[Partie II - D'un royaume à l'autre] Chapitre 3 : Les deux royaumes

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Chapitre 3 : Les deux royaumes

Dans la confusion de la vie, seul compte son préambule, celui qui promet ou celui qui condamne mais quoi qu’il en soit, celui qui destine. C’est comme cela que Drake fonctionnait, lui qui, intrinsèquement, se savait, ou plutôt se voulait, promis à quelque chose qui le dépassait.

Né d’une mère architecte et d’un père comptable, il s’était très rapidement orienté vers l’armée par vocation sans nul doute, par fainéantise peut-être, par esprit de contradiction certainement. Ses parents le voulaient biopsychologiste, il n’était qu’un rêveur psychorigide. Ses parents le voulaient père de 3 enfants, il n’était qu’un éternel insatisfait des relations amoureuses. Et ses parents le voulaient encore beaucoup d’autres choses mais il était juste le fruit de l’amertume. Alors il était devenu militaire et avait trouvé dans cette voie l’avantage de se révéler et de devenir quelqu’un, de devenir un homme sur lequel les autres comptaient, de devenir un leader qui encourageait et accompagnait.

Devenu colonel dans l’infanterie du royaume Yachmahite, ce groupe destiné à assurer sa surveillance et sa défense sur le terrain opérationnel, il se savait entendu par sa hiérarchie et respecté par ses hommes. Il avait pu participer à des opérations militaires particulièrement sensibles, ce qui ne faisait que confirmer l’importance qu’il semblait avoir pour ses pairs et pour le Royaume. Le conflit historique avec la Monarchie de Lampayouse avait franchi un palier supplémentaire il y a plusieurs dizaines d’années maintenant, lors de l’invasion par l’armée de la Couronne des terres yachmahites. Drake n’avait pas connu cette période funeste qui fit des milliers de morts de part et d’autre, la riposte révolutionnaire du peuple attaqué ayant été particulièrement vive. Cette dernière avait conduit la monarchie de Lampayouse à battre en retraite et, face à cet échec apparent, à revoir sa position vis-à-vis du royaume ennemi. La diplomatie s’efforçait, depuis, d’écarter un risque évident d’une guerre totale entre les deux nations,

L’origine de cette rivalité entre les deux nations était multiple mais reposait sur une opposition séculaire entre deux grandes « familles » qui s’étaient partagées les terres de Giorgia lors de sa colonisation.

Chaque nation avait évolué et s’était construite selon sa propre culture et ses propres contraintes, nourrie de crises et schismes divers. Les yachmahites avaient maintenu une monarchie forte alors que les lampayousains, chez qui le pouvoir appartenait majoritairement aux femmes, avaient, sous la contrainte populaire et l’esprit éclairé de quelques dirigeants, évolué vers une monarchie parlementaire de forme hybride. Cette dernière se distinguait par un pouvoir accordé à l’assemblée des Méandres, des femmes et des hommes élus par le peuple au suffrage universel direct, destinée à définir les orientations stratégiques de la nation. La Kaïta, nom donné à la Reine, qui accédait au trône par filiation, conservait toutefois un rôle majeur dans la politique étrangère mais aussi interne de la monarchie.

Il y eut certes une époque au cours de laquelle la Reine Constantine n’avait enfanté que des garçons, situation qui aurait pu remettre en question la conservation du titre royal aux mains des femmes, mais les règles du Royaume, inscrites et inaliénables, étaient claires et non contestables. Le pouvoir royal avait alors été concédé naturellement à la femme du prince aîné, la princesse Comunéta, actuelle reine de la Couronne.

Cette dernière se distinguait par un appétit féroce pour le pouvoir et un sens aigu de la diversion politique, soit l’art de promouvoir et de destituer sans donner l’impression d’intervenir directement dans la politique de la Couronne. Certains parleront de manipulation, ce qu’il en était indubitablement. Respectée par son peuple, la reine Comunéta avait réussi la transition déjà amorcée avant elle de modernisation apparente de l’Etat, caractérisée par un pouvoir croissant donné au peuple, une amélioration des conditions de vie et de travail et une harmonisation culturelle à laquelle chacun savait adhérer. D’un tempérament fort et particulièrement autoritaire, elle bénéficiait d’un charisme certain. Sa longue chevelure noir ébène et son goût prononcé pour la mode en faisait une icône auprès des clubs artistiques qui lui vouaient un culte viril, participant à la modernisation de son image. Son mari, par contraste, le fils royal, paraissait pâle et insipide.

Le prince consort, Cédric, affable, s’exprimait très peu publiquement et ses journées étaient ponctuées par une participation active au club des Baromons, ce club très sélectif destiné aux hommes fortunés de la Couronne, qui passaient leurs journées à disserter sur la vie, à se provoquer en duel et à appréhender les évolutions de la société. Bien que leurs activités quotidiennes apparaissaient superficielles, les conclusions de certains de leurs travaux étaient pris en compte avec beaucoup d’intérêt par les instances de décisions de la Couronne. En dépit de son attitude publique, Cédric était brillant et fin. Cet homme grand aux cheveux blonds ondulés et au regard vert n’était pas particulièrement beau mais dégageait un charme que nombreux savaient apprécier. Il était estimé et reconnu dans son cercle, parce qu’il était le fils de la reine et prince consort, certes, mais surtout grâce à son esprit vif, incisif et son humour efficace que la population ne soupçonnait pas chez lui.

Fidel à son épouse comme à la Couronne, il avait intégré son rôle de manière naturelle et évidente depuis sa plus tendre enfance. Son mariage avec Comunéta, femme qu’il avait adorée et admirée comme on ne doit jamais adorer ni admirer, avait toujours paru évident depuis leur rencontre dans le cercle mondain.

Deux enfants sont nés de leur union, la princesse Cononopé qui avait hérité notamment de la blondeur et de la douceur de son père et son petit frère, le prince Ulgo, ce dernier souffrant d’une maladie génétique rare le rendant sensible à la lumière et le contraignant à une vie austère enfermée dans l’ombre. Ses sorties publiques se faisant particulièrement rares, il évoluait dans un environnement sécurisé, sombre et étriqué, malgré les enseignements nombreux dont il bénéficiait qui lui permettait de s’ouvrir vers l’extérieur. Ostracisé, il avait grandi avec l’intime conviction que ses proches le cachaient pour le protéger sans doute, par honte certainement.

Sa sœur Cononopé ne connaissait pas ces contraintes et brillaient littéralement en société. Charmante et charmeuse, elle bénéficiait de l’intelligence des plus grands, celle qui fascine mais qui n’écrase pas. Imposant naturellement le respect, elle savait toutefois se montrer discrète lorsque les circonstances l’imposaient. Consciente de la place qu’elle occuperait dans le futur, elle avait, très tôt intégré le rôle attendu.

Le Royaume Yachmahaï pouvait également se targuer de personnalités à sa tête à la fois atypiques et mémorables. Le Roi Muhler d’abord, rigide, dur et intransigeant dont la longue barbe rousse cachait une cicatrice à la joue née d’un combat sanguin avec son frère Maximilien, alors qu’ils n’étaient que des enfants. Cette bagarre au cours de laquelle son frère lui avait asséné un coup de couteau aiguisé, marqua à jamais sa soumission à son cadet, lui, pourtant l’aîné de la fratrie. Sa femme, Bétina, donnait l’impression de vivre dans l’ombre de son mari alors même qu’elle luttait pour survivre à son ombre propre, cette ombre qui vous dévore et qui vous nargue. Torturée et résolument tournée vers le passé, ce passé fantasmé qui n’avait jamais réellement existé, Bétina se montrait discrète, effacée, comme pour supprimer une existence qu’elle n’assumait pas. Les services de communication du Royaume cherchaient bien à nuancer aux yeux du peuple cette profonde dépression qui la hantait mais rien ne pouvait empêcher les sujets de comprendre que la Wahida (nom donné à la femme du Roi) souffrait, luttant contre un mal qui la dépassait. Après de nombreuses fausses couches, Bétina avait fini par donner naissance à un héritier, le prince Hadrien dont les taches de rousseur et le sourire toujours en coin lui donnaient un air espiègle, inspirant la vie insouciante et naïve.

Toujours actif et parfois incontrôlable, Hadrien se distinguait par son agilité et son manque de constance. En proie à des crises de colères dans sa petite enfance, il avait réussi à intégrer ses tensions internes au fur et à mesure que les années s’enchainaient. Désormais adolescent, il finissait toujours par obtenir ce qu’il voulait, par la force ou par son pouvoir de séduction imposé par son titre.

Ces deux royaumes se détestaient sans savoir, toutefois, que les événements à venir viendraient bouleverser l’équilibre historique né de cette haine réciproque.

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