Chapitre 35 : Les tapis

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Loënia s’était perdue.

Rien à faire, elle s’était encore perdue dans Cryset, ville qu’elle fréquentait pourtant depuis plus de dix-huit ans. Elle se rappela honteusement qu’à l’origine, elle était juste partie acheter des livres. Elle avait pris une ruelle différente pour “changer ses habitudes” mais cela avait si bien fonctionné qu’elle était dehors depuis une heure.

Elle se rappela avec joie qu’elle devait être rentrée dans deux heures : Rashnoé viendrait la chercher chez Adrien et ils iraient ensemble en boîte. Elle allait lancer un enchantement pour retrouver son chemin quand son regard fut attiré par une boutique.

La devanture était kitch. La porte était ronde et mauve. Des baguettes magiques, probablement des vraies, rejetaient des étincelles sur la ruelle. Un chaudron bouillonnant était posé à côté de l’entrée. Loënia, curieuse, s’approcha. De la vapeur rose s’échappait du liquide gris qui faisait d’étranges bulles. La fée plissa les yeux, suspicieuse. Le propriétaire usait-il d’un sortilège pour guider les clients jusqu’à sa boutique ?

Jamais Rashnoé ne lui avait parlé d’une seconde boutique de sorcellerie dans Cryset !

Loënia releva la tête et s’effaça pour laisser passer une vieille femme qui souhaitait sortir de la boutique. Quand la porte se referma sur la cliente, Loënia vu l’affichette sur la porte. Un mot avait été écrit par le boutiquier : “Prenez garde à vos pieds”. Loënia trouva ça idiot. Elle se demanda ensuite si les humains pouvaient voir ou non la devanture. Si tel était le cas, ils y seraient tout de suite intéressés !

Loënia appuya sur la poignée et entra. Elle fut immédiatement happée par l’étrangeté de la boutique. Bien sûr, c’était bel et bien une boutique de sorcellerie mais d’un genre plus… obscur que celle de son petit-ami. Des crânes de diverses espèces et des kits pour lancer des maléfices l'attendaient à l’entrée.

– Bonjour ! Dit-elle pour se signaler.

Pas de réponse.

Elle avança dans la boutique sans trop savoir où aller. Une partie d’elle était attirée par la porte d’entrée tandis que l’autre désirait ardemment scruter le moindre recoin de la boutique. Elle avançait vers le rayon des plantes quand elle trébucha sur le tapis.

Elle jura tout bas.

– Vous n’avez pas lu la pancarte ?

Elle sursauta et porta sa main sur son cœur. Un sorcier venait d’apparaître devant elle.

– Lelio ! Mais vous êtes partout ou quoi ?

Il rit gentiment.

– Je ne suis heureusement pas partout à la fois. En revanche, je crois que mon affichette ne fonctionne pas très bien. Mes tapis sont affreusement indisciplinés.

Loënia hocha la tête en repensant à sa propre maison. Si elle ne possédait pas de tapis, le reste de ses objets adoraient remuer quand l'envie leur prenaient. Ses escaliers, qui craquaient pour réagir à une conversation, lui manquait. Loënia refoula ses pensées prosaïques dans un coin de sa tête. Elle était suspicieuse.

– Vous êtes venus dans la boutique de Rash… de Rashnoé alors que vous avez votre propre boutique de sorcellerie ?

– Bien sûr, nous devons toujours soutenir nos confrères.

Rashnoé ne semblait pas penser cela du tout, ni apprécier Lelio puisque lui et Loënia n’avaient jamais reparlé de lui. Un mot venait quand elle voyait Lelio : esbroufe. Adrien non plus, ne semblait pas l'apprécier. Ils s'étaient croisé aux Capucins, lors d'une exposition. Il avait tout de suite interrompu la discussion entre Loënia et Lelio.

– Tu désires quelque chose ?

– J’aimerais vous acheter de la menthe algérienne, des graines de pavot, de la camomille et… quelque chose d’autre que je viens d’oublier.

– Ne serait-ce pas des feuilles de sauge ?

Loënia acquiesça.

– C’est pratique, les dons de divinations.

– Non, c’était juste de la déduction. Les feuilles de sauge sont si communes qu’on finit par oublier d’en acheter.

Loënia suivit le boutiquier tout en faisant attention aux tapis. Ils étaient des outils fabuleux. Bien sûr, ils pouvaient voler. Ils servaient aussi de cachette (pour qui se roulait dedans avec un enchantement), d’amis fidèles mais également de cache-poussières. Ils mangeaient littéralement la poussière et les saletés de leurs propriétaires sans jamais les rendre. Loënia s’interrogea. Pourquoi elle n’en avait pas un chez elle ?

– Je sais que tu n’as besoin de rien d'autre mais j’aimerais beaucoup discuter avec toi.

La jeune femme releva la tête vers Lelio. Ils se rapprochèrent de la caisse enregistreuse où il déposa les articles. Loënia sortit sa carte bancaire de son sac à main.

– Que désirez-vous me dire ?

Lelio attrapa une fiole et se mit à jouer avec tout en regardant la jeune femme en face de lui.

– Je connaissais Lysandre. Nous étions de bons amis.

Loënia le dévisagea. Les yeux écarquillés, son index grattait sa carte bancaire.

– Comment ça, vous connaissiez mon père ?

– Nous avions quelques options en commun, à la fac. Mais je n’y suis pas allé très longtemps. A vrai dire, je préférais faire l’école buissonnière, si tu vois ce que je veux dire. Je sais déjà que ma vie ne t’intéresse pas donc je ne vais pas insister. (Loënia bégaya.) Lysandre ou Lili comme j’aimais l’appeler pour plaisanter était un véritable révolutionnaire. Nous avions fondé un groupe, avec d’autres amis dont ta mère, de créatures hétéroclytes. C’était très réjouissant ! Votre groupe n’est pas mal non plus… Avec toi et ton petit Rashnoé dans le rôle du couple. J’offre également mes services.

Loënia fronça les sourcils, l’air choqué.

– Oh, ma petite, je ne pensais pas à ce genre de services. Cependant, je vends des préservatifs fluorescents ou multicolores. Ils ont des effets tout simplement… ensorcelants. Puisque tu es en couple, je te mets une boite ?

Loënia rougit.

– Non, ça ira.

Lelio reprit la parole tout en passant les articles au scan.

– Mais, bien sûr, je songeais à des sortilèges et à des maléfices en tout genre. Certaines choses que vous n’oseriez pas faire par peur de vous salir les mains.

Lelio attendait une réponse.

– Proposer votre aide est très gentil, merci.

– Mais vous autres avez une trop mauvaise image de moi pour accepter.

– Non, je… Vraiment. Fonder un groupe, essayer de le gérer, tenter de faire la moindre chose est compliqué. Nous avons déjà des difficultés intragroupe alors…

Le sorcier plissa les lèvres.

– Braken ; le meneur auto-proclamé, Rashnoé ; l’insoumis, toi ; incertaine, Rubis qui est partie… Oui, je sais, je connais beaucoup de choses. La divination… Cela s’étudie.

La jeune femme se trouvait totalement déséquillibrée. Elle ne savait plus quoi penser ou comment réagir face à ce sorcier.

– Cela me tente beaucoup mais mes domaines de prédilection sont plus habituels : les plantes et les animaux. En revanche, c’est vraiment de la poudre de licorne que je vois sur cette étagère ?

Lelio se retourna extrêmement lentement.

– Oui. Un pot ?

– Non ! Je n’arrive pas à croire que vous vendiez de la poudre de licorne. C’est une espèce quasiment disparue.

Lelio éclata de rire devant l’air indigné de Loënia.

– Le commerce est le commerce. Tu as peut-être déjà remarqué que je porte très souvent les mêmes vêtements. Ma boutique n’est pas au centre-ville. Rashnoé et son père tiennent la plus grande part du marché avec leur deux commerces dans des villes pourtant situées à côté. Il ne me reste plus que les maléfices et l’illégal pour faire mon beurre.

Loënia n’osa rien ajouter.

– Je peux comprendre, répondit-elle à contre-coeur.

Elle n’avait jamais vu une licorne vivante et elle s’était jurée de ne jamais réaliser un enchantement qui nécessitait un animal rarissime. Elle préféra changer de sujet quand elle vit des cornes de licornes posées sur des coussins. Elle aurait dû les repérer depuis bien longtemps car elles étaient mises en exergue : des bougies avaient été disposées et allumées pour inciter les acheteurs.

Les humains disaient “tout se mange dans le cochon”, des fées et des sorciers peu scrupuleux avaient la même citation concernant les licornes. La corne, les poils, les sabots, le crin, le sang et même certains organes étaient très largement présents dans les us et coutumes des sorciers et des fées d’autrefois. En effet, les morceaux de licornes permettaient d’amplifier l’effet d’un élément, comme la camomille, d’un sortilège ou d’un enchantement. Les fées et les sorciers avaient tellement exploité cette ressource que dès le Moyen-Âge, on ne trouvait plus de licorne en Europe ni en Afrique.

– Donc vous étiez amis avec mes parents.

– Et je connaissais Adrien de Val. C’est un sacré bout !

Loënia sourit d’amusement. Elle n’avait jamais entendu quelqu’un traiter Adrien de “sacré bout”.

– En effet, il est coriace.

– Si tu veux un conseil, prends celui-ci : fais-lui confiance. Il aime son clan et sa famille mais entre les deux, il choisira toujours les siens. Comme il ne lui reste plus que toi, il fera tout pour que tu ne sois pas trop impactée par les changements qui vont subvenir.

Loënia s’approcha du comptoir si bien que ses orteils touchaient le bois de celui-ci.

– Quels changements ? Si vous savez quelque chose sur ce qui va se produire, je vous en supplie, dites-le moi.

Lelio secoua la tête de gauche à droite. Ses longs cheveux poivre et sel dansèrent sur son crâne. Pour une fois, il ne souriait plus.

– Je n’aime pas suivre les règles mais je respecte quand même le silence et les questionnements que doivent nous procurer le futur. D'autant plus, l’avenir est changeant et incertain. Je ne vais pas pouvoir te répondre.

Loënia fut plus déçue qu’elle ne l’imaginait possible.

– Nous fonçons sans savoir où nous allons…

Elle regarda ses paquets pas encore payés qui se chevauchaient. Lelio posa sa main sur la sienne.

– Je t’ai donné un conseil.

Loënia hocha la tête en signe d'acceptation.

– Cela te fera vingt-deux euros, Loënia.

Elle paya grâce au sans-contact sur sa carte bancaire et rangea celle-ci dans son porte-feuille. Elle fourra ses paquets dans son sac.

– Une dernière chose, fit le sorcier en passant de son côté du comptoir.

Loënia releva le regard de son sac aux yeux bleus de Lelio.

– On se croit souvent plus intelligent que celui d’à côté. Et tu sais quoi ? La plupart du temps, c’est véridique.

La jeune femme plissa les yeux.

– Qu’est-ce que cela signifie ?

– Tourne deux fois sur ta droite pour trouver la librairie, lui répondit Lelio.

Elle le regarda en silence. Oui, à l’origine elle était sortie pour acheter un ou deux livres… Elle s’avoua vaincue et ne se donna pas la peine de chercher plus loin ce que Lelio voulait dire.

– Je vous remercie pour vos conseils. C’était très instructif.

Elle leva bien haut les pieds quand l’un des tapis essaya de lui agripper la cheville. Elle referma derrière elle la porte de la boutique.

Elle tourna deux fois à droite et trouva effectivement la librairie.

Heyyyyyyyyyyyyyyyy !

Lelio, le roi de l'esbroufe.

Que pensez-vous de lui ? C'est un personnage assez controversé et je vous avoue que j'ai encore du mal à bien le cerner.

Loënia a le même sens de l'orientation que moi

Encore une fois, buvez de l'eau (pensez à vos reins),

Bisous,

Jane Anne

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