Chapitre 15 : La voiture noire

12 minutes de lecture

-Vous n’allez rien dire à ma mère, n’est-ce pas ?

La fée, soudainement plus sérieuse, posa ses yeux dans ceux d’Adrien. Ils étaient imperturbables.

-Elle mérite de comprendre ce que ça fait que d’être battu.

-J’ai des sœurs. Je ne suis pas seule. Ça pourrait avoir des répercussions sur elles. Je refuse que vous ou quelqu’un d’autres lui fassiez du mal.

Adrien hocha vaguement la tête. Il marcha jusqu’au tableau de la femme à la robe bleue et le redressa du bout de l’index. Loënia était affreusement gênée. Elle n’osait pas envisager le fait qu’ils puissent être de la même famille. D’ailleurs, comment s’en assurer ? Et s’ils l’étaient vraiment, alors il faudrait qu’elle accepte que ses parents ne l’ont pas abandonné mais qu’ils sont bel et bien morts assassinés.

Loënia but une ou deux gorgées de plus de ce fameux chocolat chaud. Le vampire déplaça une chaise et vint s’asseoir près du lit.

-Il faudra s’assurer que tu retrouves tes souvenirs, fit-il calmement.

La fée hocha la tête. Elle posa la tasse sur la commode et alla se poster devant une glace accrochée au mur. Elle regarda son reflet. Le sang sur son front avait coagulé. Elle se dit qu’elle aimerait prendre une douche.

-Je cherche un enchantement, lui assura Loënia.

-Il n’y a que la magie noire pour retrouver la mémoire, lui apprit Adrien.

La fée tourna la tête vers le vampire, il la regardait déjà. Il était sérieux et disait vrai, Loënia le sentait. Néanmoins, avec sa mère et sa famille, elle ne se sentait pas prête à faire prendre des couleurs à son tatouage féerique.

-J’aviserai, fit-elle. Au pire, mes amis m’aideront à faire un sortilège, s’il le faut.

La seule différence entre un enchantement et un sortilège était que l’un était effectué par une fée tandis que l’autre l’était par une sorcière. Les sorciers pouvaient faire tous les sortilèges qu’ils souhaitaient alors que les fées ne pouvaient pas en réaliser. Elles devaient parfois créer leurs propres enchantements.

Quelqu’un frappa, un vampire se dessina sous l’encadrement de la porte. Il tenait un plateau repas avec un ramequin rempli d’une salade de fruit et une assiette fumante de pâtes carbonara.

-C’est ma recette préférée, s’enquit le nouveau venu. Comme c’est plutôt basique, je me disais que tu apprécierais.

-Merci d’avoir cuisiné, lui sourit Loënia. J’aime beaucoup les pâtes.

C’était un vampire à l’apparence jeune. Il était petit, la peau noire et de grands yeux marron. Il parut tout de suite sympathique à la fée. Il déposa le plateau repas sur le lit et s’en alla aussitôt.

Loënia mangea sur le lit tandis qu’Adrien lui faisait un résumé des étapes importantes de sa vie. La jeune femme apprit que le meneur n’avait pas qu’une allure aristocratique. Il avait fait la première et seconde guerre mondiale. Étant né en 1878, il avait connu la révolution industrielle, l’arrivée d’internet, le développement des réseaux de transports ou encore plusieurs personnalités célèbres qui avaient marqué l’histoire.

Loënia fut plus consternée d’apprendre qu’Adrien avait un certain penchant pour la guerre, les conquêtes et le développement des vampires. Elle crut comprendre qu’il aimerait voir plus d’immortels au pouvoir, mais Adrien ne resta pas longtemps sur le sujet, peut-être était-il conscient que Loënia appréciait moins ce point de vue.

Les livres furent leur sujet principal pendant longtemps, et le vampire lui en conseilla plusieurs. Ils discutèrent également des études de la fée. Le plus étonnant, peut-être, fut qu’ils n’évoquèrent pas Lysandre et Lune, les potentiels parents de Loënia. En revanche, ils échangèrent leur numéro de téléphone et se mirent d’accords pour faire un test ADN. Apparemment, plusieurs vampires travaillaient dans un laboratoire à Brest, ce qui faciliterait grandement leurs recherches. La fée avait hâte de raconter tout cela à Rashnoé.

-Que te souviens-tu de “ta chute” ? Lui demande Adrien en décrivant des guillemets avec ses doigts.

Loënia, qui attaquait sa salade de fruit, se redressa sur le lit.

-Eh bien, c’est assez flou, en fait. Je sais que j’avais terriblement mal à la tête, que j’étais complètement perdue. Je me suis réveillée sur le tapis de ma chambre. Je sais aussi que ma mère est arrivée presque tout de suite et elle m’a aidé à me relever. Ce que je ne comprends pas c’est que si ma chute n’a pas provoqué la perte de mes souvenirs, enfin, si je suis vraiment tombée, c’est que ma mère m’a menti.

-Et c’est probablement elle qui aurait usé d’une incantation sur toi.

Loënia secoua la tête, foncièrement persuadée que sa mère n’aurait jamais osé faire cela. La jeune femme regardait les plis de sa robe sur ses jambes. Elle songeait que ce soir, elle ne boirait pas de tisane avec sa mère. Si elle n’était pas si triste à l’idée de rompre cette habitude, elle avait le cœur brisé à l’idée de ne plus jamais pouvoir partager de moment pareil avec sa mère. Comment pourrait-elle lui faire encore confiance alors qu’elle avait levé la main sur elle ?

-Si elle a voulu que tu perdes des souvenirs, sur une telle durée, et en effaçant aussi ton meilleur ami, c’est qu’elle souhaitait délibérément être précise. Tu avais dû découvrir quelque chose.

Loënia se rappela que Rubis lui avait un jour dit quelque chose dans le même genre. Même avec ses paroles et les arguments d’Adrien, elle ne pouvait se résoudre à imaginer sa mère créer un enchantement qui lui fasse oublier cela.

-Vous disiez qu’il n’y a que la magie noire donc la sorcellerie pour les sortilèges qui touchent à la mémoire. Or le tatouage féerique de ma mère est impeccable, il est sur son poignet.

Adrien acquiesça, pas le moins du monde décontenancé.

-Elle a pu demander l’aide de quelqu’un d’autre.

Le sourire qui avait tenté de s’instaurer sur le visage de Loënia se décomposa brutalement.

-Je refuse même d’y penser. Elle n’aurait jamais pu me faire ça !

Adrien resta silencieux. Loënia piqua avec sa fourchette un morceau de banane et un autre de fraise. Le pire, pour la fée, était que malgré l’agitation qui la tenaillait, le sommeil la gagnait de minute en minute. Elle étouffa un bâillement.

-C’est vraiment gentil de m’avoir recueilli pour la nuit.

-C’est cinquante euros par jour, déclara-t-il d’un ton sérieux, mais rassure-toi, certains des vampires derrière cette porte seront heureux d’être payés en nature.

Loënia hésita un instant et Adrien éclata de rire devant son air incrédule.

Ce fut comme si le sommeil l’avait saisi d’un coup sans demander son reste, comme si quelqu’un l’avait secoué comme un prunier et l’avait laissé seul ensuite. Loënia se rappelait vaguement d’où elle était et de l’heure exacte où Adrien avait quitté sa chambre pour la nuit. Dans un état de semi-conscience, elle était assez calme, jusqu’à ce qu’elle ne se réveille davantage et que la panique ne la saisisse.

Elle écarta les draps, comme pour s’éloigner de cette maison. Malheureusement pour sa tranquillité interne, elle y était toujours. Plus elle devenait lucide, plus elle réalisait qu’elle avait énormément parlé avec un homme qu’elle n’avait vu que deux fois de toute sa vie, qui l’avait recueilli en plein milieu de la nuit et qui l’avait menacé de l’assassiner auparavant. De plus, son téléphone portable n’avait plus que vingt pourcents de batterie et regorgeait de messages de ses sœurs. Une nouvelle vague de culpabilité l’ensevelit.

-Pourquoi suis-je partie hier soir, marmonna-t-elle en se prenant la tête entre les mains.

Elle se leva, chancela un peu. Elle avança dans la pièce, marcha jusqu’au miroir et vit à sa tête qu’elle avait besoin d’une bonne douche.

Elle se rappela qu’Adrien lui avait indiqué le chemin de la salle de bain. Elle agrippa sur le bahut les vêtements qui lui avaient été prêtés, les saisit et entreprit d’ouvrir la porte avec un enchantement. C’est en voyant la porte ne pas ciller qu’elle se rappela être bel et bien dans le manoir de vampires. Elle n’avait aucun pouvoir.

Elle appuya sur la poignée avec son coude, courut à petits pas jusqu’à la salle de bain, ouvrit la porte timidement et soupira de soulagement en se rendant compte que la pièce était vide. Elle posa par terre ses affaires, ferma à clef et prit la douche la plus rapide de sa vie.

Maintenant, elle n’avait plus qu’à descendre l’escalier et à affronter tous les regards curieux. Sur le palier d’où elle entendait des voix provenant d’en bas, ses affaires serrées contre sa poitrine, elle gémit intérieurement.

-Tu as besoin de quelque chose ?

Loënia manqua de faire un arrêt cardiaque, du moins, elle en était persuadée. Elle se retourna vers la voix et découvrit le même garçon qui lui avait apporté à manger hier soir.

-Salut, euhmmm… Non, je me tâte juste à descendre. Ça va ?

Le vampire lui sourit.

-Très bien. J’étais chargée d’aller te réveiller mais comme c’est déjà fait, on n’a qu’à descendre. Adrien est déjà en bas.

Loënia hocha la tête. Ils descendirent par l’escalier en bois sombre. Elle fut en quelque sorte rassurée de ne pas être seule. Pourtant, aux regards, elle aurait dû y être habituée. Depuis petite, elle attirait tout un tas de personnes de par son statut royal.

Ils passèrent par le salon qui était moins rempli qu’hier soir. La jeune fée reconnu le vampire roux qui avait contribué à l’amener ici, la première fois, avec Noé. Elle détourna la tête, peu encline à lui sourire.

Elle échangea un regard avec son guide en réalisant qu’elle ne connaissait pas son nom.

-Au fait, l’interrogea-t-elle alors qu’ils traversaient le salon pour entrer dans un couloir sombre, comment t’appelles-tu ?

-Thaïs, lui sourit-il. Pour être poli, je t’aurais bien demandé ton prénom mais je le connais déjà. Tu es un grand sujet de conversation ici, malgré toi. La plupart des vampires de ce clan ont connu l’arrière-petit-fils de monsieur de Val et leur enfant alors si c’est toi…

Thaïs s’interrompit en entrant dans une nouvelle salle. Elle était couverte de grandes fenêtres qui donnaient sur les bois. Elle était occupée par une très longue table en bois massif qui semblait très lourde.

Quand Adrien les repéra, il s’excusa auprès de la vampiresse avec laquelle il discutait et vint les rejoindre.

-Je te ramène chez toi, fit-il sans plus de cérémonie.

Il ne ralentit pas devant la fée qui regarda avec un air interrogateur Thaïs avant de se décider à suivre Adrien.

-Vous êtes pressé ? Lui demanda-t-elle.

Il ne répondit pas. Elle avait cru comprendre qu’elle était la bienvenue ici mais ce changement de comportement la rafraîchit encore davantage que la douche froide qu’elle avait pris, car elle n’avait pas compris le mécanisme du robinet.

Ils sortirent silencieusement et montèrent dans la même voiture qu’hier. Loënia n’osait pas demander ce qui n’allait pas. Adrien avait les traits tirés et les sourcils froncés. Elle ne savait pas si c’était à cause d’elle ou non, mais dans le doute, elle ne voulut pas s’attirer le courroux du vampire.

Sur le chemin pour rentrer chez elle, Loënia tourna sa paume de main et créa un peu de vent entre ses doigts. Elle sourit en constatant que ses pouvoirs étaient revenus. Si elle ne l’avait pas remarquée hier, la jeune fée regretta de ne pas avoir pu conduire car Adrien conduisait si vite qu’elle se demandait comment il pouvait faire pour s’arrêter aux panneaux stop.

Adrien, au bout de moins de temps qu’il en fallait pour boire un verre d’eau, arriva devant chez elle. Si elle lui avait conseillé de se garer un peu plus loin, comme elle l’avait fait avec Noé, il ne l’avait pas écouté. Il décrocha même sa ceinture.

-Que faites-vous ? le questionna la fée.

-Je vais discuter avec ta mère.

La jeune femme sentit une douleur dans sa cage thoracique, comme si son coeur avait arrêté de battre. Après tout, si c’était vraiment le cas, elle constituerait une très belle diversion et Adrien n’aurait pas à entrer chez elle.

-Non, fit Loënia d’un ton catégorique. Il en est hors de question. C’est vraiment adorable de m’avoir ramené mais là, non. Elle va filer folle si un vampire marche sur sa pelouse.

-Alors je peux courir.

Adrien avait l’air si sérieux que Loënia ne comprit pas la plaisanterie.

-Je tiens à ma vie. Je ne… Non. Sérieusement, dit plus rapidement la fée, si vous venez chez moi, ma mère va tout simplement disjoncter et ça va retomber sur moi et mes sœurs. Vous avez vu ce que ma mère m’a fait parce que j’ai osé sortir en dehors des cours alors que je suis majeure. Mes sœurs n’ont rien à voir avec cette histoire et je refuse qu’elles soient mises en danger par ma faute.

Adrien ne lâcha pas Loënia des yeux. Au bout d’un moment, qui sembla infiniment long à la fée, il souffla et hocha la tête, en signe d’acceptation.

-Merci, vraiment.

Ils échangèrent un dernier regard, Loënia sourit timidement et sortit de l’habitacle. Elle traversa la route, poussa la porte du portail et alla sonner chez elle. Aussitôt, elle entendit des pas de course et Raison lui ouvrit la porte.

Sa grande-soeur la serra très fort.

-Que s’est-il passé ? chuchota-t-elle à l’oreille.

-Je t’expliquerai après, si je survis, murmura Loënia. Fais attention à ce que tu dis en face de maman.

Elles entrèrent après que Loënia ait accordé un dernier regard vers la voiture noire qui l’avait déposée. Liséa vint sauter dans les bras de sa sœur disparue. Loënia fut surprise de voir sa sœur de si bon matin, habillée et réveillée.

-Tu nous as fait hyper peur ! Tu aurais pu répondre à mes SMS, franchement.

-Désolée, Lili, je me suis endormie.

-Où as-tu dormi ?

La voix tranchante d’Ambatine résonna comme un écho trop fort pour la cuisine de cette maison. Comme en réponse à cette agitation, José le hérisson gratta la litière de sa cage.

-J’étais au palais, répondit Loënia, chez Braken. Il m’a logé dans un de ses appartements. Apparemment, j’ai dormi dans ton ancienne chambre. On peut discuter ailleurs ?

Ambatine comprit aussitôt la menace. Ses grandes lunettes grises faisaient ressortir ses yeux bleus et, en plus de son tailleur gris, elle avait bel et bien l’air d’être une chouette.

Une fois dans le bureau de la matrone, Loënia croisa les bras sur sa poitrine. Elle entendit un des voisins tondre et elle sut d’instinct que c’était Sajus, l’ami de sa mère. Un tel homme n’avait qu’une passion dans la vie : emmerder les autres et tondre à huit heures un samedi matin était un des plus grands plaisirs qu’il s’accordait.

-Tu es allée chez des vampires, c’est ça ? Assena Ambatine. Tes blessures sont guéries. En t’alliant avec eux, tu sais que tu jettes l’opprobre sur ta famille.

Loënia fut presque triste de ne pas obtenir d’excuses venant de sa mère. Cette dernière avait délibérément blessé sa fille, tout de même ! Elle chassa l’idée de son esprit, à quoi rêvait-elle ? Ambatine Oppralin n’admettrait jamais qu’elle a eu tort.

-J’ai bel et bien dormi chez Braken, mais tu peux l’appeler, si tu doutes de ses capacités à m’accueillir.

Loënia avait bien sûr envoyé un SMS à son cousin pour qu’il la couvre si Ambatine l’appelait véritablement. Le prince avait raconté à la secrétaire, Madame Leguen, qu’elle aurait à mentir pour le couvrir également.

-Je lui ai bien sûr tout raconté, fit Loënia en avançant vers sa mère. J’ai dû le retenir d’aller tout répéter à son père, le roi Horod et ton frère. Alors, si tu m’empêches de nouveau de sortir ou si tu me blesses, moi ou mes sœurs, je donne le signal à Braken et Horod te fera tout perdre. Tu sais bien à quel point il aime la paix.

Ambatine semblait à bout. Loënia se demandait comment elle était passée d’une couleur de peau bistre à poivron. Après réflexion, la jeune fée s’inquiéta pour sa mère qui semblait sur le point d’exploser en mille morceaux.

Loënia n’appréciait pas faire du chantage à sa mère mais elle voulait protéger ses sœurs, et surtout Liséa qui était très jeune et qui avait encore quelques années à vivre ici.

-Très bien, fit Ambatine dans un souffle rauque. Très bien.

-Parfait. Je mets d’autres vêtements, je déjeune et je pars en ville voir Braken. Bye !

Loënia s’en retourna en tremblant des mains. Elle traversa le couloir où elle avait été blessée, sourit à ses sœurs et monta deux à deux les marches de l’escalier.

Hey !

On se retrouver aujourd'hui avec un chapitre un peu plus long (apparemment 12 minutes de lecture !)

On voit une facette de Loënia plus débrouillade et perdue à la fois.

Comment allez-vous ?

Bonne journée !

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Jane Anne ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0