Soudain je me souviens du brouillard qui m’avait envahit et dans lequel j’avais entendu Misrord lui parler. Ce dernier lui répondit d’ailleurs après avoir exigé que Wighlem fasse son travail : « Bien, demande à ses servantes de ramener la toilette nécessaire pour l’habiller, j’aimerai… » Il chercha ses mots comme pour cacher la véritable intention dans sa demande. « J’aimerai nettoyer ma lame… Pour tuer l’animal après la chasse… »
Je fronçais les sourcils en écho à l’air amusé de Ninah. Je ne comprenais pas bien comment son épée pourrait l’aider à tuer l’animal. A la chasse, on préconisait d’habitude le poignard pour achever l’âme en peine. Les yeux bruns de Ninah pétillaient d’amusement, elle imita un faux aire perplexe et semblait comprend le sous-entendu caché de la remarque de Misrord. Interceptant le regard froid de Misrord, Ninah pinça ses lèvres et fit mine de ne rien dire avant de sortir de la chambre.
Après l’avoir suivi du regard, il se tourna vers moi. Je n’osais pas tourner la tête pour échapper à ses yeux qui m’avalaient à chaque fois. Wighlem était attentif à chacunes des réactions de l’homme. Il était méticuleux dans a manière de me soigner ne trahissant aucune pensée. Au bout de dix minutes, il avait fini, Misrord le congédia sèchement faisant retomber le silence dans la pièce que le serviteur en sortit.
Après un instant, le son de sa voix me parut comme libérateur même s’il accentuait mon malaise : « C’est habituel dans mon peuple d’être tactile, ça nous aide à résoudre nos problèmes mineurs. Ninah est notre guérisseuse, sa mère m’a vu naître et je la voie comme ma sœur. Évitez de ressentir de la colère pour ce genre de chose cela risque de se répéter dans la journée. »
Il me laissa, les yeux ouverts d’incompréhension, ne prenant même pas son épée qui reposait près de la cheminée avant de partir. Assimilant ce qu’il venait de me dire, je craignais soudain de devoir aussi participer à de tels gestes et un frisson parcouru mon corps.
La sœur de Misrord revient avec Maidha, qui apportait un panier de fleurs cueillies à la rosée comme le voulait la tradition. La jeune fille parlait librement avec l’envahisseur et semblait ravit de pouvoir m’aider à m’habiller. Cette servante avait fait partie de mes protégés quand Bruder avait commencé à s’intéresser au habitant de la forteresse.
Ninah me dit que Madaigh s’était rendue dans ma chambre pour chercher mon coffre à bijoux. Elle m’informa aussi que selon leur culte, Misrord était parti en chasse — et non à la chasse me surpris-je à penser — avec ses hommes. Elle gardait un sourire rassurant, bien que je ne comprenais pas en quoi me prévenir de cela m’était nécessaire.
Ainsi, Misrord me laissait me préparer, m’obligeant à rester dans la chambre de Bruder et m’interdisant de sortir avant que Phira ne viennent me chercher comme la veille.
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