[Partie I - La Providence ] Chapitre 8 : Ne l'oublie pas

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Chapitre 8 : Ne l'oublie pas

Sulina s’avança essoufflée vers son compagnon :

– Excuse-moi, j’ai été nulle.

Le jeune homme ne détourna pas la tête de son enchevêtrement de cordelettes colorées :

– OK

– Arrête de faire la tête, je t’ai dit que j’étais désolée. Faut pas m’en vouloir mais je n’aime pas perdre, surtout contre cette c…

– Je ne te fais pas la tête, je viens de te dire que c’était bon.

– Mouai…

– J’en ai simplement marre d’être ton souffre-douleur.

– Mon souffre-douleur ? Tu exagères quand même, je ne t’ai pas tabassé non plus ! Tu me connais, je suis comme ça.

– Comme quoi ? Egocentrique ? Egoïste ? Immature ? En avoir conscience ne suffit pas tu sais.

– Je mets ça sur le compte de la colère et de ton agacement car je constate que tu ne t’en sors pas avec ton ligato ! Tu veux que je t’aide ?

– Merci ça va aller.

– Tu sais que je t’aime Lony. Tu représentes beaucoup pour moi, ne l’oublie pas.

Le regard du jeune homme se métamorphosa et s’illumina sous l’effet de ces mots qui résonnèrent au plus profond de son âme. La dureté de son visage se dissipa pour laisser place à un rictus de satisfaction qu’il tenait à cacher à sa camarade. Il ne put néanmoins s’empêcher de laisser s’échapper son enthousiasme :

– C’est bien la première fois que tu me dis des choses aussi gentilles…

– Le dire tous les jours en détruirait la substance. Et puis je suis peut-être égocentrique mais je ne suis surtout pas très à l’aise avec l’expression de mes sentiments, tu le sais.

– Quand je te disais que tu devais te faire soigner ! Lony ne bouda pas son plaisir pour lancer quelques flèches ironiques à sa sœur de cœur.

– Tiens, c’est vrai que j’ai reçu un message du Centre psy.

Sulina consulta sa Smartch qui n’avait pas cessé de clignoter depuis que l’alarme avait retenti dans le vestiaire. Le message qui était affiché était sans ambiguïté :

Bonjour Sulina. Votre RDV avec le Docteur Chown est programmé ce vendredi 17 à 18h30. Toute absence non justifiée sera systématiquement punie d’un séjour en section Omega. Appuyez sur « OK » pour accuser réception de ce message. L’équipe médico-psychologique est heureuse de vous accueillir dans ses locaux. Plus de détails en consultant votre smartcom.

La jeune femme ressentit le poids de la contrainte induite par ce rendez-vous prévu dans les prochaines minutes, non que la thérapie en elle-même était vécue comme un fardeau par Sulina mais l’idée même qu’on lui impose un planning lui était insupportable. Elle avait déjà eu l’occasion de rencontrer le docteur Chown à plusieurs reprises puisque les séances thérapeutiques étaient obligatoires a minima une fois tous les 24 jours et rendues plus fréquentes en cas d’épisodes de « difficultés psycho-adaptatives ». Ces dernières étaient identifiées via les cauchemars à répétition, les problèmes comportementaux à l’égard des autres habitants, le dérèglement inexpliqué des indicateurs vitaux délivrés par le chronobios mais également à la demande des intéressés.

Kennedy Chown était un homme de petite taille, séduisant pour certains, séducteur pour tous, qui éprouvait une certaine aversion pour les sourires francs. Son visage, attirant au demeurant, semblait n’avoir assimilé qu’une palette très restreinte d’émotions. Il n’en perdait pour autant aucune humanité et son contact facile avec l’ensemble des résidents de la Providence faisait de lui un homme respecté et écouté. Ses méthodes aussi bien traditionnelles que novatrices, dictées avant tout par son intuition, étaient adaptées aux difficultés qui lui étaient soumises, à la sensibilité de ses patients mais aussi, il faut bien le reconnaitre, à son humeur.

Il en avait reçu des individus dans son bureau, entendu des récits, manipulé des douleurs, palpé du bout du doigt des subconscients, griffonné des formes tribales sur son carnet, observé des tics nerveux. Sa passion pour son métier dépassait le poids lourd des problèmes qu’on lui exposait, susceptibles de lui exploser à la figure à tout moment.

Il trouvait son équilibre à la fois dans la satisfaction de réparer, dans la plupart des cas, les fissures de l’esprit mais également dans la botanique, plus qu’un loisir, le prolongement et l’expression de son âme.

Jouissant de sa renommée au sein du Royaume, le Docteur Chown était l’un des psychobiologistes les plus courus que les personnes fortunées, souvent proches du pouvoir, s’arrachaient. Pouvant aisément s’offrir un transport par héliportage, cette clientèle savait que l’anonymat était garanti via un accès direct par le toit de la Providence. Bien que disposant d’un cabinet dans la capitale du Royaume, le docteur recevait, en effet, à leur demande ces patients riches qui voyaient dans ces déplacements une manière de s’évader de leur « prison dorée ». Outre ce statut de thérapeute de patients nantis, il n’était pas rare que la justice mais également le Royaume fasse appel à ses services dans le cadre d’expertises diverses.

Kennedy Chown n’était pourtant pas attiré par l’argent, ni par la gloire exacerbée à laquelle il avait pu accéder grâce à ses compétences. Il accomplissait ainsi ses missions auprès des jeunes résidents de la Providence avec passion et conviction.

– J’espère que ça ne va pas durer trop longtemps, nous devons répéter ce soir, lança la jeune fille à son compagnon.

– Ah oui c’est vrai. Essaie de te contenir et de sourire, il te libérera rapidement. Allez vas-y, tu vas être en retard.

Sulina avait apprécié, sans toutefois l’assumer, les séances antérieures qui lui permirent d’extérioriser la pression qu’elle avait tendance à s’infliger. C’est donc confiante, bien que légèrement anxieuse, qu’elle se rendit à son rendez-vous.

En arpentant les couloirs, elle croisa Alekseï Chpalek qui lui fit un signe discret de courtoisie de la tête. C’est alors à ce moment précis qu’elle s’aperçut qu’elle ne portait pas son foulard autour du cou, réalisant qu’elle l’avait oublié dans la salle de détente peut-être, dans le vestiaire certainement. Elle décida donc de s’arrêter dans ce dernier qui se trouvait sur le chemin du centre médico-psychologique. Sa recherche fut vaine. Sulina poursuivit donc sa route et arriva à l’entrée du centre, repérable par sa porte vitrée couleur bleue azure façon aquarium qui s’ouvrit à l’approche de la jeune fille.

En s’y engouffrant, elle sentit la chaleur des douleurs confondues des âmes caresser sa peau.

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