[Partie II - D'un royaume à l'autre] Chapitre 6 : Paul et Likela

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Chapitre 6 : Paul et Likela

– Et c’est grâce à ce passe que j’ai pu accéder à la zone de départ et emprunter un navire ennemi, me frayant un chemin entre les gardes pour prendre les commandes d’un vaisseau au sein du hangar…

Alors que Drake avait cessé de parler, ses interlocuteurs restèrent quelques secondes sans dire un mot, cherchant à intégrer l’histoire que venait de leur raconter ce « héros ». Bogdon brisa alors le silence :

– Et c’est grâce à ce passe que tu as pu accéder à la zone de départ…Tu te fous vraiment de notre gueule ?

– C’est la vérité. La prison regorge de prisonniers et de soldats. J’ai réussi à me faufiler parmi tout le monde et suis passé par les différents postes de sécurité en présentant ma carte. Je suis comme vous surpris d’avoir pu circuler aussi facilement mais vous n’imaginez pas le monde qui gravite dans les couloirs.

Bogdon qui ne croyait pas un traitre mot de cette épopée évoquée interrompit Drake :

– Et après avoir ouvert deux portes, tu es arrivé au hangar comme par magie…et, se tournant vers ses camarades ajouta, je suis vraiment le seul à comprendre que tout cela est de la foutaise ?

L’inimité entre les deux hommes s’installa profondément alors que Drake tentait d’apporter quelques précisions :

– Ma fuite a duré plusieurs heures. Je n’avais aucune idée de l’endroit dans lequel je me rendais et chaque porte ouverte m’emmenait vers un nouveau couloir. J’étais dans un labyrinthe, un putain de labyrinthe ! J’ai fini par suivre discrètement des stators avant d’atterrir, sans doute par chance, dans le hangar. Des vaisseaux s’y trouvaient, certains gardés, d’autres non et je me suis alors introduit dans l’un d’entre eux.

Un homme tapi dans un coin du banc s’aventura :

– Tu savais piloter leurs engins ? Et ils t’ont donné l’autorisation de quitter la prison ?

Drake, conscient qu’il ne parvenait pas à convaincre, ne se démontait toutefois pas :

– Je suis pilote professionnel de l’armée, bien sûr que je sais manipuler leurs engins. Pour l’autorisation, j’ai répété des consignes entendues chez des soldats. Vous pensez que j’étais dans quel état quand j’étais à bord de l’engin ? Pour l’amour d’Artalop, croyez-moi !

Zoltar interrompit l’échange qui finissait par tourner en rond :

– Mensonges ou pas, voilà où nous en sommes ? On fait quoi maintenant ? On l’élimine sur le champ ou on lui accorde un minimum de confiance pour avancer ?

Les hommes se regardèrent, dubitatifs pour la plupart, sans dire un mot. Le silence s’installa temporairement alors que la luminosité de la caverne, entretenue par les torches chaudes crépitantes, ondulait langoureusement de manière hypnotique.

Zoltar sortit ce moment de sa quiétude somme toute relative :

– Emmenons-le voir Paul et Likela.

Sans broncher, les hommes se saisirent de Drake par les bras pour le soulever de sa chaise et l’emmener dans les méandres des couloirs humides. Le dédale de carrières creusées dans la roche, aussi sombre et lugubre que témoin du génie humain, paraissait infini. Des tuyaux rouillés longeaient les parois. Après plusieurs minutes à traverser ces tentacules rocheux, le groupe s’engouffra dans des cavités dont l’étroitesse ne permettait de laisser passer qu’un individu l’un après l’autre, avant d’arriver à une porte en métal incrustée dans la roche. Un heurtoir en acier de dimension disproportionnée, au cœur duquel scintillait une pierre couleur émeraude, se dressait au milieu de la porte.

Bogon l’activa dans un élan impétueux avant d’attendre docilement le retour. La porte s’entrouvrit sur une cavité gigantesque enrobée de la lumière chaude de néons que des générateurs électriques permettaient d’activer et à laquelle se mêlait les flammes de plusieurs cheminées creusées dans la pierre.

L’aménagement de la pièce troglodyte avait été fait avec un goût certain pour le baroque, laissant entrevoir des colonnes sculptées monumentales. Des tables et bureaux en bois rare ornés de pierres sinon précieuses au moins brillantes se dressaient de manière optimale.

Les deux hôtes accueillirent le groupe chaleureusement par le geste circulaire de la main traditionnel tamane de salutation.

Likela était une femme très belle, grande et longiligne aux cheveux bruns dont le visage était mis en valeur par un diadème fin et discret délicatement dessiné. Paul, son alter égo, avait le regard doux et valeureux, celui des amoureux pleins d’espérance qui vous émeuvent et vous irritent. Il n’en restait pas moins un homme à l’autorité reconnue et incontestée. Grand roux au corps saillant, il jouissait d’un charisme bienveillant qui lui permettait de faire appliquer des décisions, parfois difficiles, avec une facilité apparente typique de celle des grands Hommes. Ensemble ils avaient eu un fils, Istobal, aujourd’hui majeur, héritier de ce qu’il y avait de meilleur chez ses parents tant d’un point de vue physique qu’humain.

Le couple avait pris naturellement la tête de la force rebelle tamane il y a quelques années, avec pour objectif de fédérer les différentes factions contestataires. Leur autorité, doublée d’un sens du devoir intrinsèque et d’abnégation au profit du seul intérêt du clan et de la lutte contre la Couronne induisait le respect et la mobilisation de celles et ceux qui combattaient pour retrouver l’indépendance volée.

Le couple se tenait, élégant et imperturbable, derrière le bureau magistral, elle dans une robe blanc cassé de style déesse grecque qui dessinait ses formes parfaites, lui dans un vêtement gris anthracite ajusté, de style militaire.

Zoltar prit la parole :

– Likela, Paul, mes salutations. Voici l’homme en question retrouvé à l’entrée du QG, Drake Valdebone, membre de la force Yachmahite, échappé, selon ses dires, de la prison de Wrendbuch.

Likela présenta, en retour, son plus beau sourire avant de prendre à son tour la parole :

– Nous vous remercions Messieurs. Vous pouvez prendre congé et nous laissez avec lui. Drake, je vous en prie, installez-vous que nous discutions un instant.

Les hommes se retirèrent dans un fracas maladroit, à la fois impressionnés et fiers d’avoir pu échanger même quelques mots avec le couple mythique, quasi mystique.

Drake prit place sur un siège derrière le bureau alors que Likela lui proposait comme collation du hamos, l’alcool de prune traditionnel mêlée à du miel d’églantier. Alors qu’elle servait délicatement trois verres de ce breuvage, son conjoint amorça l’échange :

– Bienvenu dans notre communauté, cher Drake. Vous êtes notre hôte et ici chez vous. Certains de nos hommes peuvent parfois paraitre rustres mais ce sont de braves gars, excusez-les s’ils vous ont un peu brusqué car ils vous ont certainement un peu brusqué, n’est-ce-pas ?

– A minima oui mais je peux comprendre la suspicion. Je tiens à vous remercier pour votre accueil chaleureux. Nos peuples sont alliés et je sais pouvoir compter sur votre confiance et votre hospitalité.

Une fois les mondanités effectuées, Drake narra de nouveau les événements qu’il avait vécus en n’omettant aucun détail.

Au terme de son récit, le silence fut interrompu par le bruit aigu de la cuillère que Likela avait fait tomber sur le bureau en se servant des cerises au sirop. Elle prit alors la parole pour mener, seule, l’entretien, pendant que Paul observait son interlocuteur avec douceur et assurance :

– Votre histoire est aussi passionnante que surprenante. Je comprends que la Couronne s’est dotée de machines particulièrement efficaces et effrayantes, en étiez-vous informés au sein du Royaume ?

– Non. Nous suspections simplement un déploiement de leurs bâtiments maritimes en vue d’une attaque prochaine mais ne détenons aucune information militaire sur leur matériel. Nos satellites espions ont toutefois repéré des usines nouvelles dans la zone du Palmion mais nous n’en savons pas davantage.

Alors que Likela continuait de l’interroger, Drake en profitait pour boire une gorgée de ce nectar délicieux d’abord doux et sucré laissant ensuite une sensation amère et alcoolisée.

– Pensez-vous que l’avocat était complice de votre évasion ?

Pris de court par le degré important d’alcoolémie de cette liqueur qu’il n’avait pas soupçonné, Drake toussota avant de répondre, sous le regard amusé du couple :

– Je ne saurais vous répondre. Il paraissait relativement brouillon mais m’a laissé penser qu’il était chargé de ma défense et pour cela était de mon côté. Avez-vous rencontré des précédents ?

– Non. Vous êtes le premier prisonnier qui témoigne auprès de nous avoir échappé de cette prison pourtant réputée infranchissable…En outre, je n’ai jamais entendu parler de ce Cabesos mais nos hommes vont enquêter. Dites-moi, vous soupçonnez une attaque imminente contre votre Royaume ? Il me semblait toutefois que les tensions s’étaient quelque peu apaisées depuis les accords du Minéral ?

– Certes mais vous savez mieux que moi que ces accords ne sont que des trompes l’œil visant à rassurer la population et à gagner du temps, d’un côté comme de l’autre. Malgré les semblants d’accalmie, nos équipes espionnes ont pu détecter des signaux inquiétants d’attaque imminente par surprise.

– Etes-vous toujours en contact avec les autorités de la Couronne ?

– Bien sûr. De manière continue mais les discours officiels ne suivent pas nécessairement les actes.

– Pourquoi ne pas faire jouer la diplomatie ?

– Il y a eu récemment une crise diplomatique qui a conduit à rappeler nos ambassadeurs.

– Nous n’étions pas informés. A quel sujet ?

– La Couronne a bloqué l’exportation de germes vers le Royaume, remettant en question de manière unilatérale les accords du Bilt. Il s’agissait surtout d’un coup de force et notre réaction visait à envoyer un signal mais nous ne sommes pas dans cette logique de guerre.

Likela prit alors un air plus hautain, comme pour signifier une désapprobation ou une vexation :

– Nous l’avons malheureusement remarqué, cher Drake. Malgré notre alliance, nous ne disposons pas d’un appui notoire de la part du Royaume s’agissant de notre conflit contre la Couronne. Nous nous sentons relativement seuls, voyez-vous.

– Je déplore que vous ressentiez une forme quelconque d’isolement, la force de notre alliance est inébranlable. Sachez toutefois que je ne fais pas de politique, je sers le Royaume, simplement.

– J’entends bien.

Laissant alors la parole à son conjoint, Likela se leva pour servir un nouveau verre de liqueur. Paul enchaîna l’échange d’un ton décontracté et naturel :

– Les relations entre nos nations, car le peuple tamane constitue une nation et il serait imprudent de l’oublier, est solide et nous ne remettons pas en question cette union, rassurez-vous. Nous combattons toutefois dans des conditions exécrables et ne parvenons pas, à ce jour, à dominer sur le terrain. Nos actions demeurent minimes voire anecdotiques. Nous sommes inquiets, je vous l’avoue. Mais vous n’êtes ni le roi, ni un diplomate et n’y pouvez absolument rien. Nous espérons toutefois que vous saurez prêcher la bonne parole à votre retour chez les vôtres. A ce propos, comment avez-vous envisagé ce retour en qualité de fugitif depuis un territoire qui vous est hostile ? Vous aurez besoin d’aide et nous vous l’apporterons, soyez-en rassuré.

Likela avait servi le deuxième verre, toujours avec délicatesse et une forme de séduction naturelle inconsciente à laquelle son mari participait lui aussi inconsciemment par son charme et sa présence. Drake se sentait comme enveloppé dans une bulle de bienveillance et de réconfort après les événements graves qu’il venait de traverser. Il répondit avec sérieux à la question qui venait de lui être posée :

– Je n’ai pas réfléchi à ce point, vous imaginez bien. Tout s’est passé de manière si soudaine…et je n’ai pas de nouvelles de mon équipe. Je ne les ai pas vus à Wrendbuch. J’ai besoin de repos je crois avant de pouvoir réfléchir et surtout agir. Ma jambe est encore douloureuse. Votre aide sera précieuse, je vous en remercie chaleureusement. Vous pouvez compter sur ma pleine collaboration à mon retour au Royaume.

Paul, comme semblant rassuré que la présence de son hôte parmi les siens se prolonge acquiesça :

– Vous pouvez rester le temps que vous le souhaitez et nous missionnerons un groupe pour vous escorter jusqu’au port de Lummet. De là nous trouverons un navire pour vous ramener au Royaume. En attendant, vous serez logé près de notre demeure à quelques kilomètres de ces grottes austères. Nous lèverons le camp d’ici 1 bonne heure.

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