[Partie I - La Providence] Chapitre 19 : Gardons notre sang-froid

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Chapitre 19 : Gardons notre sang-froid

Sulina s’approcha de la chaise d’examen, seul mobilier trônant au milieu de la pièce et semblable aux fauteuils médicaux en face duquel était dressé un écran immense.

Une voix d’outre-tombe, robotique et inhumaine l’enjoignit à s’asseoir. La jeune femme s’exécuta et positionna de nouveau son bras dans l’emplacement prévu à cet effet. Des sangles métalliques vinrent automatiquement se serrer autour des poignées de Sulina, l’empêchant de se libérer de son fauteuil. Anxieuse et attentive, elle n’avait pu noter, dans la pénombre, qu’une vitre sans tain recouvrait une large partie du mur à sa droite. Derrière ce miroir étaient dressés, debout, inflexible, Paula De Boréal entourée de deux superviseurs qui furent rapidement rejoints par Gana ritula. Cette dernière, l’air grave, s’assit et s’installa sans un mot derrière une console moderne d’où sortaient des dizaines de boutons et curseurs, surmontée d’un microphone. Après avoir inséré une carte à puce et deux clefs cylindriques dans la machine, le médecin leva la tête en direction de la Directrice gouvernante dont le regard fixait Sulina assise dans son fauteuil. Sans prendre la peine de tourner la tête vers elle, Paula De Boréal acquiesça de la tête avant de lancer, sur un ton glacial, un laconique « Allez-y ».

Le fauteuil dans lequel était installée, crispée, Sulina tourna sur lui-même pour la positionner face à l’écran géant qui afficha une ligne horizontale blanche sur fond noir. Un bruit sourd, puissant et inquiétant se fit entendre faisant vibrer à la fois le siège mais aussi les entrailles de la jeune femme. La ligne blanche dessina un visage en 3 dimensions aux traits androïdes, sans chaleur ni humanité qui interpela Sulina :

– Déclinez votre identité complète,

– Sulina Kalika, matricule 44N362. La jeune fille répondit sur le même ton sec et inflexible,

– Pourquoi vous êtes-vous rendue sur la zone désaffectée ?

Sulina prit un temps de réflexion avant de répondre, cherchant ses mots, une logique, des mensonges, des ellipses, des arguments avant d’être interrompue,

– Je vous ai posé une question, répondez immédiatement,

– Je cherchais à découvrir cette zone que je ne connaissais pas et notamment sa flore, rétorqua, moqueuse, Sulina avec désinvolture,

– Il s’agit de votre dernière chance de nous dire la vérité,

– Je viens de le faire, affirma alors la jeune femme.

Gana Ritula tourna doucement l’un des boutons ronds de la console tout en actionnant doucement un levier de sa main gauche. Les yeux de l’hologramme se teintèrent alors de rouge tandis qu’un bruit sourd et menaçant se libérait des enceintes. Une pression vive s’exerça sur le bras de Sulina qui ressentit comme l’effet d’une piqûre enfoncée en direction de son chronobios. L’effet n’était pas particulièrement douloureux mais donnait l’impression d’une sensation électrique désagréable et gênante se propageant dans ses veines. En quelques secondes, son regard se troubla et la jeune femme se sentit comme immergée dans une atmosphère embrumée et envoutante. Des ombres fantasmagoriques menaçantes se dessinèrent autour d’elle et, tel dans un rêve, se mirent à onduler tout en murmurant des termes d’une langue inconnue. Elles s’animèrent et se mouvaient autour de Sulina de manière de plus en plus inquiétante de sorte que de l’effroi commençait à s’emparer de la jeune femme.

Emprisonnée dans son fauteuil, elle s’efforçait de garder son sang-froid et de rester concentrée tout en fermant les yeux. Mais perdant petit à petit le contrôle de son corps comme de son esprit, sa lutte apparaissait vaine. Le rêve évoluait en cauchemar, ces cauchemars au cours desquels nous perdons le contrôle de nous-même, tentant de fuir la peur qui ne peut que l’emporter. Sulina commençait à agiter ses bras, comme pour s’extraire de son fauteuil et échapper à cette horde de fantômes. Cette incapacité à se mouvoir dans le but de se protéger ne faisait que renforcer la sensation de panique, une sensation vécue physiquement jusque dans les entrailles qui vous ronge de l’intérieur et vous invite à l’impossible.

Le visage androïde dessiné sur l’écran semblait contempler cette scène d’épouvante avec intérêt avant de prendre de nouveau la parole :

– Je peux mettre fin à votre souffrance si vous me dites la vérité. Que faisiez-vous dans la zone désaffectée ?

Sulina, les yeux rougis et le cœur désynchronisé se concentrait sur les traits de ce visage holographique pour répondre froidement et avec une volonté ferme qui imposait le respect – « je visitais les environs ».

– Vous ne me laissez pas le choix. Mentez-moi, je continuerai à vous détruire.

Paula De Boréal assistait impassible au spectacle sordide qui se déroulait sous ses yeux, en fixant inlassablement la jeune femme dont elle scrutait la moindre réaction. Gana Ritula se tourna de nouveau vers elle pour recueillir son consentement, sans toutefois prononcer la moindre parole.

– Passez en phase 2, lança d’un ton déshumanisé la directrice.

Gana Ritula s’exécuta immédiatement en tournant de nouveau ce bouton mortifère.

Les ombres se mirent alors à tournoyer de manière encore plus vive, à hurler, à bruler, à vomir sur Sulina un torrent de violence. La jeune femme sentit son corps bruler de l’intérieur, se consumer. L’effroi ne peut suffire à définir le sentiment qui l’accablait.

La voix robotisée lança une nouvelle tentative d’absolution : « je vous laisse une dernière chance Sulina »

La femme, privée de toute raison, ne répondit pas, laissant son corps à la merci des douleurs d’intensité supérieure qu’elle anticipait.

Gana Ritula se tourna vers Paula De Boréal dont le sourcil gauche s’était dressé. Elle amorça d’un ton glacial et impassible la suite de la scène insoutenable qui se dressait devant elle : « Phase 3 ».

Stoïque mais dubitative, le médecin s’aventura timidement :

– Ses constantes arrivent aux limites Madame.

– Ne sous-estimez pas Sulina ! lui répondit sèchement la femme imperturbable.

Hésitant une fraction de seconde, Gana tourna de nouveau le bouton, laissant à la Directrice la responsabilité des conséquences de cette gradation.

Instantanément, les ombres s’évaporèrent, le visage présent sur l’écran disparut, abandonnant Sulina seule dans cette pièce désormais plongée dans l’obscurité pleine et angoissante. Le répit fut toutefois de courte durée. La pièce se teinta de rouge tandis qu’une multitude de lumières blanches se mirent à scintiller. Alors que Sulina tentait de reprendre son souffle, les lumières se mirent à l’envahir virtuellement les unes après les autres s’accompagnant d’une sensation de perforation aigue et insoutenable. La jeune femme ne pouvant plus intérioriser la douleur lança alors des hurlements d’une violence inouïe. Son rythme cardiaque déjà déconstruit explosait, se déchirait en son sein. Une voix d’outre-tombe vint rompre les cris « vous avez le choix Sulina, celui de la mort ou de la vérité ».

A ces mots d’une violence extrême Sulina répondit par un hurlement déchirant qui fit dresser d’effroi Gana Ritula pourtant habituellement impassible et peu encline à l’empathie.

Sulina sentit son âme se dérober, s’extraire de son corps, résignée à en finir lorsque, sans explication rationnelle et de manière quasi mystique, l’image d’un homme la pointant du doigt lui vient en tête. Non l’image d’un homme accusateur mais celle d’un individu qui la désigne avant de la prendre dans ses bras pour l’accompagner, la réconforter, la protéger. La chaleur d’un homme qu’elle ne reconnaissait pas. La chaleur d’un homme qui l’imprégnait comme pour lui signifier qu’elle n’était pas seule.

Gana Ritula, le regard inquiet, se tourna de nouveau vers la directrice :

– Le stade 4 est susceptible de lésions irréversibles et le risque d’attaque important.

Après quelques secondes d’hésitation, Paula De Boréal, fixant toujours d’un regard rageur Sulina qui continuait d’hurler à la mort, lança :

– Fin de l’interrogatoire.

Le médecin désactiva l’ensemble du dispositif conduisant à la disparition de toutes les sources de souffrance, des lumières, du visage robotisé, de l’éclairage rougeâtre. La salle plongea alors dans le bleu nuit originel, les douleurs s’éteignirent, le fauteuil de Sulina se remit dans sa position initiale marquant la fin de cet épisode qui marquera à jamais sa vie.

Gana Ritula, accompagnée d’une équipe de deux agents médicaux, se précipita vers la jeune fille pour l’emmener à l’infirmerie au sein de laquelle Sulina passera plus d’une journée à dormir.

Paula De Boréal, toujours impassible, tourna les talons pour se rendre dans son bureau de l’aile Totogo en traversant le centre Omega d’un pas décidé, les mains croisées derrière son dos. L’air soucieux et escortée d’un de ses plus fidèles adjoints, elle ne proféra aucune parole, laissant ce dernier l’initiative de rompre ce silence lourd par des propos lapidaires : « Sacrée performance ! ». La directrice s’efforça d’y apporter une réponse en nuançant l’enthousiasme de son assistant : « Gardons notre sang-froid ».

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