Chapitre 21 : Culpabilité

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Lorsque Loënia poussa le portail qui donnait sur son jardin, elle sentit l’herbe s’agiter sous ses pieds et les graviers de la cour rouler comme des billes. Elle courut jusqu’au perron et ouvrit la porte d’un seul enchantement. Chaque membre de la famille possédait une clé mais personne ne s’en servait jamais, puisqu’Ambatine avait enchanté la porte d’entrée pour que seules les fées de la maison pussent l’ouvrir grâce à leurs pouvoirs magiques.

-Les filles ?

Raison et Liséa étaient dans la cuisine. Les murs jaunes brillaient de tout leurs souls grâce aux rayons du soleil. Elles pleuraient toutes les deux.

-Des fées sont venues chercher maman hier soir, balbutia Raison. Braken est venu ce matin nous expliquer qu’elle avait assassiné nos parents. Elle a fait des aveux.

Loënia trébucha en pénétrant dans la cuisine. Elle tomba sur une des chaises de la table oblongue.

-N… Nos parents ?

Liséa renifla bruyamment.

-Nos parents à toutes les trois. Elle… Elle…

Raison lui caressa le dos. Loënia sanglota.

-Je suis désolée, balbutia-t-elle. Je n’aurais jamais pensé qu’elle aurait pu faire une telle chose.

-Sajus a disparu, lui apprit Raison.

Loënia hocha la tête. Elle aurait souhaité que leur voisin soit le cadet de ses soucis, mais il avait effectué le sortilège qui lui avait fait perdre sa mémoire.

-Quand est prévu le procès ?

-Après-demain, souffla Raison.

Elles restèrent toutes les trois à boire de l’eau tiède dans la cuisine jusqu’à ce que l’une d’elle fût obligée de se lever pour appuyer sur l’interrupteur qui les aveugla momentanément.

Loënia avait une folle envie de voir Rashnoé. Pas pour lui expliquer en détail tout ce qu’elle avait vu, pas pour discuter de son court séjour avec Adrien, mais juste pour ne plus être entourée et noyée de chagrin. Elle n’avait pas la force de le supporter. Ambatine, leur mère, la femme qui les avait élevées, ne pouvait pas avoir tué les parents des trois filles qu’elle avait adoptées, cela n’avait pas de sens !

Les trois journées qui suivirent se passèrent dans un brouillard ténébreux. Loënia ne se rappelait que de quelques moments éloquents. Comme le passage d’Amare, le petit-ami de Raison, qui avait dormi une nuit chez eux. Rashnoé était également venu apporter son soutien. Il avait amené avec lui deux plats de nourriture que sa mère avait concoctés pour les trois fées. Priscilla, la meilleure amie d’Ambatine, était également venue. Raison et Amare l’avait laissé sur le perron. Quant à Adrien, il avait appelé Loënia pour lui demander de ses nouvelles.

Et, un peu comme ça, le jour du procès arriva. C’est Amare qui conduisit la voiture d’Ambatine avec les trois fées à l’arrière. Il trouva facilement une place sur le parking près du palais. Amare, Raison et Liséa entrèrent tout de suite. Loënia resta à l’extérieur, Rashnoé l’attendait déjà.

Il la prit dans ses bras et lui frictionna le dos.

-Je me sens coupable, gémit Loënia.

-Pourquoi ?

-Si je n’avais pas découvert qu’elle avait tué mes parents, elle ne serait pas là.

Rashnoé posa son front contre celui de la jeune femme.

-Pense à tous les gens que tu as potentiellement sauvés en découvrant la vérité, OK ?

Loënia hocha la tête sans conviction.

-C’est une épreuve que nos anciens placent sur ton chemin mais je sais que tu arriveras à la surmonter.

Rashnoé et Loënia franchirent les portes de la demeure royale et suivirent les indications de Madame Leguen, la secrétaire, qui devait risquer l’accident vasculaire cérébral comme à chaque fois qu’elle rencontrait quelqu’un sans tatouage féerique.

Ils s’assirent côte à côte.

-Matze t’envoie toutes ses ondes positives, lui chuchota Rashnoé.

Les parents de Rashnoé étaient assis à l’arrière. Ils sourirent d’un air encourageant face à la fée.

Loënia avait l’impression de se rendre à un enterrement. L’enterrement de sa vie d’avant.

A l’autre bout de la salle se tenaient les jurés. Horod et ses conseillers les plus proches étaient présents. Après tout, c’était le procès d’un membre de la famille royale.

-Tiens toi droite, cousine. Tout le monde nous regarde.

Braken vint s’asseoir sur la chaise libre à côté de Loënia. Une pensée fugace et prosaïque traversa son esprit : comment faisait-il pour toujours avoir une cape aussi impeccable.

-Comment va-t-elle ?

-Elle peut te répondre, lui assura Rashnoé, quelque peu sur la défensive.

-Je suis au bord du gouffre, déclara Loënia tout en cherchant Adrien du regard.

Le vampire apparut plus loin, dans un parterre de gens que Loënia ne connaissait pas. En cette fin d’après-midi, elle n’avait l’impression de ne connaître personne. Elle savait qu’ils habitaient la région, qu’ils étaient des fées, parfois même qu’ils étaient de la famille éloignée mais jamais Loënia n’eut l’impression de les connaître et d’être aussi seule, dans cette agglomération ronronnante. Adrien s’assit derrière Loënia et se pencha un instant pour lui dire qu’il passerait ce soir chez elle.

Loënia ne manqua pas le coup d'œil assassin que Braken offrit au vampire. La fée songea alors qu’elle n’avait jamais vu Adrien sans aucun autre vampire autour de lui dans un lieu public. La dernière fois où elle avait vraiment été seule avec lui remontait à il y a un mois, quand il l’avait suivi dans une ruelle lorsqu’elle avait fugué de chez elle. Cela avait été également la première fois qu’ils avaient eu une discussion importante. Adrien lui avait révélé qu’elle était peut-être bel et bien son arrière-arrière-petite-fille.

Retour à la réalité. Elle étouffait de chaleur et sentait ses joues s'empourprer. Loënia avait fourré ses mains dans les poches de sa robe. Elle portait une nouvelle fois celle que Rashnoé lui avait offerte. Il passa sa main sur celle de son amie, et ils restèrent là, à attendre.

Le brouhaha était assourdissant. Énormément d’adultes, presque exclusivement des fées, étaient présents. Tous, échangeaient des ragots, s’exclamaient, chuchotaient, radotaient, rigolaient, se vantaient de savoir mieux que les autres l’ultime vérité qui couvrait Ambatine Oppralin.

Le sol lustré brillait de tout son soûl. Le chêne était à l’honneur, même pour une salle supposée rendre un jugement légal. Les fenêtres étaient immenses, comme toutes celles du château, et donnaient sur un ciel bleu. Moqueur, il n’avait pas son pareil pour déposer ses rayons et sa lumière sur les mines les plus sombres de l’assistance.

Raison faisait l’effort de tenir la discussion avec une vieille dame qui n’avait cessé de critiquer les filles Oppralin depuis de nombreuses années. L’aînée portait un sourire forcé sur ses lèvres tandis que la benjamine dissimulait difficilement ses larmes.

En effet, Ambatine Oppralin venait d’entrer dans la large pièce. Tout le monde, même les plus avides de ragots, s’assirent malgré les déambulateurs et l’arthrose. Jamais on ne vut de personnes âgées aussi rapides.

Raison et Liséa s’assirent près de Braken qui leur avait réservé des places. Loënia serra la main de Rashnoé qui l’encourageait du regard. Adrien était seul, derrière.

Ambatine n’était plus la femme assidue, stoïque, au tailleur toujours lisse que Cryset avait connu. Ses cheveux flottaient en épis sauvages sur ses épaules tandis que ses vêtements trop larges pour elle l’amaigrissait encore. Seule l’intensité de son regard n’avait pas chaviré pendant ses quelques jours de captivité.

Loënia eut soudainement envie de vomir. Elle posa sa main sur sa bouche mais, heureusement pour le papy assis devant elle, son estomac arrêta là sa mise en garde.

Les gardes royaux escortaient l’ex mère de famille jusqu’à un box réservé aux accusés.

Tout donnait l’air d’être un vrai procès. Hors, la justice française n’en entendrait jamais parler, ni les journaux, ni les autres médias, ni les humains. Il y aurait sûrement des remous chez les sorciers, les vampires ou les loups car les procès de fées étaient extrêmement rares. Cette espèce gérait le plus souvent ses problèmes en famille, car il eût été faux de dire qu’ils n’avaient pas leurs propres soucis. Plus loin, Horod, planté bien droit sur son trône bordé de lierre enchanté, jugeait sa cousine du regard.

Ambatine n’avait pas le droit à un avocat. Habituellement, cela aurait choqué Loënia, mais aujourd’hui, il était sujet du meurtre de ses parents, et rien ne l’empêcherait d’obtenir justice pour eux, pour leur mémoire, pour Adrien, pour Raison et pour Liséa.

Braken caressait le manche de son épée. Raison toussota.

Une femme commença à énuméré les charges contre Ambatine. Elles étaient plus nombreuses que Loënia ne le pensait : assassinat, tentative de meurtre, violence en réunion, violence sur enfant, menaces, tentative d’infanticide. A l’entente du dernier, Loënia regarda son cousin qui lui chuchota que c’était Adrien qui avait insisté sur les coups que la jeune femme avait reçu de sa mère.

Loënia frémit lorsque les yeux d’Ambatine se déposèrent dans les siens. Jamais elle ne les avait vus si clairs et grands. Jamais elle n’avait eu un si grand frisson. Elle savait que sa mère avait dû subir des enchantements, tout au moins pour contenir ses pouvoirs.

On laissa ensuite Ambatine s’exprimer. Elle ne dit rien de nouveau. Elle avoua les meurtres des parents de Raison, des parents de Loënia, des parents de Liséa. Cette dernière n’était d’ailleurs pas née dans une contrée perdue du Japon mais dans le Sud-Est de la France. Elle expliqua ensuite qu’elle voulait créer sa propre armée de fée pour détrôner Horod et devenir reine.

-Je désirais uniquement être puissante !

Raison fondit en larme dans les bras de son cousin. Loënia baissa la tête. Le jugement fut annoncé : la prison à perpétuité.

Tout ça pour ça. D’accord.

Loënia resta un moment seule dehors dans son jardin. Ses sœurs étaient rentrées depuis longtemps, elles étaient déjà peut-être même couchées.

Le ciel était dégagé, les lampadaires étaient éteints, les étoiles brillaient. A défaut d’être dans les yeux de Loënia, elles étaient au moins dans l’immensité noirâtre.

Elle songea encore à sa mère, qui était perdue entre quatre murs, quelque part.

Elle laissa les moustiques la piquer, et ses chaussettes s’humidifier. Elle souffla de la de la chaleur qui se transforma en buée, écouta son cœur, puis celui de la ville qui se calmait de demies heures en demies heures.

Elle fredonna un refrain qu’elle connaissait par coeur. Puis, instinctivement, elle marcha vers la porte d’entrée ; il était peut-être temps de rentrer. Se punir dans le froid ne ramènerait pas Ambatine à la raison.

Elle se dirigea lentement vers la porte d’entrée. Elle gravit la première marche avant de se faire harponner par un objet tranchant.

Elle retomba sur les graviers, les jambes emmêlées, le souffle coupé et tremblante de douleur. Elle ne pouvait pas crier. Pourtant, elle le voyait très bien, lui et ses yeux perçants, lui sans jamais un sourire. Elle porta sa main frémissante à sa poitrine et gémit ; un gémissement misérable qui ne la sauverait point. Elle n’avait pas l’intention d’appeler ses sœurs, il ne fallait pas les mettre en danger.

Il la disséqua du regard avant de se détourner et de courir dans un autre jardin.

Tu as une nouvelle histoire à raconter, songea-t-elle avant de fermer une dernière fois les yeux.

Hey !

Et voilà comment se finit la première partie de mon manuscrit.

J'aime beaucoup cette fin.

Loënia va-t-elle survivre ? La seconde partie se portera-t-elle sur un autre personnage ? Héhé.

Je me demandais, que pensez-vous de Rashnoé dans ce chapitre ?

En tout cas, merci de me lire. J'espère que vous appréciez cette histoire autant que j'aime les tartines de beurres (salées, of course).

Bises sur vos joues.

Prenez soin de vous.

Allez dormir.

Buvez de l'eau.

Merci encore !

Jane Anne

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