La conjuration des cinq reptiles

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Maintenant, c’est officiel : je suis perdu. A la fois, c’est logique : il n’y a pas de cartes de cette forêt. Et pour cause ! Je suis le premier à l’explorer. Je commence déjà à regretter ce choix. Non pas qu’il y ait des loups derrière chaque rocher, ou des ronces qui veulent vous scarifier les jambes. Pas même de mouches horripilantes pour vous massacrer les nerfs. Non, le vrai problème, c’est bel et bien la taille de ces bois ! Parce que bon, trois jours, ça pouvait aller, mais maintenant, ça va faire une semaine que je suis ici. Je pensais que je pourrais traverser cette « petite île près de la Norvège » en moins d’une journée, mais non ! Non ! Une semaine ! Et puis bon, on est dans le nord, il neige comme vache qui pisse sur le contient, mais ici, pas une trace de neige. Alors moi, je sais pas, mais bon, hein ? C’est louche, quoi !

De temps en temps, je grimpe aux arbres pour tenter d’apercevoir quelque chose, mais je ne vois même plus la mer. Il n’y a rien d’autre à l’horizon qu’une étendue infinie de feuilles bien vertes. Pas le moindre détail observable, pas le plus petit signe particulier. Enfin, si. Une vieille stèle gravée. Je l’ai prise en photo, mais c’est tout. Je suis pas caillou-logue, moi ! Je suis là pour étudier les animaux, qui -soit-dit en passant- ne sont nulle part. La joie totale !

J’aperçois une clairière derrière les frondaisons. Rien de bien exceptionnel, on en trouve un peu partout. Je pourrais y faire une pause et casser la graine sans oublier de ma rationner un peu. J’écarte les buissons et déboule sur… sur

C’est quoi ce truc ?!

Il y a un arbre géant au beau milieu d’une plaine de plusieurs kilomètres de rayon. Comment ça se fait que je ne l’ai pas vu ? C’est dingue ! Il est immense ! Ce n’est même pas possible ; même les séquoias ne peuvent pas pousser aussi haut. Il doit faire… quelques kilomètres, au moins. Je rêve ! Je rêve totalement. Allez, debout ! Réveille-toi ! Je me pince. Ça fait mal. Zut. Je suis pas dans un cauchemar. Je suis dans la vraie vie. Sauf que dans la vraie vie, on ne trouve pas des putains d’arbres géants !

Et allez ! Une dizaine d’heures de marche pour atteindre le bas des racines. Plus je m’approche, plus il semble grand. Je ne sais plus quoi penser de cette chose. Ça dépasse mon entendement. Je suis aussi un peu perdu. On ne voit rien sur les photos satellites. Pas d’île géante, pas de forêt immense, pas de plaine, pas de frêne (puisque mon application sur portable me l’a dit). Alors, ma question est : il sort d’où, cette espèce de baobab sur-vitaminé ? Je marche un peu, puis remarque des traces sur le tronc. Elles grimpent tout le long de celui-ci. C’est comme si un écureuil grimpait toujours au même endroit. Je vais attendre, voir si la bête remonte. Je m’embusque derrière un buisson.

Au bout de quelques minutes, la bestiole sort de derrière un pli de l’arbre et grimpe à une vitesse extraordinaire sur ses propres traces. Je vais regarder sa tanière par simple curiosité. Peut-être qu’il mange des noisettes supersoniques.

En réalité, il est passé entre deux racines de l’épaisseur d’une maison. L’interstice entre les deux est aussi grand qu’une grotte. Il y a de la lumière, au fond. J’hésite… J’ose ! Je descends prudemment, espérant découvrir quelque chose d’intéressant.

Sans les griffures de l’animal, je me serais perdu au milieu de ce labyrinthe végétal. Il ne fait jamais sombre, comme si la plante était translucide. Je repense aux légendes de quand j’étais gosse. Les vieux trucs avec les fées, les sorcières et les chevaliers, tout ça… Ça m’excite autant que ça m’intrigue. J’entends une voix au loin. Elle est étrange. Je reste discret.

Il y a une autre clairière en dessous de l’arbre. Elle aussi est gigantesque. Le tronc forme comme une voute au-dessus d’une étendue d’herbe verte. Mais ce n’est pas le plus impressionnant. Au milieu de tout ça, il y a un dragon.

Un immense dragon à l’allure serpentine. Il est retenu par des chaînes colossales. Seule sa bouche parvient à bouger. Il parle avec quelqu’un. En plissant les yeux, j’aperçois un serpent devant lui. Je suis de retour dans un cauchemar. J’arrête de respirer. J’entends le dragon malgré moi.

« Ratatosk ne reviendra pas avant plusieurs minutes. Nous pouvons parler librement. »

« Bien. Notre plan fonctionne à merveille. Typhon a pu voler des pommes d’or. En les avalant, tu regagneras tout ton pouvoir. »

« Enfin ! Depuis si longtemps que j’attends ce moment. Les dieux vont regretter leurs actes. »

« Je l’espère aussi. Toutefois, même avec ces fruits, tu ne pourras pas briser ces chaines. Seuls une divinité le peut. »

« Alors que suggères-tu ? Tu n’es pas venu me dire que nous sommes dans une impasse ? »

« Non, en effet. Je suis allé en Asie trouver Yamata, le grand serpent à huit têtes. Il a accepté notre accord et a dérobé Kusanagi. »

« Il a volé la déesse Amaterasu ? »

« Tout à fait. L’épée sera bientôt entre nos mains. Avec elle, nous briserons ces liens qui te retiennent. »

« Qui d’autre nous aide ? »

« Apophis est notre informateur au sein des autres dieux. Je veille au bon déroulement du plan. Quant à toi, tu détruiras cet arbre. »

« Je m’impatiente à cette idée. Je n’ai rien pu manger depuis tant de siècles ! Et qu’a dit Quetzalcóatl ? »

« Je ne parle pas à cette engeance abâtardie ! Ce reptile dégénéré ne mérite rien d’autre que de mourir pitoyablement, comme un de ces misérables mortels ! »

« Puisque tu parles des mortels, qu’en est-il de… la prophétie ? »

« J’attendais la question. »

« Alors ! Je n’ai plus envie de patienter ne serait-ce qu’un instant de plus ! Parle ! »

« Je suis sûr que tu vas apprécier. Selon toi, qui est celui dont parlent les oracles ? »

« Le garçon, bien évidemment ! Celui qui traine toujours avec sa catin, nous narguant par sa simple existence ! Il n’y a ici aucun secret pour les immortels ! »

« Peut-être bien que si… »

« Que veux-tu dire ? »

« La garçon n’est pas le danger, contrairement à ce que pense le panadéique. En effet, il s'est mépris sur le sens d’un mot, d’un seul, et cette erreur et capitale. Le véritable « héros » n’est autre que la « catin », ainsi que tu l’appelles. »

« Impossible ! »

« Hélas si. J’ai depuis longtemps eu la confirmation de mes doutes. A présent, elle ne peut plus rien faire. »

« Par quelle magie ? »

« Celle des dieux. Rien que celle des dieux. »

« Je ne te comprends pas ! Explique-toi, Léviathan ! Je ne suis pas d’humeur aux devinettes. »

« Te souviens-tu des pierres runiques placées autour d’Yggdrasil ? Elles empêchent toute créature maléfique ou damnée d’approcher le grand frêne. Or, le précieux garçon a récemment subi une grave blessure. Mortelle, même. Qu’a donc fait la fille, pour le sauver ? »

« Elle est allé voir un dieu. »

« Et pas n’importe lequel ! Notre grand récolteur d’âme ! »

« Elle a signé un contrat ! Elle n’aurait donc plus d’âme ? »

« Pas encore, pas encore. Celle-ci lui appartient toujours jusqu’à sa mort. Toutefois, elle n’a plus de droit dessus, et par conséquent, elle est considéré comme impure. »

« Et elle ne pourra pas venir près de moi. »

« Exactement ! Grâce à Apophis, personne ne se doute de rien. A présent, nul ne saurait nous empêcher de détruire les mondes ! »

« J’ai hâte de croquer ces deux humains ! Mais avant, je déchiquèterai chaque centimètre carré de… »

L’écureuil est passé près de moi, sans me voir. Il a entendu les deux reptiles, mais eux aussi se sont aperçus de sa présence. Il s’enfuit en courant. Je me réfugie derrière une racine.

« TUE-LE ! TUE-LE ! »

« Ne t’inquiètes pas. »

Le serpent s’élance. En un instant, est déjà sorti. J’entends un long sifflement, puis un léger cri. Le Léviathan revient avec une masse rousse dans sa gueule.

« Voilà un gêneur de moins ici-bas. »

« Vedrfolnir va se douter de quelque chose si aucun message ne lui parvient. »

« Je tuerai tous les habitants de cet arbre, s’il le faut ! TOUS ! M’entends-tu ? Personne, personne ne se mettra en travers de mon chemin ! Je déclencherai l’apocalypse ! »

La voix vrille mes tympans. Je m’évanoui.

 

 

 

Je me réveille sur une plage. Je la reconnais ! C’est celle sur laquelle j’ai débarqué ! Comment suis-je arrivé ici ? Tout ceci n’était-il qu’un rêve ? Je ne sais pas. Tout semblait si réel. J’étais juste venu pour en apprendre plus sur la faune et la flore. Je ne comprends plus rien. Si je raconte quoi que ce soit, je vais passer pour un fou. Sauf si… je vais en parler à ce type qui étudie les mythologies. Il pourra peut-être m’aider. Maintenant, il faut que j’appelle quelqu’un qui pourra me sortir d’ici au plus vite. Quand bien même je n’aurais fait qu’un cauchemar, je ne veux pas rester là. Cette forêt n’est pas pour moi. Il faut que je m’en aille. Il faut que je m’en aille.

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