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« Tu ne me crois pas !! » dit Clémence au réveil à Victor qui ne l'avait jamais vue dans cet état.

« C'est pas que je ne te crois pas, répond-il. C'est que...

— C'est que quoi ? »

Victor ne savait pas que répondre. Clémence avait déjà menti, à maintes reprises même, mais il la connaissait suffisamment pour détecter ses mensonges. Cette fois, l'histoire était vraiment grosse : des matelots, un cerf, des cris... mais il ne décelait aucun tic, aucun mouvement trompeur. Comme il ne voulait pas la blesser, il répondit :

« Bien, montre-moi.

— Quoi ?

— Montre-moi, je te suis. C'est le plus simple pour que je croie à ton histoire, non ? »

Et Clémence entreprit de fouiller ses souvenirs. Pas facile de retrouver un chemin qu'on a fait de nuit dans une ville inconnue. Même Victor ne se souvenait plus par où ils étaient passés la première fois. Impossible de retrouver le bon conduit, impossible de retrouver le bon couloir. Certes, c'était au centre même des rochers et non à l'extérieur, mais l'intérieur était si vaste qu'il fut quasi impossible de retrouver le bon cul-de-sac. Au bout d'une demi-journée de recherche, aucune piste sérieuse.

« J'étais sûre que c'était par là » dit tristement la petite.

— Allez, suis-moi.

— On va où ?

— Tu verras... »

Clémence, intriguée, le suivait sans rechigner. Victor la trimbala sur la promenade entre les gens pour ensuite prendre à gauche, emprunter un des nombreux escaliers qui menaient à l'intérieur des roches, un peu comme des bouches de métro. De là, ils descendirent encore de deux ou trois étages. Et au détour d'un carrefour intérieur, ils découvrirent ... un immense marché ouvert, non pas par le haut dont le plafond était parcouru par de nombreux câbles et tuyaux de vapeur, mais ouvert par-dessous. La salle avait pour carrelage des grilles métalliques rigides de couleur rouille. Les échoppes et les gens marchaient littéralement sur les nuages. En écartant les pieds, Clémence pouvait apercevoir le bleu de la mer. Elle s'amusait à faire des marelles imaginaires pour pouvoir, à chaque pas, admirer la vue.

Jeux et nourriture, il n'en fallait pas plus pour faire revenir le sourire sur le visage de Clémence. Rien de plus facile en effet pour des enfants de moins d'un mètre trente d'atteindre les fruits, les morceaux de viande et les sucreries des échoppes sans se faire remarquer. La foule masquait parfaitement leurs méfaits. Et si quelqu'un remarquait un manque à l'étalage, qui accuserait donc ces deux petites têtes qui ont l'air si innocentes, surtout quand elles se forcent à le paraître ?

Dans cette foule venue en nombre mais composée de peu de bourgeois (seuls leurs domestiques faisaient le marché), Victor et Clémence furent vite séparés. Ce n'était pas un problème, tous deux savaient se débrouiller seuls, il n'y avait rien de compliqué, c'était leur quotidien à New-York. Victor marchait même les mains dans les poches, en touriste, piquant de temps à autre de quoi se rassasier, s'arrêtant de temps en temps pour admirer les volailles et les présentoirs. Il fit cela jusqu'à la fin de la journée, lorsque le soleil baissa vers l'horizon et que les tentes se refermèrent. Il remonta alors sur les toits, tout en haut de la ville, pour retrouver Clémence.

A sa grande surprise, il la trouva assise, à parler... seule. Elle jouait et babillait avec ce qui semblait être un ami imaginaire. Victor fut un peu déconcerté.

« Heu... Clémence ?

— Victor, lui répondit-elle en s'élançant dans ses bras, j'ai rencontré Chat, regarde ! dit-elle en montrant un endroit du toit.

— Je dois voir quoi ?

— Chat. Il a été transformé en fantôme, et il a été libéré quand tu m'as sortie de la pièce ronde, en s'accrochant à moi. »

Victor, circonspect, ne savait que lui dire. La seule question qui lui vint à l'esprit fut :

« Et cela fait combien de temps que vous êtes là ? dit-il bizarrement.

— Il est apparu il y a une heure au marché, il m'a conduite jusqu'ici et depuis, il attend quelque chose.

— Attendre quoi ? On est que deux à venir ici. » Clémence voyait bien que Victor ne la croyait pas, mais pas le temps de répondre, Chat décida de se mettre en route à toutes pattes.

« Chat, attends ! » cria-t-elle avant de le suivre.

Victor, stupéfait :

« Et où tu vas ?

— Je suis Chat

— Tu suis quoi ? » Victor n'avait plus le choix, ce comportement l'inquiétait. Il se mit à courir aussi.

Le chemin était le même : toits, pont métallique flottant, avenue, couloir, sousplex et étroite passerelle pour arriver à la grille, pour arriver à la pièce, celle qui se situait au centre de la ville en dessous de l'hôtel de ville, celle où ils s'étaient cachés, celle où, de l'autre côté, Clémence était tombée. Tous deux se faufilèrent sans bruit car il y avait du monde devant l'écoutille. Dans la chambre ronde, sous les regards des deux enfants cachés, Herimes, serein, discutait avec le commandant et deux matelots dont l'un tenait une caisse remplie de chatons.

« Nous ne comprenons pas, Monsieur le Maire, les animaux mettent de plus en plus de temps à se consumer. La pierre philosophale agit de moins en moins bien.

— D'accord... Et cela a un lien direct sur le système d'impesanteur ?

— Oui, on doit mettre beaucoup plus d'animaux pour maintenir un même niveau. Or, nous n'en avons pas tant en stock.

— Mais nous tiendrons la traversée ?

— Si nous descendons un peu d'altitude, nous aurons moins à consommer.

— OK. Commandant, donnez l'ordre de ralentir et de descendre un peu. Moi je vais examiner ce qui se passe.

— À vos ordres » disent les deux matelots en s'apprêtant à mettre les chatons dans le « four à âmes ».

« Nooonnn », cria Clémence, se faisant directement repérer. « Qu'est-ce que... Rattrapez ces gamins ! » lança le maire au commandant et aux deux soldats qui s'exécutèrent.

Une fois seul dans la pièce, Hermines regarda la boite de chatons, s'en approcha et leur sourit. Il la prit, ouvrit la grosse porte et la déposa, puis referma l'écoutille pour ensuite abaisser le champ de force. La transformation commença. Le maire la regardait. Il regardait les âmes se détacher de leurs corps, regardait les âmes de tous les animaux consumés depuis que LightCity naviguait, obligées de tourner en rond tels des poissons. Car comme Clémence, Hermines les voyait. Comme Clémence, il avait fait la douloureuse expérience de se frotter à cette pierre qui pouvait donner l'immortalité, malheureusement pour un prix qu'il refusait de payer. Par contre, quand il étudia cette merveille, il y trouva autre chose, un effet de bord bien juteux, et plus accessible : l'anti-gravité.

Victor et Clémence étaient coincés. Ils étaient sortis du tuyau, ils avaient couru dans tous les sens, mais les marins et le commandant, eux, connaissaient parfaitement les lieux. Le couloir, probablement celui d'un appartement de bonne ou d'ouvrier, était un autre cul-de-sac. Pas moyen de disparaître : ils étaient bloqués, ils se voyaient déjà jetés par-dessus bord et faire une chute vertigineuse avant de s'écraser sur l'océan. Ils regardaient autour d'eux, mais pas grand-chose qui puisse les aider : des grilles, des gens, des portes fermées, et Chat à moitié à travers une d'entre elles.

« Chat, s'écria Clémence. Par ici », dit-elle à Victor en fonçant sur la porte qui, malgré son faible poids, s'ouvrit. Victor, un peu ébahi, suivait sans trop réfléchir. L'intérieur était pauvre : deux pièces, pas de sanitaires, cuisine insalubre, et surtout, insupportable vacarme des aérations. La famille, assise dans le divan, regardait interloquée ce qui se passait. Clémence se dirigea vers le mini-balcon qui donnait sur le vide, et monta sur la rambarde pour attraper un des câbles qui maintenaient des blocs de rochers entre eux. « Chat veut qu'on monte », dit-elle à Victor qui hésitait à la suivre. Mais il n'avait plus le choix, on entendait le commandant et ses hommes s'engager dans le couloir.

Victor et Clémence grimpaient lentement de câble en câble, sous les regards de citoyens ameutés par le bruit. Le commandant, toujours sur le balcon, ordonna à ses deux matelots de les suivre tandis qu'il les attendrait en haut. D'abord réticents, les hommes montèrent sur le rebord du balcon pour ensuite attraper le premier câble et commencer leur ascension. Le vent frais remontait le long des jambes de Victor pendu entre deux grosses cordes, il regardait la progression de Clémence.

Clémence n'arrivait plus à avancer, les derniers câbles étaient plus éloignés. Victor, juste derrière elle, la conseillait comme il pouvait, mais pour bien faire, il aurait dû passer devant. Les deux matelots, après avoir vaincu leur appréhension du vide, grimpèrent rapidement. Clémence tendait la main, mais il manquait malheureusement une dizaine de centimètres. S'étirant de tout son long, elle grimaçait au possible, mais rien n'y faisait. Elle se retourna et regarda vers le bas. Le commandant avait disparu, il devait être en train de faire le tour. Elle aurait tant voulu y arriver... mais la fatigue l'emportait. C'est alors qu'en regardant les deux matelots qui arrivaient juste en dessous, elle vit, à l'attache du câble, Chat.

« Chat ! » s'écria-t-elle. Victor tourna la tête, mais il ne voyait rien. Le premier matelot prit appui sur ce câble. Clémence put alors observer Chat sauter sur le nœud d'attache qui se défit lentement. La main serrée, le matelot avait déjà mis tout son poids dessus. Il ne sut se rattraper, entraînant dans sa chute son compère. «Par là », dit Clémence en montrant une issue.

« Tu as vu, il nous a sauvé », dit-elle à Victor qui lui, n'avait vu qu'un nœud se défaire sous le poids d'un homme. Mais ne voulant pas la contrarier, il détourna la conversation :

« Il faut se cacher » dit-il en s'élançant à droite en sortant de l'appartement. Mais Clémence prenait le couloir de gauche.

— Clémence, où vas-tu encore ?

— Sauver les chatons », cria-t-elle sans se retourner.

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