[Partie I - La Providence ] Chapitre 1 : Mme De Boréal

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Partie I - La Providence

Chapitre 1 - Mme De Boréal

L’orphelinat était constitué d'un bâtiment en forme de Z surplombé d’un mirador gigantesque aux vitres teintées. Ce mirador offrait une vue imparable sur le parc de plusieurs dizaines d'hectares, un parc délimité par une muraille de six mètres de haut quasiment infranchissable.

Sulina était arrivée dans cette enceinte à l'âge de deux ans. Lony, quant à lui, avait été présenté à la Directrice gouvernante, cinq ans plus tard, alors qu'il était âgé d'environ six ans. Installés dans l'aile dzêta, ils se sont rapidement retrouvés à partager les mêmes jouets avant de partager, plus tard, les mêmes déboires.

L’orphelinat La Providence se situait sur l’ilot des Sakarines à proximité de celui des Arkitek au sein duquel Mme De Boréal, la Directrice Gouvernante, avait installé sa résidence principale. Ces deux îlots faisaient partie du vaste archipel dont la barrière de coraux ondulés protéiformes délimitait le Royaume des Yachmahaï qui s’étendait sur des milliers de kilomètres carrés.

Mme De Boréal se vouait corps et âme à cette fonction éminemment stratégique de Directrice Gouvernante depuis qu’elle y avait été nommée, il y a quelques années maintenant, si bien que l’on avait coutume d’assimiler la Providence à Mme De Boréal et inversement.

Très grande et fine, elle prenait soin de sa plastique de sorte qu’on ne pouvait lui donner d’âge certain. Ses longs cheveux noirs, la plupart du temps remontés en chignon, lui donnaient un air strict qu’elle ne cherchait pas spécialement à entretenir. Paula De Boréal n’était pas ses véritables nom et prénom mais un emprunt filial ancestral dans lequel elle se reconnaissait. Personne à la Providence ne savait quel était son véritable nom et cela n’avait aucune importance puisque qu’elle incarnait parfaitement le rôle qu’on lui avait attribué, et ce en dépit de son identité véritable. Elle était crainte mais respectée, notamment parce qu’elle connaissait les secrets de l’ensemble des occupants de la Providence, du surveillant lambda à l’enfant nouvellement arrivé.

Son autorité n’était plus à démontrer, notamment depuis qu’elle avait été décorée par le sous-gouverneur royal responsable de l’optimisation des moyens humains, une sorte de Directeur des Ressources Humaines suprême. Ce dernier avait la charge de toutes les questions relatives à la gestion des êtres humains au sein du royaume, de leur naissance à leur fin de vie, en termes d’effectifs, par le contrôle des naissances notamment et de gestion de leurs compétences. Le destin, ou plutôt le jeu du pouvoir, avait promu à ce poste stratégique une personne obséquieuse que certains qualifiaient volontiers de manipulateur, Liedor Orsolan.

L’orphelinat comptait une soixantaine d’enfants âgés de 3 à 21 ans environ (en années locales). La loi imposait que les enfants de moins de trois ans dépourvus de parents soient placés en pouponnières. Ces derniers constituaient une part majoritaire des résidents de ces structures. Il s’agissait d’établissements nourriciers et éducatifs au sein desquels les sélections étaient effectuées afin de répartir, par la suite, les enfants selon leurs « potentiels de compétences » entre les orphelinats. Cette sélection s’opérait par le biais de tests évolués, à la fois psychologiques et génétiques, réalisés par des spécialistes de la biopsychologie. Ces derniers avaient développé, il y a maintenant une cinquantaine d’années, les chronobios, ces micro-appareils organiques implantés au niveau du poignet droit de chaque nouveau-né. La procédure exceptionnelle régalienne avait imposé l’implantation obligatoire de ces systèmes métriques biologiques auto-gérés pour tous les nouveau-nés afin de permettre de maintenir de manière optimale les indicateurs vitaux. Les habitants de l’époque avaient gardé la liberté d’adopter ce dispositif dans une démarche privilégiant le libre arbitre. L’objectif premier de ce dispositif était la survie de l’espèce, mais certains ne pouvaient s’empêcher de penser que le contrôle des individus en était l’enjeu caché. Ces chronobios avaient largement évolué depuis leur invention. Le dernier modèle, le KX777 Versus, intégrait une puce organique nouvelle génération capable de déceler, en plus des carences en éléments vitaux, l’accroissement de cellules nocives pour l’organisme, telles les cellules cancéreuses, qui avaient décimé des millions d’êtres humains au cours d’un passé aujourd’hui lointain. L’espérance de vie avait donc logiquement augmenté et la qualité de vie n’était pas comparable à ce qu’avaient pu connaître les hommes de l’ancien monde, en dépit des disparités que les moyennes statistiques, seules, neutralisaient.

Au fil des années, les enfants étaient devenus la préoccupation majeure des instances dirigeantes du royaume, convaincues que sa survie reposait sur les générations futures. Afin de disposer de sujets formés et fidèles au Royaume, il était proposé aux couples un transfert de leur progéniture vers les pouponnières puis les orphelinats moyennant une somme non négligeable. On ne parlait bien évidemment pas d’achat ni de vente d’êtres humains mais d’un échange de bons procédés appelé le « transfert de pouvoir éducatif ». Les parents biologiques, qui demeuraient les parents officiels de ces enfants malgré ce transfert, leur garantissaient, via ce dispositif, un avenir qu’ils savaient riche et prometteur. En contrepartie, le Royaume s’assurait de disposer d’une génération formée, pour ne pas dire formatée, dans le respect des compétences et du potentiel que l’on avait décelés chez eux. Ces enfants constituaient la part minoritaire des habitants de ces établissements dits éducatifs. Le système ancien de « pensionnat » avait ainsi évolué vers une structure plus contrôlée et solide qui permettait au Royaume de forger la stabilité de ses fondements.

Ce dispositif qui avait connu son heure de gloire paraissait aujourd’hui dépassé, et ce malgré une augmentation progressive de la somme allouée à ces transferts. Outre le désir intrinsèque des parents biologiques de rester attachés au souhait d’élever leurs enfants comme bon leur semblait, l’amélioration générale du niveau de vie participait à ce désintérêt. L’effet pervers de ce système avait toutefois poussé les familles les moins aisées à vendre l’enfant « de trop », appelé « capto » afin de subvenir aux besoins de leurs ainés restés au foyer. Le Royaume, bien que demandeur de ressources nouvelles, avait pallié tout abus possible en limitant le transfert de pouvoir éducatif à un seul enfant par foyer. Par humanité officiellement et par crainte d’une dégradation de son image associée à une exploitation de l’être humain officieusement. Orphelins et captos se retrouvaient donc mélangés dans ces « orphelinats », terme toujours utilisé malgré la charge émotionnelle qu’il impliquait.

La Providence était spécialisée dans le développement d’agents de combats de tous niveaux, du soldat de base au stratège militaire. L’enjeu était fondamental puisque le royaume de Yachmahaï était en guerre perpétuelle contre d’autres contrées et notamment la monarchie de « Lampayouse », dite La Couronne.

Paula De Boréal connaissait parfaitement ces problématiques et en avait fait la ligne directrice de sa méthode de travail. Jour après jour, elle s’efforçait de répondre avec efficacité aux attentes du Royaume auquel elle vouait un culte quasi mystique tout en gardant, néanmoins, une objectivité relative. Mme De Boréal n’était pas de ceux qui obéissaient aveuglement sans comprendre ni adhérer mais acceptait volontiers toute promotion ou reconnaissance officielle qu’elle collectionnait avec un plaisir inavoué. Pour autant, elle n’était pas l’archétype de la personne arriviste prête à tuer pour réussir socialement et n’aurait pu, pour quelques raisons que ce soit, déroger à certains principes fondamentaux ni sacrifier certaines valeurs humaines.

Bien qu’on ne lui connût aucun partenaire officiel, on ne pouvait s’empêcher de lui prêter des sentiments d’affections à l’encontre de certains collègues masculins qu’elle avait pu rencontrer au cours de son existence. Qu’elle soit fantasmée ou réelle, la vie amoureuse de Paula De Boréal apparaissait, pour beaucoup, comme la clef permettant de comprendre qui elle était réellement.

Elle avait vu passer deux cohortes d’enfants au sein de sa structure. Certains d’entre eux avaient traversé sa vie de manière insignifiante sans qu’elle ne s’en soit intéressée outre mesure. D’autres, en revanche, avaient attiré toute son attention et elle prenait un plaisir non dissimulé à suivre régulièrement leur évolution. Il pouvait s’agir d’enfants envers lesquels elle ressentait une profonde admiration mais également ceux pour lesquels elle éprouvait une haine morbide, voire du dégoût.

Sulina Kalika faisait partie de ceux qui avaient, très tôt, suscité l’intérêt de Mme De Boréal, cette dernière fonctionnant aussi bien à l’instinct que par la raison.

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