Le piège

9 minutes de lecture

Le Club lui semblait désormais très lointain. Il avait renvoyé la boîte le lendemain de sa descente, et pensait ne plus avoir affaire à l’agence jusqu’au prochain passage du livreur. Il avait complètement accepté ses vacances imposées, dont la fin coïncidait avec la réunion des anciens. L’horizon lui semblait donc complètement dégagé jusqu’à cette date. Il était impatient de revoir Antoine, et tous ceux du groupe dont malgré sa distance il gardait un bon souvenir. Peut-être même aurait-il la chance de revoir Catherine, l’espace d’une soirée, pour remettre des mots sur des souvenirs jamais complètement rangés…

Avec les délais du week-end, la boîte n’arriva à l’agence que le mardi. Leur réponse lui parvint le jour même. Mais alors qu’il n’attendait qu’une simple confirmation, la teneur de ce message le plongea dans un nouvel cycle de perplexité.

« Bonjour Pierre, (…) nous sommes navrés que le précédent kit n’ait pas répondu à vos attentes. Nous vous prions d’accepter toutes nos excuses pour cet envoi défecteux, et tenons à vous informer qu’un nouveau kit a aussitôt été expédié à votre adresse. Il devrait vous être livré très prochainement. En espérant que ce nouvel envoi vous donne toute satisfaction, veuillez agréer etc. »

Ce message ne pouvait signifier qu’une chose : le Club avait réussi à savoir, d’une façon encore mystérieuse, qu’il n’avait pas respecté les termes de la période d’essai. C’était leur façon de lui dire qu’ils n’étaient pas dupes et qu’il n’aurait certainement pas droit à un second ratage. Mû par un soudain pressentiment, il activa sa messagerie personnelle. Antoine l’attendait déjà :

> Hello, tu as eu un problème avec le kit ?
> Tu sais toujours tout ! Qu’est-ce qu’ils t’ont dit ?
> Ils attendaient de détecter une activité de ta part, mais au lieu de cela ils ont reçu ta boîte vide

Il hésita un moment mais sentit que c’était l’heure de vérité :

> Tu es mon ami ou pas ?
> Bien sûr !
> Alors sache que je ne l’ai pas bu, je l’ai jeté
> Je m’en doutais ! Qu’est-ce ce qui t’as pris ???
> Je ne leur fais absolument pas confiance ! Et même toi par moment, je me pose des questions à ton sujet…
> Eh bien, merci de ton manque de confiance !!!
> Essaie de me comprendre ! Depuis ma 1ère prise j’ai l’impression que rien ne va plus, je ne maîtrise plus rien !

Il lui raconta ses déboires, en insistant sur le fait que plus il essayait d’avancer, plus les choses semblaient lui échapper.

> Oui tu as raison, c’est un vrai complot ! :)
> Ne te moque pas de moi s’il te plait, je sais que tout cela paraît absurde mais ose me dire que ce n’est qu’une coïncidence !
> Je crois surtout que tu perds les pédales ! Il a raison ton Éric, tu avais besoin de faire une pause !
> Je sais que pour le parking tout peut s’expliquer mais sur le moment je n’en menais pas large ! Tu ne peux pas nier que si j’avais été dans mon état normal j’aurais réagi autrement, j’aurais vérifié mon téléphone par exemple…
> Et alors ?
> Quelque chose me fait perdre mes moyens et je ne vois qu’une explication !
> Donc tu veux leur dire que tu perds la boule et que tu veux arrêter ?
> C’est possible ?
> Non, tu le sais bien !
> Finalement tu ne m’aides pas du tout ! Qu’est-ce que tu peux faire pour moi, à part recevoir des alertes sur mon dossier ? Rien, j’ai l’impression !
> Mais si, je suis là pour voir si tout se passe bien. Mais dans ton cas il n’y a pas de problème, c’est toi qui les crées tout seul ! Il faut que je t’aide à te ressaisir !
> Ça veut dire quoi me ressaisir ?
> Tu as fait n’importe quoi jusqu’à présent ! Fais ce qu’il faut la prochaine fois, tu vas voir que tout va changer, je te l’ai déjà dit !
> Très bien, je vais t’écouter, mais c’est la dernière fois…
> Promets-moi que tu vas le boire cette fois !
> Oui c’est promis…
> Je compte sur toi !

Il referma son ordinateur pour mettre de l’ordre dans ses pensées. Cette conversation n’avait servi à rien, si ce n’est lui confirmer dans quel camp se trouvait Antoine. Il lui fallait absolument trouver comment le Club exerçait sa surveillance s’il voulait se défaire de leur emprise.

Le nouveau kit arriva le jeudi suivant. Il coupa l’attache et l’examina soigneusement, comme si elle pouvait lui révéler les mystères de l’agence. Mais il n’y avait rien à voir de plus qu’un ruban de plastique épais contenant deux fils métalliques, ce qu’il savait déjà. Il la débita laborieusement en plusieurs morceaux sans rien trouver d’autre. Il ne savait pas en réalité ce qu’il cherchait, mais de toute évidence, ces deux fils ne pouvaient expliquer à eux seuls la surveillance qu’il subissait. Il ouvrit alors très prudemment le flacon, juste assez pour rompre la deuxième attache. Le ruban du col était certes épais, mais il possédait finalement les mêmes caractéristiques que l’attache de la boîte, et ne pouvait rien expliquer lui non plus.

Le seul élément qu’il n’avait pas encore considéré jusqu’à présent était la boîte elle-même. Il la vida entièrement et l’examina sous tous les angles. C’était une boîte en carton plastifié, parfaitement banale, à la finition blanc brillant. Elle ne portait aucune inscription ni signe distinctif. Elle était faite de deux morceaux parfaitement ajustés, la partie externe et le plateau, ce dernier recouvert d’une matière veloutée également blanche.

À force de la retourner, il remarqua qu’elle était légèrement déséquilibrée, comme si elle contenait un poids excentré. Il prit un couteau à bout rond qu’il essaya de glisser entre le bord et le plateau, très délicatement. La lame s’enfonçait à peine avant de rencontrer ce qui semblait être un rebord. Il fit prudemment le tour de la boîte, côté par côté, en buttant toujours à la même profondeur, jusqu’à ce qu’il arrive au milieu du côté droit. À cet endroit, le rebord disparaissait et son couteau s’enfonçait complètement. Redoublant de précaution, il le fit glisser latéralement et rencontra un obstacle métallique. Il appuya un peu plus fort : l’obstacle semblait bouger, mais revenait à sa place dès qu’il relâchait la pression. Il prit une grande respiration et appuya franchement : l’obstacle céda définitivement avec un petit déclic. Il remonta le couteau, en l’inclinant légèrement pour accrocher le plateau, et celui-ci se souleva en pivotant sur son côté gauche…

Il avait devant lui, médusé, une carte électronique qui occupait tout le double-fond de la boîte. Il y avait de nombreux circuits, quelques diodes, mais aussi des éléments mystérieux s’élevant au-dessus de la carte. En les regardant attentivement, il finit par reconnaître, sous une forme miniaturisée, les capteurs aperçus dans la vidéo de l’agence. Dans un coin, une petite batterie amovible expliquait le poids qu’il avait ressenti.

Il savait maintenant comment le Club l’espionnait, et pourquoi il attachait tant d’importance à recycler les éléments du kit. Les fils cachés dans les attaches étaient sans doute de simple déclencheurs, dont la rupture provoquait l’activation de la boîte qui attendait en veille. La façade derrière laquelle opérait l’agence semblait décidément bien trompeuse. Il avait devant lui tous les éléments d’une expérience dont il n’était que le cobaye. Mais pourquoi ? Il prit une photo qu’il envoya à Antoine. Sa réponse ne se fit pas attendre :

> Eh bien tu as fini par trouver, bravo !
> Qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce que le Club finalement ???
> C’est une agence high-tech voyons :)
> Arrête de te ficher de moi ! J’ai le droit de savoir ce que c’est ! Depuis que j’y suis rentré ma vie tourne au cauchemar !
> Tu y es depuis quoi, 2 semaines ? Ils ont fait des progrès manifestement…
> Des progrès ???
> Il leur avait fallu 3 mois pour me faire rompre, mais j’étais moins influençable que toi :)
> QUOI ???
> Tu n’as pas encore compris ?
> QU’EST-CE QUE LE CLUB ???
> Calme-toi… C’est une agence, c’est vrai, mais pas matrimoniale…
> Explique ???
> Vois-ça comme une agence évènementielle… Leur but c’est de mettre la pagaille dans la vie des gens, pour qu’ils sortent de leur routine et fassent de nouvelles expériences…
> Tu m’as fait m’inscrire pour ruiner ma vie ???
> Elle n’est pas ruinée ! Et puis c’était quoi ta vie avant ? Tu étais en train de devenir un vieux con à seulement 40 ans ! Tu devrais me remercier !
> Tu veux que je te remercie ? Tu m’as menti ! Toutes ces belles histoires sur ta rupture, l’agence, Clara, des mensonges !
> Clara existe, mais je ne l’aurais jamais rencontrée si le Club ne m’avait pas fait rompre…
> Non mais je t’écoute mais en fait je me demande pourquoi je te crois… On ne met pas tout ça dans un flacon ! Il y a autre chose !
> Le flacon fait partie d’un tout, mais ce n’est qu’un déclencheur ! La boîte, c’est pour être sûr que tu l’avales ! Leur vraie arme, c’est tout ce qu’ils ont appris sur toi !
> Mais pourquoi ?
> Je crois que c’est une expérience sociale grandeur nature…
> Pour que les gens perdent les pédales ?
> Si c’est le seul moyen d’améliorer leur vie, oui…
> Le bug des sauvegardes c’était eux ?
> Ah voilà tu commences à comprendre ! Oui c’était eux…
> Ils ont piraté les systèmes de Carmin juste pour me déstabiliser ?
> Ils n’ont rien piraté, tu leur as gentiment fourni le mot de passe avec tes réponses :) Quand ils ont vu que tu ne te décidais pas, ils t’ont mis la pression… Le reste c’est toi qui l’as fait tout seul, en réagissant n’importe comment… Tu les as bien aidés finalement ! :)
> Le parking ?
> Ça ils ne m’en ont pas parlé, ça doit être un simple concours de circonstance. Tu sembles avoir le chic pour aller au-devant des ennuis, une fois sorti de ta zone de confort !
> Ce sont des irresponsables, ils pourraient provoquer des accidents !
> Mais c’est ce qu’ils font, la vie ne progresse que par accident !
> Et toi tu es d’accord avec ça ?
> Comme tous ceux qui y sont ! Tu sais qu’ils ne font jamais d’annonce ? Tous leurs membres ne sont rentrés que par parrainage… Tu verras, toi aussi un jour tu trouveras quelqu’un à recruter !
> Personne ne leur a jamais fait de procès ?
> Non, et personne n’a été blessé, ruiné, personne n’en est mort… Ils ont leur limite…
> Mais toi, pourquoi tu as fait ça, pourquoi tu ne m’as rien dit ?
> Parce que ça n’aurait pas marché sinon !
> Mais tu m’as menti ! Je t’ai fait confiance parce qu’on était amis !
> Amis ? Mais tu m’avais quand même bien laissé tomber non ? Qu’est-ce qui se serait passé s’il n’y avait pas eu les 20 ans ?
> Je ne t’ai pas laissé tomber, c’est la vie, on ne se parlait plus…
> C’est TA vie ! Moi ça m’a fait de la peine quand je ne te voyais plus, mais je ne te l’ai jamais dit, tu étais trop fier…
> Je ne savais pas… On n’a qu’à reprendre à zéro puisqu’il paraît que je dois tout changer… On va se voir aux 20 ans et on va parler de tout ça, d’accord ?
> Je ne te l’ai pas encore dit mais je ne pourrai pas venir
> Ohhh non !
> Je suis retenu sur une affaire qui se prolonge…
> Après tout ce que tu m’as fait je n’aurai même pas l’occasion de te dire en face ce que je pense de tout ça ???
> Pas cette fois non mais on trouvera !
> Une promesse après beaucoup de mensonges ?
> Pas une promesse, ça arrivera c’est tout…
> Je ne sais pas si je peux te croire… Je t’en veux tellement quand même !
> Un jour tu me diras merci, je peux attendre…
> Tu as l’air bien sûr de toi !
> Je te connais ! :)
> Qu’est-ce qui va se passer maintenant ?
> Rien de plus, tu vas aller au bout de la période d’essai et après tu arrêteras sans doute. Mais pour eux, là tout de suite, ce n’est pas encore fini
> Qu’est-ce qu’ils peuvent me faire de plus ?
> Qu’est-ce que TU peux te faire de plus ? Tu verras… En tout cas, maintenant que tu sais tout mon rôle est terminé, je n’ai plus à intervenir… Je te conseille quand même de leur rendre la boîte en bon état quand tu auras bu ton flacon, c’est mieux :)
> On se reparle quand ?
> Je vais être assez occupé là mais la semaine prochaine, ok ?
> Ok…

Il se retrouva seul devant la boîte qu’il avait ouverte, finalement pour son malheur. Il regrettait maintenant sa curiosité qui le privait de ses rêves. Au lieu de cela, il n’était plus que le jouet d’une expérience qu’il comprenait désormais, mais qu’il ne maîtrisait toujours pas. Son avenir était plein d’incertitudes, et la perspective de se rendre à la réunion des anciens, désormais sans son "ami", ne l’enchantait plus du tout.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Nomad ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0