Chapitre 1 : Seconde rencontre

10 minutes de lecture

Tu as une nouvelle histoire à raconter !

A chaque fois que je me blessais, ma mère me répétait cela pour me consoler. L'aventure que je venais de vivre n'était pas la plus belle ni la plus croustillante, mais elle allait pouvoir occuper mes sœurs pendant le dîner et peut-être même jusqu'au lendemain matin.

Je regardai derrière moi une énième fois, comme si ce cinglé avait pu disparaître, et continuais de trotter en grimaçant. Il me suivait depuis un bon moment, au moins dix minutes, après ma sortie de la fac.

Si la journée était belle, mon humeur ne l'était plus. Les hauts bâtiments de la ville créaient de l'ombre qui rafraîchissait toute la rue et assombrissait le moindre de mes espoirs. Le taré continuait de me suivre. Il savait que je l'avais vu, que j'avais peur puisque je m'étais de nombreuses fois retournée et que je m'étais malencontreusement tordue la cheville sur le bitume irrégulier.

Mais soudain, je vis la pancarte tremblante d'une boutique que j'espérais ouverte. Je poussai la porte, paniquai lorsqu'elle ne voulut pas céder, appuyai encore sur la poignée puis la tirai et, enfin, je pénétrai dans la boutique sombre. Je fis un pas de côté pour me cacher à la vue du suiveur et patientais en silence, complètement sourde à cause des battements de mon cœur.

Je n'étais pas seule à attendre.

***

Loënia était stupéfaite devant le jeune homme aux yeux d'un vert fluorescent. De toutes les boutiques dans lesquelles elle aurait pu entrer, il avait fallu que ce soit celle d'un sorcier. Les yeux de ceux-ci étaient d'une couleur excentrique et incommodante aux humains. Ils se dissimulaient dans toutes les villes du monde. La plupart d'entre eux portaient des lentilles pour éviter les regards déplaisants ou les questions indiscrètes.

La jeune femme regarda derrière elle, par la porte en verre de la boutique ; l'homme qui la suivait semblait avoir disparu.

Dans la pénombre, derrière le comptoir, le sorcier brillait comme un feu en pleine forêt un jour de nouvelle lune. Sa peau presque translucide était couverte de taches de rousseur tandis que ses longs cheveux blonds lui donnaient un air de viking.

- Bonjour.

La voix du sorcier était plus aiguë que ce que Loënia avait pu imaginer. Sa réponse se perdit dans un son rauque. Pour gagner en contenance, elle fit quelques pas dans la boutique avant de se rappeler douloureusement sa cheville foulée. Elle posa son regard sur son membre nu et blessé. Elle était d'autant plus gênée qu'en relevant le regard, elle remarqua que le jeune la regardait avec un air affecté.

-Je me suis fait suivre par quelqu'un alors je suis entrée. Je peux partir si je dérange.

-Il n'y a aucune raison qu'une fée ne soit pas la bienvenue ici, n'est-ce pas ? J'accueille tout le monde, comme tu le sais.

La jeune femme fronça les sourcils en s'interrogeant sur ce que le sorcier venait de dire.

-On se connaît ?

Il avança, contourna son comptoir et vint silencieusement se poster près d'elle. Seul le bruit de ses pas sur le parquet usé osait troubler le silence pesant qui s'élevait entre eux.

-Je suis ton meilleur ami, marmonna-t-il aux yeux ternes qui le fixaient.

Loënia secoua la tête. Le boutiquier sourit. Il eut ce genre de rictus qui hésitait entre le sarcasme et la douleur. Ses yeux verts brûlant de flammes étaient couronnés d'un agacement certain.

-Tu aurais pu me donner des nouvelles.

-Arrête tout de suite, renchérit la fée d'une voix plus forte. J'ai déjà été suivie alors je n'ai vraiment pas besoin de rencontrer un malade de plus.

Ce fut au tour du sorcier de froncer les sourcils.

-Tu ne te souviens pas du tout de moi ?

Les deux jeunes gens s'observèrent silencieusement. Le blond tendit la main vers Loënia.

-Je me prénomme Rashnoé mais tu peux m'appeler Rash... ou Noé. Nous nous connaissons depuis l'école maternelle.

Il tendit un peu plus la main vers elle, son regard enflammé était plongé dans le sien.

-Et je sais déjà que tu te nommes Loënia Oppralin.

Ils se serrèrent finalement la main. Il avait les doigts aussi gelés que ses bagues à la grandeur démesurée.

-Dis m'en plus sur moi, Noé, le défia-t-elle.

Il sourit, amusé, et d'un geste du bras, désigna la cheville de la jeune femme. Son dos impeccablement droit donnait un indice voire indiquait son lien avec la famille royale des fées qui régnait sur le Finistère.

-Cela ira, lui assura-t-elle en fourrant ses mains dans les poches de sa robe. Je t'écoute.

Rashnoé ne prit ni le temps de réfléchir, ni le temps de respirer.

-Tu as été adoptée quand tu avais 3 ans, tu as un hérisson qui s'appelle José, nommé par ta petite sœur, et une chèvre qui bêle la nuit qui s'appelle Bickie. Tu adores lire, d'ailleurs je t'ai offert 1984 de George Orwell. Tu as une peur folle de l'abandon qui te fait te sous-estimer et te plier en quatre pour les autres, tu...

-Oui, bon, ça ira, intervint la fée. Je veux bien te croire, on se connaissait. Seulement, je ne comprends pas comment on aurait pu être des meilleurs amis. Je n'ai oublié que deux mois de ma vie.

Rashnoé lui offrit un regard qui l'invitait de continuer ses explications. Loënia, un peu mal à l'aise, se mit à tripoter quelques bougies dont certaines s'allumèrent toutes seules. La fée n'était pas très grande mais, pour une fois, elle se sentit immense dans cette boutique trop remplie.

-Elles n'ont pas l'habitude d'avoir de l'intérêt, plaisanta le sorcier, elles sont sur mon comptoir depuis bien deux ans et personne ne veut les acheter. Je suppose que c'est parce qu'elles sont incontrôlables.

Loënia esquissa un sourire et reposa la bougie avant de prendre la parole.

-J'ai fait un malaise il y a deux mois. C'était début décembre. Ma mère m'a dit qu'elle a entendu un gros bruit. Je suis tombée dans ma chambre et j'ai oublié octobre et novembre dernier. Depuis, je sais que j'ai plus de mal à me fier aux autres. Tout le monde me parle d'événements dont je ne me rappelle pas et j'ai dû revoir tous les cours du premier semestre puisque c'était comme si je ne les avais jamais étudiés.

-Je suis désolée de ce qu'il t'est arrivé.

La fée regarda sur sa droite comme pour éviter la compassion du jeune homme. Elle fut captivée par le nombre de bocaux en verre remplis d'herbe séchées en tout genre. Du laurier et du thym pendaient du plafond en lévitation, pour certains, grâce à un sortilège. Rashnoé remarqua ce que la jeune femme observait.

-Tu m'as aidé à installer ses étagères et à remplir tous les réceptacles contenant des insectes parce que tu... tu savais que je suis terrifié par eux.

La fée, après avoir observé les étagères encombrées, progressa dans le magasin, scruta des ciseaux occultes et une minuscule boîte à musique qui devait avoir pour fonction d'ensorceler la première personne qui entendrait son chant.

-Tu n'as pas peur que des humains entrent dans ton magasin ? Demanda Loënia. Tu aurais des ennuis s'ils se décidaient à acheter cette charmante poupée vaudou.

-Tu avais déjà remarqué ma boutique jusqu'à aujourd'hui ? Qui cherche à entrer dans un magasin ou la devanture est vide et poussiéreuse ? Et puis, dans le pire des cas, s'ils sont choqués par mes cœurs de crapauds ou mes verres de terre en vrac, c'est qu'ils ne devaient pas être là. Seules les créatures telles que nous peuvent être attirées par mon commerce. D'ailleurs, les vampires sont particulièrement friands de mes glaces au sang.

Le sorcier désigna de la main un congélateur décoré du logo d'une marque réputée de crème glacée. La fée grimaça.

-Avant tu n'étais pas dérangée par mes yeux ou par ces ingrédients. Tu connaissais le mode de vie des sorciers et tu t'y plaisais.

Loënia évita encore une fois son regard.

Elle entra dans un rayon qui offrait une multitude d'urnes funéraires. Pour les sorciers et les fées, elles étaient les cachettes idéales pour tout et n'importe quoi, d'herbes aromatiques interdites à de la nourriture pour un collation nocturne. Quand elle se retourna, Rashnoé était devant elle et lui bloquait le passage. Peut-être n'était-ce pas son intention, mais il l'effrayait. Elle pensa aussitôt qu'avec assez de force elle pourrait potentiellement l'assommer avec une des urnes en terre cuite.

-As-tu oublié autre chose en dehors de ces deux mois ?

Loënia secoua négativement la tête.

-Tu m'as complètement oublié, protesta Rashnoé en criant. Tu m'as oublié alors que je suis ton meilleur ami. On a grandi ensemble, on a tout fait ensemble ! Tu n'as plus aucun souvenir de moi... C'est pour ça que tu n'as pas pu me donner de nouvelles depuis décembre. Nous sommes tout de même en février !

-Alors il fallait venir te présenter, s'énerva la fée. C'est bien beau de dire ça maintenant.

Pour la première fois, ils se regardaient véritablement dans les yeux. Ils avaient tous les deux des prunelles vertes mais celles de Loënia ressemblaient plutôt à un sol terreux, ou alors à un enchantement. La fée, malgré tous les mots du sorcier, ne se rappelait pas de lui et commençait à le craindre.

-Je suis venu. Je me suis montré plusieurs fois et tu ne m'as pas reconnu.

Loënia haussa un sourcil avant de détourner son regard du sien, une fois de plus. Elle ne savait pas si elle devait le croire. Ce qu'il disait lui paraissait sensé. Lorsqu'il l'avait décrite, il avait eu tout bon. Utilisait-il un sortilège pour lire dans ses pensées ? Loënia chassa cette pensée de sa tête et posa sa main sur le rayonnage pour reposer sa cheville douloureuse.

-J'ai sonné chez toi deux fois et ta mère puis Raison, ta grande sœur, m'ont mise successivement à la porte. Un autre jour, je suis arrivé dans ton jardin sous la forme d'un chat et tu m'as caressé. Tu n'avais pas compris que c'était moi !

-Comment aurais-je pu savoir, enfin ?

-Parce que je suis doué en transformations, Loëne ! Tu savais que j'adore me transformer en chat, en chien ou encore en oiseau !

La fée soupira d'exaspération. Elle était déjà très frustrée de ne pas se rappeler la période entre octobre et novembre et les révélations de Noé ne faisaient qu'exacerber ce sentiment.

-J'aimerais...

Elle fut interrompue par une jeune femme qui entra dans la boutique. La nouvelle venue, alerte, repéra malgré la pénombre la fée et le sorcier dans un coin de la boutique.

-Bonjour, la salua Rashnoé.

-Salut ! Je viens refaire mon stock de Bloodice cream.

Loënia lui offrit un sourire poli tout en s'interrogeant sur le goût que pouvait avoir des glaces au parfum sang. Est-ce que les vampires et les humains avaient les mêmes papilles gustatives ?

-Il y en a, le livreur est passé avant hier ! Il m'a appris qu'il allait bientôt y avoir de nouveaux parfums en fonction de la concentration du sang.

-Génial, s'exclama la vampiresse, ça me fera une raison pour venir plus souvent ici.

Le gérant de la boutique alla à la caisse, qui était d'ailleurs un très vieux modèle, et encaissa l'argent de la femme. Les vampires avaient obligatoirement les yeux marron, qui s'obscurcissaient avec l'âge jusqu'à devenir complètement noir comme le sang dans leurs veines.

Pendant ce temps-là, Loënia se prit de passion pour un pendule en cristal de roche. La fée créa quelques flammes entre ses doigts et fit briller la pierre qui se refléta autour d'elle et sur les bouquets secs qui pendaient du plafond. La vampire regarda les éclats sur les murs avant de sortir. Rashnoé avança lentement vers la jeune femme.

-Je vais te le prendre, lui apprit-elle en tournant ses yeux d'un vert presque marron vers lui.

-Comme tu le sens, lui sourit-il en décrochant le pendule de son piédestal.

Ils allèrent jusqu'à la caisse. Sur le chemin, la fée saisit une bougie parfumée au safran qui s'enflamma et manqua de la brûler.

-Je crois que je vais la tenir à la main jusqu'à la maison.

Elle posa la bougie sur le comptoir et paya son dû. Elle sentait la gêne qui s'était créée entre eux deux.

-Nous nous reverrons, n'est-ce pas ?

Cela ressemblait plus à une supplication qu'à une demande. Loënia hocha la tête, trop intriguée pour pouvoir rester sur un mystère pareil sans enquêter.

-Oui, lui assura-t-elle. Est-ce que je pourrais avoir ton numéro de téléphone ? J'ai un nouveau portable depuis décembre, je l'ai cassé en tombant.

-Bien sûr.

Elle lui tendit son téléphone portable pour qu'il inscrive son prénom et son numéro.

-Au passage, tu as une magnifique robe.

-Je crois que c'est ma préférée, sourit la fée.

"Elle a des poches" dirent-ils en cœur. Ils pouffèrent tous les deux en se dirigeant vers la porte d'entrée.

-C'est moi qui te l'avait offerte, avoua-t-il en agitant ses mains à cause de la nervosité.

-Tu as bon goût.

Ils se dirigèrent ensemble vers la sortie. La jeune femme tira et poussa successivement sur la porte qui ne voulut pas céder. Elle se maudissait intérieurement de ne pas savoir ouvrir une porte quand elle vit Rashnoé se pincer l'arête du nez.

-La boutique t'aime bien, lui sourit-il d'un air malicieux. Elle est enchantée, comme ta maison. Allez, fit-il en se tournant vers la porte, laisse-la partir, elle reviendra.

Ils attendirent quelques secondes avant qu'un "clic" ne se fasse entendre. La serrure déverrouillée, le sorcier ouvrit la porte et tint celle-ci pour être sûr que la boutique ne fasse pas encore de caprices.

Hey !

Je suis toute nouvelle sur cette plateforme. Je cherche à obtenir des avis critiques pour mon nouveau manuscrit et à faire de belles découvertes littéraires !

Qu'avez-vous pensé de cette première scène ? Qu'est-ce que cela dit sur Rashnoé ou Loënia ?

Bonne soirée !

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 6 versions.

Vous aimez lire Jane Anne ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0