Chapitre 5 : La maison enchantée

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Le soir, dans la demeure des Oppralin, la matriarche aidait sa plus jeune avec un projet d’arts plastique tandis que Raison et Liséa préparaient le dîner à l’aide d’un peu de musique et d’un soupçon de magie.

Si faire des crêpes n’était pas trop compliqué avec un peu d’entraînement, fabriquer un bateau qui flottait uniquement avec des cotons tiges était une autre affaire. De temps en temps, Raison et Loënia entendaient des soupirs exaspérés provenant du salon.

En dehors de cela, l’ambiance était paisible dans la maison. Seul José en avait profité pour s’agiter dans sa caisse. Raison, magnanime, l'avait pris sur son épaule pendant plus de deux heures.

Malgré les chansons qui défilaient et les quelques pas de danse que les filles exécutaient, Loënia ne pouvait s’empêcher de penser aux événements de cet après-midi. Si l'entrée de Braken dans sa tête l’avait perturbée et si elle se demandait tout ce qu’il avait pu voir ou comprendre, c’était l’apparition de Lelio, le sorcier aux yeux bleus, qui l’avait profondément troublée.

“Je sens que les soucis sont sur le point de débuter pour toi” lui avait-il dit avant de sortir de Lent-sorceler. Elle se détestait de donner autant d’importance aux paroles d’un inconnu qui avait bien pu proférer ses mots juste pour se divertir, mais, en attendant, elle ne pouvait pas s’empêcher de s’en soucier.

Pendant ce temps, Raison comprit que quelque chose turlupinait sa sœur. Sachant qu’elle ne lui dirait rien, elle préféra lui changer les idées.

-Il y a un vampire dans ma promotion.

Raison était en deuxième année de maîtrise de biologie. Elle avait pour projet de continuer jusqu'au doctorat dans le but de devenir chercheuse.

-Il est sympa ? Lui demanda Loënia d’un air distrait.

-Très, complètement aux antipodes de ce que nous a raconté maman.

Raison avait des cheveux crépus qui lui arrivaient au-dessus des épaules. Elle était grande. Elle était la personne la plus douce que quiconque pouvait rencontrer.

-Il s’appelle Endive.

Loënia regarda sa sœur avant de rire.

-Comment ça, Endive ? Personne ne peut vraiment s’appeler Endive !

-C’est son nom de famille, andouille, fit Raison en redressant ses lunettes sur son nez. Il est d’origine belge.

Loënia lâcha un “ahhhh” qui exprimait sa compréhension de la situation. D’un geste du poignet, sans toucher la louche, celle-ci s’éleva dans les airs, se tortilla pour remplir son contenant de pâte à crêpe et vint le vider sur le bilig. La mixture se mit aussitôt à crépiter et à dorer pour former une pâte douce, molle et sucrée.

-Il nous reste de la pâte à tartiner ? Demanda Loënia.

-Sûrement, fit sa sœur en ouvrant un placard. Oui, il en reste ! Liséa et maman seront ravies. Personnellement, je n’aime plus trop ça.

La spatule retourna la crêpe. Loënia posa sa main sur son cœur.

-Quelle trahison ! Tu n’aimes plus notre garniture préférée ? Si tu disais cela à ton toi de 8 ans, je suis sûre que tu en ferais un malaise !

Les deux sœurs riaient de bon cœur jusqu’à ce que leur mère n’entre. Elle ne cessait de dire depuis qu’elles étaient enfants que rire à gorge déployée était fait pour les prostituées. Si Raison et Loënia se moquaient de ce que pouvait penser leur mère sur leur rire, elles se turent tout de même.

-La prof d’art-plastique de Lili est complètement folle ! Un bateau en coton-tige, il n’y a rien de plus intéressant à faire ? Et à côté de ça, elle n’étudie même pas Van Gogh. N’importe quoi ! Vous pourrez mettre le couvert ?

Les filles acquiescèrent tandis que la mère ressortait dans le même coup de vent qu’elle n’était entrée.

Ambatine avait un certain accent qui lui venait sûrement de ses parents. Les filles ne les avaient jamais connus car ils étaient morts avant leur adoption et parfois même leur naissance. La mère des filles avait tendance à ajouter des “euh” à chaque fin de mots. Chaque phrase se transformait ainsi : “Mes amoureuh, vous mettrez le couvereuh ?”.

Mettre le couvert, chez les Oppralin, ne demandait pas beaucoup d’énergie. Raison se contenta de tapoter sur le placard des fourchettes, couverts et cuillères. Ceux-ci sortirent en trombe, volèrent et se déposèrent en toute symétrie sur la table de la cuisine.

Pour Loënia, le moment préféré de la journée était la soirée. Après chaque dîner, elle et sa mère prenaient une tisane dans le bureau de celle-ci et elles discutaient longuement de tout et de rien.

Liséa se serait bien jointe à elle mais elle ne supportait pas l’odeur de plante que dégageait cette tisane, tandis que Raison détestait toute forme de thé froid ou chaud.

La pièce était remplie d’étagères et de deux bibliothèques croulant sous le poids des livres et de certains grimoires. Dans un coin, une vieille lampe dorée éclairait la pièce de sa lumière blanche. Cela avait pour effet de créer des ombres franches qui effrayait Loënia étant enfant.

Quand elle avait six ans, un fantôme avait élu domicile dans le grenier de la demeure. Raison avait débarqué en pleine nuit dans sa chambre, autant par peur que par envie de découvrir la cause de ces bruits incessants qui les empêchaient de fermer l'œil. Toutes les deux, accompagnées de leur grimoire magique composé de sortilèges enfantins, avaient monté courageusement à l’étage. Loënia se rappelait que sa grande-sœur avait créé une boule de lumière pour les éclairer. Elle avait été très impressionnée, car à six ans, elle ne savait pas le faire. Elles avaient réussi à ouvrir la porte qui menait au grenier sans magie, puis s’étaient engouffrées dans celui-ci avec tout le courage qu’il leur restait. Elles avaient attendu ce qui leur avait paru être une éternité. Au bout d’un moment, sur le point de partir, elles avaient entendu une voix. Celle-ci était grave, aussi grave que celle d’un monstre et aussi effrayante que le vent contre les fenêtres ! Et ce qu’elles avaient vu à ce moment-là les désarçonna totalement : un grand être malingre se tenait devant elles en leur tendant la main. Il portait une tenue tout à fait habituelle, pour les années 2000, et un sourire sur le visage. Les fillettes n’avaient pas été si impressionnées qu’elles ne l’avaient d’abord pensé. Tous les trois avaient discuté pendant une bonne partie de la nuit avant que leur mère n’arrive, réveillée par le bruit. Elle n’avait pas trouvé aussi charmant qu’un locataire réside gratuitement dans leur grenier. Elle lui avait lancé un enchantement. Les fillettes n’avaient jamais revus l’amical fantôme.

-Tu crois aux prophéties ? Demanda innocemment la jeune fée.

Ambatine dodelina de la tête. Elle hésitait entre deux réponses. Les créatures magiques, et en particulier les fées et les sorciers, étaient de nature superstitieuses.

-Si elles me sont favorables, alors oui. Dans le cas contraire, je n’y crois pas.

Les deux femmes rièrent, discrètement, de bon cœur.

-Pourquoi me poses-tu cette question ?

-A la fac, nous avons fait des recherches sur des textes et j’ai trouvé un extrait de science-fiction qui proclamait la mort imminente de tous les habitants de notre planète. Ça m'a fait sourire, parce que ce texte date d’il y a cinquante ans.

Ambatine hocha la tête. Loënia ne savait pas si elle avait gobé son mensonge, mais c’était toujours mieux que lui dire qu’elle avait rencontré un sorcier aux yeux bleus qui l’avait effrayé en lui disant que des problèmes allaient arriver très bientôt.

Plusieurs jours passèrent normalement, ou du moins, selon la normalité d’un monde avec la magie. Un matin où Loënia fut la première à se lever, elle découvrit Bickie, la chèvre, dans le salon, qui avait mangé quelques fruits présents sur la table de la cuisine. Les fées de la maison s’étaient rapidement mises d’accord pour accuser la demeure enchantée d’avoir ouvert les portes nécessaires, dont celle de l’enclos de la chèvre qui était au fond du jardin. Un soir, alors que Liséa était partie à la salle de bain se brosser les dents, elle retrouva la baignoire pleine d’eau et prête à se déverser sur le tapis tandis que les bouteilles de savon flottaient et vidaient joyeusement leur contenu dans la demeure. La mousse commençait à devenir dangereusement proche du plafond. Enfin, un dimanche, où Ambatine coupait des fleurs du jardin, celles-ci fanèrent aussitôt une fois mise dans un vase. Les fées, plus qu’exaspérées, menacèrent de déménager, ce qui calma les ardeurs de la maison. Par ailleurs, il était impensable de trouver une nouvelle demeure pour Ambatine. C’était sa maison familiale, que Raison avait déjà l’intention de récupérer pour y voir grandir ses propres enfants.

Un après-midi, Priscilla, une femme à la voix aussi agaçante que son prénom et à l’odeur de tabatière froide, passa à la maison. Les trois soeurs connaissaient cette femme depuis leur enfance puisqu’elle était la meilleure amie de leur mère. Quelque peu curieuse et sèche en même temps, cette femme n’inspirait ni le calme ni l’apaisement. Elle ressemblait, en quelque sorte, à une vieille professeur de danse classique qui aurait mal tournée.

Comme à leur habitude, Ambatine et Priscilla crachèrent en long et en large sur Horod, le roi des fées. Il avait fait savoir qu’il donnerait un bal dans deux semaines. Si les Oppralin étaient invités, Ambatine trouva tout de même un moyen de ronchonner sur les dépenses qu’engendrait un surplus de festivité. Elle aurait houspillé avec un même niveau d’intensité si elle n’avait pas été invitée.

Les filles passèrent donc l’après-midi à l’étage, peu envieuses de rester le reste de la journée sur le canapé, le dos droit, à attendre en hochant la tête en entendant leur mère cracher sur leur oncle et leur cousin.

Loënia sortit de sa chambre dans l’optique de taquiner Raison. En fait, elle était émotionnellement bouleversée par sa dernière lecture, 1984 de George Orwell. Être surveillé, filmé, entendu comme dans le livre l’avait fait paniquer. Quand elle arriva devant la porte de la chambre de sa sœur, qui était en face de la sienne, elle entendit Raison parler. Elle devait être au téléphone. Sa voix était plus aiguë qu’à l’accoutumé.

Loënia, peu scrupuleuse et avide de ragots, en particulier quand il s’agissait de sa sœur, attendit et entendit jusqu’à la fin de l’appel. Elle ouvrit la porte d’un coup, ce qui fit sursauter Raison qui en lâcha presque son téléphone portable.

Loënia éclata de rire en voyant sa sœur dans cet état. Elle referma difficilement la porte et s’exclama :

-C’est le Amare auquel je pense ?

L’été dernier, Raison et Loënia s’étaient rendus au concert d’une chanteuse qu’elles appréciaient toutes les deux beaucoup. Là-bas, Raison avait craqué sur un jeune loup qui la regardait également. A la fin du concert, ils s’étaient mutuellement attendus et Loënia s'était déportée vers le restaurant où elle avait commandé pour eux trois à manger. Elle avait peut-être fini par dîner seule mais sa sœur avait trouvé l’amour de sa vie.

-Tu m’as écouté, s’enquit Raison. Tu n’as pas honte ? Vingt-et-un ans et toujours incapable de ne pas écouter aux portes ? T’es incroyable, Lo’.

Loënia leva les yeux au ciel devant l’agacement légitime de sa sœur. Elle ne ressentait pas la moindre once de culpabilité.

-OK, je suis désolée d’avoir brisé ton intimité. Seulement, tu es éprise, et je répète, éprise d’un loup garou et ça, c’est une nouvelle en or ! Peut-être que maman va être plus cool en apprenant…

-Elle n’apprendra rien du tout. Promets-moi de ne rien dire.

Les deux femmes échangèrent un long regard. Loënia essaya de fourrer ses mains dans les poches de sa jupe, mais elle n’en avait pas.

-Promis, soupira la petite sœur. Mais, quand même, toi, l’enfant parfait et impeccable, tu brises une des règles de maman… C’est bien.

Raison ouvrit la porte de sa chambre et vérifia que personne ne les écoutait. Elle la referma aussitôt sans faire de bruit et vint s’asseoir sur son lit. Derrière elle, une boule de cristal résidait en maître sur sa table de chevet. Ce modèle servait autant de lampe de chevet que d’outil de divination.

-Comme si je ne portais pas assez de culpabilité comme ça, Lo’. Je sais ce que maman nous a inculqué et, crois-moi, je ne suis pas prête de l’oublier. Elle hait les loups, presque autant que les sorciers et les vampires.

Loënia hocha la tête plusieurs fois. Elle était parfaitement consciente que si leur mère apprenait que l’une de ses filles était éprise d’un loup et qu’une autre était amie avec un sorcier, elles auraient énormément de soucis en vue. Leur mère était très stricte et autoritaire. Parfois, elles se disaient qu’elles aimeraient prendre un appartement en commun en ville sauf qu’elles n’avaient pas d’argent et que leur faculté se trouvait à moins de dix minutes de leur maison. Cryset était une ville réputée pour ses universités et l’économie florissante. Le prix des loyers avait crû lors de la dernière décennie.

-Ecoute, j’ai repris contact avec Noé.

Raison fronça les sourcils.

-Tu veux dire Rashnoé Corasone, ton meilleur ami depuis la maternelle ?

Loënia vint s’asseoir à côté de sa sœur sur le lit.

-Je pensais que vous vous étiez disputés. C’est ce que maman m’avait dit.

Loënia se mit alors à douter. S’étaient-ils disputés en décembre ? Pourquoi Noé ne lui en avait pas parlé ? Si c’était le cas, à propos de quoi s’étaient-ils disputés ?

-Je ne savais pas que nous nous étions disputés mais oui, c’est bien lui. Il a une boutique, Lent-sorceler, dans le centre ville. Enfin, c’est la boutique de son père mais il travaille là-bas.

Raison hocha la tête. Elle savait déjà tout cela.

-Maman a toujours mal vu votre amitié. Elle croit que tu le haies alors ne t’avises pas à parler de lui devant elle.

-On est d’accord, compléta tristement Loënia. Pleins de parents se moquent que leurs enfants traînent avec d’autres espèces que la leur. D’ailleurs, nous sommes des jeunes adultes, nous ne devrions même pas nous demander ce que notre mère pense de nos amitiés.

-On vit chez notre mère, lui rappela Raison d’un ton docte, et on ne la fera pas changer. Je l’ai entendu parler avec Sajus, le voisin, quand je faisais la litière dans l’enclos de Bickie. Elle était très en colère contre les vampires car certains auraient attaqué des humains dans le coin.

Loënia soupira d’accablement. Elle ne savait pas si les accusations que sa mère portait étaient véridiques ou non puisqu’il y avait peu de moyens pour obtenir des informations fiables. Bien sûr, dans le milieu des fées, tout le monde accusait les vampires de ces meurtres. Pourtant, il n’y avait aucune chaîne télévisée consacrée aux créatures magiques, ce qui était bien dommage pour avoir des informations véridiques sur les activités des créatures magiques.

Hey !

Comment allez-vous ? Personnellement, j'ai le/la covid (mais ça va).

J'espère que ce chapitre vous aura plu. On y découvre un peu plus la vie de Loënia et de sa famille... Et on apprend que Rashnoé et Loënia se seraient disputés. Hmhm.

Je ne vous en dis pas plus mais je vous souhaite une très bonne journée,

Jane.

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