35. Et il se tut pour mieux faire mourir le silence

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Reyn avait aperçu la sorcière à la sortie du bosquet. En toute autre circonstance, elle aurait fait mine de rien. Mais leur survie, à Mousse-qui-pique, Mú et elle, exigeait un pouvoir plus grand que le sien. La nuée de crève-yeux se rapprochait et l'avalanche dévalait le flanc de la montagne, jurant d’ensevelir la Voie Silencieuse. Sans mentionner le troupeau de mammours.

Il avait suffi d'un clignement d'yeux, et la sorcière s'était envolée. Reyn savait qu'elle n'était pas folle, qu'elle ne l'avait pas rêvée. Intérieurement, elle se maudit d'avoir toujours raison. La sorcière les avait abandonnés. Mú était dévasté ; à croire que la montagne s'était déjà abattue sur lui. La sorcière avait tourné le dos à son propre totem. C'était là son vrai visage ; Reyn l'avait toujours discerné. Jilam et les autres, ils avaient tous préférés se voiler la face. Mais elle en savait trop sur la véritable nature des esprits pour se laisser duper. Pourquoi fallait-il que son instinct s'avère toujours emprunter le droit chemin ?

Le col tout entier tremblait dans son lit. La poudreuse broyait le roc en gravier, le bois en copeau et le glacier en eau. Sa panse monstrueuse grossissait à mesure que la gueule blanche avalait tout sur son passage.

L’elfe vit les mammours qui s’étaient regroupés autour d’une étrange sculpture de glace qu’elle jurait ne avoir remarqué auparavant. Les mastodontes avaient érigé un rempart concentrique qui, en lieu et place de pierre et de mortier, se composait de fourrure et de graisse, de muscles et d'os. Les adultes défendaient leur progéniture. Les vieux du troupeau, plus imposants, forgeaient la première enceinte, tandis que les jeunes adultes et les adolescents occupaient le second cercle défensif devant les mammoursons recroquevillés en son centre.

Reyn n’entrevoyait rien d’autre, et n’avait pas le temps de se triturer les méninges dans l’espoir de dégoter une autre idée. Quitte à mourir, autant tenter le tout pour le tout. Pour la première fois depuis l’époque où on l’appelait Amareyna, elle remettait son sort entre les mains glissantes du spectre ombrageux du destin.

L’elfe se précipita, les deux mammifères à ses trousses, comptant sur les hurlements de la montagne pour remplacer son manteau de visombre inutile. Les mammours, les tympans percés par le vacarme innommable, leurs défenses et leurs oreilles rendues aussi inutiles que leurs orbites énucléées, ne remarquèrent pas les trois vers de terre se faufilant sous leurs panses laineuses. Reyn, Mú et Mousse se roulèrent en boule entre deux mammoursons que la peur violente rendait insensibles à la présence des intrus. C’est ainsi, emmitouflés derrière un rempart de fourrure, à la merci de prédateurs capables de les dépecer en un rien de temps, que la rate chevelue, le furet-léopard et le lapin-mousse attendirent la réponse du destin.

L’avalanche frappa de plein fouet le cercle de mammours. Le rempart de fourrure vibra, des monceaux de laine furent arrachées par le souffle démentiel, mais les solides pattes des mastodontes tinrent ferme leur ancrage. Reyn croisait les bras contre sa poitrine, terrifiée à l’idée que ses deux cœurs soient emportés. Mú et Mousse s’étaient carrément glissés sous son visombre dont la capuche rabattue lui giflait les joues. L’air s’échappait de ses poumons écrasés, emportant avec lui toute l’eau de son corps flétri d’effroi et l’empêchant de verser des larmes. Elle aurait préféré tomber inconsciente plutôt que d’avoir à supporter pareil supplice, mais sa conscience têtue se butait à la garder éveillée, la forçant à supporter d’un bout à l’autre cet enfer aux promesses d’infini.

En cet instant, son esprit, pourtant implacable, était persuadé qu’aucune force au monde ne rivalisait avec la puissance d’une montagne en colère ; pas même une sorcière ; c’était impensable. Ses pensés s’égarèrent vers Nellis et Nellis seulement. Hormis elle-même, elle ne songeait plus qu’à la sorcière. Envolée la jalousie, balayées les rancœurs, disparu l’amour, oubliée la fierté. Reyn en était rendue à prier. Prier pour que cela cesse. Prier pour survivre. Prier pour mourir.

Alors le monde s’endormit. La montagne s’allongea dans son giron. Le ciel retomba tel un linceul sur la terre nue dont l’avalanche avait restituée la jeunesse. Rien ne dépassait de son visage vierge, aux rides gommées par un enchantement.

Le Mausolée du Roi se releva, et au lieu d’un col bosselé, se pencha sur un champ fraichement semé, parfaitement imberbe. L’une des pointes de son trident s’était brisée ; n’en demeurait que des gravats enfouis sous la lande gelée. Le temps était revenu sur ses pas. À croire que des géants allaient surgir de l’ombre du soleil afin d’achever leur besogne auprès de la tombe de leur glorieux chef. On pouvait encore contempler la carcasse brisée du Fléau Suprême d’Antan, ses écailles émiettées telles des graines qui jamais ne devaient germer et que les éléments achèveraient tôt ou tard d’ensevelir.

Tout cela n’était cependant qu’illusions, des spectres rejetés par l’avalanche, des souvenirs embaumés, histoires d’antan à conter pour les vivants présents.

Le silence évincé régnait de nouveau sur le col qu'il avait baptisé de sa torpeur. La terre d'hiver dormait drapée de sa jeunesse de printemps, immaculée à la lueur pâle d'un soleil aux joues rouges de nouveau-né. Elle rêvait, insensible au froid, la tête posée sur les genoux de la montagne qui veillait sur son sommeil. Son corps nu allongé arborait une pureté quasi-parfaite, tout juste dérangée par quelques bosses.

L'avalanche semblait avoir tout effacé : les rochers scintillants, les pins rabougris, les fougères malingres, les êtres vivants. Mais du ventre ronronnant dépassait un nombril, épée de glace pointant le firmament. La panse neigeuse se mit à gonfler, puis s'affaissa, et du nombril émergea un cordon ombilical.

Le cercle de mammours demeurait là tel un cercle de menhirs que le temps et les éléments n'ont pu ébranler. Les mastodontes sonnés agitèrent leur fourrure pour la débarrasser de la neige, puis chacun se mit à léchouiller le museau des autres. Deux femelles aux défenses tarabiscotées s'affalèrent sur le derrière afin de prendre leurs petits et de les secouer. Les mammoursons, encore bercés de terreur, s'ébrouèrent entre les pattes de leur mère.

Aucun des pachydermes ursidés, les oreilles toujours sifflantes, ne faisait attention aux trois larves rampant sous leur panse.

Reyn entrevoyait la lumière, elle la touchait presque. Soudain, le troupeau referma brutalement son carcan. L’effroi dévora l’angoisse. Seul s’entendit le couinement que Mú laissa échapper malgré lui. Un long murmure caressa le silence. L'astre blanc tourna le dos à la terre, plongeant le col dans la nuit.

Les noires ailes aspirèrent le ciel sous leur linceul. Les milliers de battements à la seconde n’émettaient qu’un chuintement dispersé dans la pénombre, une plainte étouffée sous l’oreiller de l’horreur. La volée funèbre se changea en tourbillon silencieux gravitant au-dessus du troupeau.

La formation des mammours se resserra davantage autour des mammoursons. Captifs de leur chrysalide d’hiver, les deux mastodontes suivaient la scène depuis les limbes de la mort. La gueule béante de becs faméliques et de plumes macabres s’élargissait et se rétractait au rythme d’une lente respiration, et ce sans que ce ballet démoniaque n'engendre la moindre collision entre les danseurs. Les crève-yeux fusaient tels des damnés, se frôlaient sans jamais se heurter, battaient des ailes à tout rompre sans déranger la moindre molécule d'air.

Quel étrange et terrifiant tableau que cette nuée silencieuse qui appelle la mort sans même hurler à vos oreilles. La faucheuse muette. Elle vous emporte, puis vous engloutit avant de semer vos os, que le givre emprisonne ensuite dans son éternité.

Les gros volatiles au squelette décharné et au plumage écorché menaient de constants assauts contre la forteresse de fourrure. Les crocs et les griffes fusaient en réponse à la pluie venimeuse de becs et de serres ; les défenses empalaient les carnassiers imprudents. Une douzaine de charognards tomba charogne. Plusieurs crève-yeux abandonnèrent alors la lutte dangereuse face aux mammours pour se repaître des carcasses encore tremblantes de leurs congénères. Chacun des mastodontes laineux arborait une flopée de plaies fumantes. La fourrure brun sombre de plusieurs d’entre eux était même repeinte en mauve. Les plumes noires tapissaient la neige d’un duvet sinistre.

Peu à peu, la lueur du jour fendit le ténébreux tourbillon à mesure que les messagers de la mort perdaient de leur zèle. La nuée harassante, lasse de ce jeu, acheva de se disloquer et se dispersa en multiples volées aux quatre vents, semant dans son sillage une pelleté de blessés et de morts en offrande aux mammours triomphants.

Reyn n’en revenait pas de respirer, au point d’en avoir le souffle coupé. Elle avait conscience que, par deux fois en l'espace de peu de temps, les mammours, bien qu'ignorants de la chose, les avaient sauvés, elle et ses compagnons d'infortune – ou de fortune plutôt – et ce malgré leur volonté farouche de les éventrer. L'ironie du sort accompagnait l'elfe depuis sa lointaine naissance, souvent en fardeau, très rarement en amie, comme aujourd’hui.

Toutefois, elle se doutait que sa chance inouïe ne tarderait plus à tourner vinaigre, et pria pour qu’elle lui dure encore un tantinet. Elle échangea un long regard avec ses compagnons de fortune. Le temps était venu de s’éclipser.

Elle comptait que les mammours soient trop occupés à se repaître des crève-yeux tombés et à lécher leurs plaies pour remarquer la présence de rats s’esquivant. Hélas, après le départ de la nuée et l’atténuation des séquelles de l’avalanche, le troupeau ne manqua pas de capter l’écho lourd des pieds pourtant légers glissant sur la neige.

Reyn le savait. Il était venu, le moment de payer le prix de son audace.

Les museaux noirs et leur ivoire acéré se tournèrent tous d’un seul chef vers les trois loustiques comme si l’elfe les avait interpelés. Les gueules s’ouvrirent dans un silence pesant sur une impressionnante forêt de dents nacrées. Reyn respira l’haleine de sapin. Dans un sursaut, elle dégaina ses poignards longuement affûtés la veille, tout en maudissant le mammours qui avait brisé sa lance-arc. Fabriquer une telle arme lui avait demandé beaucoup de temps et d’énergie, et surtout une patience qu’elle possédait en parcimonie.

Elle reconnut le mâle dominant dont une zébrure mauve cisaillait le museau. La rage hérissait l’épaisse toison du monstrueux pachyderme ursidé. Les deux ennemis jurés confrontèrent leurs sens. Reyn scruta les orbites absentes du mammours et inspira son odeur rance tandis que le mastodonte se berçait de sa respiration mesurée et s’imprégnait des battements irréguliers de ses cœurs.

Mousse-qui-pique s’était glissé dans le capuchon de visombre et Reyn devait en prime lutter contre la terreur du lapin-mousse qui s’insinuait en elle. Mú, poils en piquants, queue en pointe, feulait entre les mollets de l’elfe. Tous deux étaient prêts à vendre chèrement leur peau aux ours.

Tandis que l’elfe cherchait en vain une échappatoire, un brusque chuchotement lui mordit l’oreille. Elle l’écarta d’une taloche. Pas maintenant ! gronda-t-elle la vie qui exigeait de défiler devant ses yeux au moment où elle avait cruellement besoin d’eux.

Suintante comme en pleine fournaise estivale, la chevelure en bataille, flamboyante sous la lumière vibrante du soleil montagnard, Reyn la Rouge souriait les dents en évidence. La peur terrassée lui était devenue étrangère. Elle n’était pas de ceux qui s’agenouillent devant la mort. Sa mère était partie en lui souriant, et elle estimait qu’elle valait au moins autant que Rujadis ; c’est-à-dire pas grand-chose. De tous les êtres qui se haïssent, Reyn la Rouge était de loin la plus orgueilleuse. Tableau aussi grandiose que pathétique que cette frêle créature à la peau verte et à la toison peignées par les étincelles, deux pauvres crocs noirs, effilés certes, en guise d’armes face aux mastodontes en armure de graisse et de fourrure.

Subitement, Mú cessa ses grincements de dents et se dressa tout guilleret sur ses pattes arrière.

« Besoin d’un coup de main ? »

Le sourire de Reyn s’effaça, remplacé par une grimace irritée. Foutus dieux, non. Elle aurait encore préféré de loin mourir écartelée par quatre mammours. Tous sauf elle.

Le cercle de mammours pivota. Nellis se tenait droite comme un jeune arbre, les cheveux libres au vent, les mains sur les hanches et Jilam pour ombre. Même les mastodontes ne les avaient pas entendus s’approcher.

Reyn dressa une dague entre son visage et la vision désagréable aux reflets argentés. « Merci bien, mais non merci ! Je gère la situation ! »

La moitié du troupeau se retourna derechef vers elle.

Mú agitait la queue de bonheur tout en poussant de longs couinements. Les totems réunis joignaient à présent leurs esprits, séparés brutalement lorsque Nellis avait tranché leur lien. Pardon, pardon, répéta la sorcière à plusieurs reprises à l’intention de celui qu’elle avait trahi pour un autre. Un jour, j’espère, tu comprendras. Sur le moment, Mú n’avait aucune volonté de comprendre, ni même envie de réfléchir, préoccupé qu’il était par l’énergie nouvelle qui l’envahissait. À présent, il se sentait prêt à abattre le troupeau de mammours à lui tout seul.

Nellis, de son côté, était la proie de l’hésitation. La colère passée, elle ne désirait pas verser davantage de sang, et de tout cœur espérait que, sous leur crâne velu, les bestiaux détiennent deux noix de jugeote et choisissent de battre en retraite. Hélas, tout aussi intelligente puisse-t-elle être, l’espèce défendait son territoire ; et si ces animaux percevaient le pépiement d’un geai de givre niché dans les cimes, ils ne pouvaient constater le sort des deux congénères exposés dans leur chrysalide transparente.

Encore, la vieille femelle de l’autre troupeau aurait peut-être entendu raison, mais le puissant mâle, assourdi par la fureur, ne risquait pas de réfléchir à deux fois. La bête arborait une multitude de plaies à travers sa fourrure repeinte en mauve. Elle avait chèrement défendu son troupeau face à la nuée de crève-yeux et méritait bien son rôle de dominant. En dépit de son piteux état, elle inspirait la force brute de la nature. Ses naseaux encroûtés de sang gelé fulminaient et ses pattes avant grattaient frénétiquement le sol neigeux, prêtes à entamer leur charge folle.

La sorcière poussa un long soupir. Elle était lasse, frigorifiée, ses vêtements trempés collaient à sa peau, elle souffrait de partout, s’arracher les yeux lui démangeait, de même que la furieuse envie d’un bain et d’un câlin. Le tendre instant dans le ventre de l’avalanche, trop fugace, lui laissait un goût amer en bouche.

Elle s’adressa à Mú : Une chance pour toi, je serai toujours là pour sauver ta fourrure de rat.

Une chance que Reyn ignore tout de la télépathie.

Nellis s’était décidée et s’apprêtait à décimer le troupeau. Elle n’avait pas le choix. Qu’elle en abatte un seul, elle ignorait comment les autres réagiraient. Elle ne parierait pas les vies de Mú, Mousse-qui-pique et Jilam, et par extension celle de Reyn, sur une simple conjecture. Tuer le mâle dominant pouvait tout aussi bien provoquer la fuite du troupeau qu’engendrer une frénésie générale.

Elle sentit Jilam lui saisir le bras. « Il y a peut-être une autre solution.

― Dans ce cas, dis-la moi, je t’en prie. »

Or, jamais elle ne priait, et Jilam n’eut pas le cœur de lui répondre, car de réponse il n’en possédait pas. Sa main resserra son étau sur ce bras si maigre et qui pourtant détenait le feu des astres.

Nellis ferma les poings, ses griffes lui rentrèrent dans les poignets. Que lui importait sa propre douleur, elle n’était rien comparée à celle qu’elle s’apprêtait à infliger, aussi prompte soit-elle. Elle se mit à penser au passé, du moins celui qui l’habitait encore, à la sorcière d’autrefois qui n’aurait pas hésité un seul instant face à pareil danger. Elle dédaigna les mammours, maudits bestiaux, trop stupides pour comprendre que leur sort reposait sur une balance fragile.

Reyn sentit malgré elle un poids lui écraser les cœurs. Elle avait déjà vu la sorcière à l’œuvre. Elle se rappelait ce jour sanglant dans le marais, le massacre des panthères d’érèbe. Ici, il n’était pas question d’ombres mais de chair, de veines et d’os, la somme d’une vie, de plusieurs vies. Les mammours n’avaient fait que défendre leur territoire contre des intrus dont la présence n’avait engendré qu’une sanglante pagaille. Ils avaient vaillamment protégé leurs petits contre l’avalanche, puis face à la nuée dévorante, et l’elfe ne pouvait s’empêcher de ressentir une certaine dette envers ceux qui l’avaient sauvée à leurs dépends mais à qui elle devait néanmoins la vie.

Elle leva le bras pour protester. Trop tard, la sorcière dressait déjà le sien.

Un sifflement interrompit alors le sortilège avant qu’il ne passe les lèvres. Toutes les têtes, velues de toutes sortes, se figèrent, empreintes du même étonnement.

Au pied de la sépulture de glace se tenait une silhouette, celle de Quo. La démone étranglait entre ses bras la gorge d’un mammourson ; les griffes vernies caressaient tendrement la jugulaire. Le jeune animal gigotait en silence, sa fourrure brun clair hérissée, sans que Quo ne s’en émeuve, un mince rictus dessiné sur ses lèvres fines. Leurs deux reflets confondus sur la paroi de glace évoquaient un serpent difforme dont les anneaux s’enroulaient autour des carcasses figées des mammours.

Jilam et Reyn ne purent retenir leur effroi devant pareille vision monstrueuse.

Les squelettes des mastodontes tremblaient sous l’étreinte de la démone. Le troupeau communiait la peur de sa progéniture. Elle était sienne, il était sien.

Aucun son ne fut échangé, pas le moindre cri ou grognement, ni même un soupir. Pourtant, le message était clair comme de l’eau de roche. Même le mâle enragé était en mesure de le saisir. Et il le saisit. Sur un ordre silencieux, le troupeau s’écarta de Reyn et de Mú.

Nellis n’en revenait pas. La démone avait attaché sa bride autour des cous laineux et dirigeait à sa guise les colosses pachydermiques à la manière des vulgaires bêtes de somme qu’élèvent les humains. Tout le monde était abasourdi.

Le troupeau continua de s’éloigner. Quand elle estima qu’il se trouvait suffisamment loin, Quo relâcha le mammourson qui se précipita à la vitesse d’un moucheron auprès de sa mère. Les mammours poursuivirent leur route sans se retourner. Seul le mâle dominant dressa la tête, la voilure de ses oreilles tendue en direction du petit groupe. Nellis se tint prête à accueillir la charge. Mais de toute évidence, les mammours retenaient bien les leçons. Le mâle ravala sa fierté et tourna bride, offrant son imposant derrière poilu en guise d’adieux.

Enfin, nos aventuriers se retrouvèrent au complet après que Silène et Tête-de-Pie, planquées jusqu’alors à l’ombre des pins, les eurent rejoints. L’envie de souffler les démangeait, mais ils n’étaient pas encore rendus au bout de leurs peines. La Voie Silencieuse se poursuivait vers l’horizon. Il leur faudrait encore se retenir de hurler et de rire, au risque de rameuter l’intérêt de la mort silencieuse.

La montagne respirait de nouveau le calme, mais retrouverait-elle jamais la paix ? Les voyageurs, sans le vouloir et inconsciemment, avaient violé cette paix. La Voie Silencieuse, au surplus de sa dignité, avait perdu son nom ; tout cela dû à leur passage. On entendra, pour sûr, parler d’eux longtemps au sein des terriers de lièvres cornus, des nichées de crève-yeux et des confréries de mammours. Jamais la rumeur ne s’éteindrait, et jamais le silence ne reviendrait.

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