Chapitre 1
Je hurle.
Je hurle à m’en déchirer les poumons. A m’en assécher la gorge. Mais aucun son ne s’échappe de mes lèvres. Il me faut de l’aide. Vite.
Je veux me lever, courir, mais mon corps ne réagis pas. Paralysée, je suis complètement tétanisée par la vision qui s’impose à mes yeux et je ne peux détacher mon regard de la scène sans sentir l’effroi s’insinuer en moi. Le désespoir se déverse dans mon corps et l’image se grave dans ma rétine. Tout le reste me semble devenir flou.
Elle est morte.
Les mains couvertes d’un liquide poisseux et rouge, je réprime un haut-le-cœur. Un corps est étendu là, inerte, devant mes yeux. Des traces incomplètes et écarlates, brillent sur son cou et contrastent avec le teint blême de sa peau.
Mes paupières tremblent.
Mon cœur s’accélère.
A genoux devant cette femme, je tente en vain d’étouffer un sanglot. Son écho résonne. Encore. Rebondissant tout autour de moi, de plus en plus fort et de plus en plus vite, jusqu’à devenir un bruit sourd et oppressant, une cacophonie omniprésente qui transperce mes tympans.
Un bouquet à la main, elle est si belle pourtant. De long cheveux de jais aux mèches argentés s’égarent autour de son visage. Elle doit avoir la trentaine. Des traits noirs, fins, subliment ses yeux d’un bleu lagon mais terne qui se marie parfaitement au ton outremer de sa robe. Elle semble apaisée. Tremblante, je ferme lentement ses paupières. Sa peau est légèrement tiède. Elle ne mérite pas ça.
Comment ça à pu arrivé? Et pourquoi ? Les questions se bousculent et tournent en boucle dans mon esprit ; comme si chacune était un fil qui prenait soin de se nouer aux autres pour que l’on ne puisse les dépêtrer. Un frisson me parcourt et ma migraine s’intensifie. Le bourdonnement incessant dans mes oreilles se fait de plus en plus fort, comme si je me trouvais à côté des enceintes d’un concert au centre d’une foule en délire. Mais hormis moi personne n’est là.
Je suis seule. Avec elle. Je baisse les yeux et mes mains me semblèrent plus rouges, plus luisantes, attirant inévitablement mon regard. Je veux me détourner, mais le cou de la femme capture alors mon attention, arborant la teinte que je souhaitais éviter.
Et si… ?
Non.
Ça ne peut pas être moi. Je n’aurais jamais fait ça. Et je ne le ferai jamais. Chaque vie est précieuse, et mon seul souhait est d’apporter le bonheur à tous. J’essaie de me lever à nouveau mais je panique et m’effondre. J’ai envie de prendre mes jambes à mon cou, de m’enfuir, mais seuls mes sanglots parviennent s’exprimer. Immobile, perdue avec mes pensées, j’essaie de démêler les évènements.
Un voile fin, presque transparent semble vouloir me séparer de mes souvenirs, seules quelques bribes me reviennent : j’étais dans un champs et cueillais des fleurs. La scène m’est très familière, mais sans plus de détails elle aurait pu être située à n’importe quel moment de ma vie. D’autant plus que j’étais seule. Ou peut-être avec ma mère ? Non ça ne pouvait pas être elle, elle est beaucoup trop jeune, peut-être avait-on seulement une dizaine d’année d’écart ? Je me vois m’approcher d’elle, et l’instant d’après, plus rien. Juste moi, à genoux, les poignets couverts de… Sang ? D’où vient-il d’ailleurs ?
L’esprit embrouillé je cherche sur son corps d’éventuelles plaies et je laisse mon regard parcourir les alentours à la recherche d’un outil qui aurait pu permettre ça. Rien ne se démarque. Seule la trace luisante sur son cou semble bien vouloir me donner un indice. J’ai envie de vomir. Comment pouvais-je regarder la mort en face ? Du coin de l’œil je vois quelques gouttes rouges perler aux lèvres de la femme. L’avais-je étranglée ? Je secoue la tête. Il faut absolument que je chasse ces pensées noires de là. Elles ne voulaient pas l’être.
L’horreur me saisit alors que je constate avec effroi la cruelle réalité qui s’impose à moi. Une inconnue est morte, étendue là, devant moi. Je suis seule. Face à un cadavre. Son cou est couvert de traces de doigts rouges parfaitement identiques aux miens, et je n’ai aucun souvenir précis des évènements. Que s’était-il passé ? Qu’ai-je donc fait ?
Non.
Je refuse d’y croire, je ne peux pas l’avoir tuée. C’est impossible.
Pourtant, une petite voix s’incruste dans mon esprit. À peine perceptible au départ, au fur que je tente de l’ignorer, elle se fait plus oppressante, et mon esprit, à mesure qu’il prend conscience de ses incertitudes, s’engourdit. Tout est flou, confus dans ma tête comme si un épais brouillard blanc m’empêchait de voir la vérité en face. Puis cette voix perçante, agaçante qui le transperce pour me dire : « Si.».
Elle se faufile auprès de mon oreille et me susurre : « Regarde devant toi. Elle est morte il y a peu. Son corps est encore chaud et il n’y a personne ici, hormis toi-même, qui ait pu commettre… Ça. ». Je secoue la tête pour me débarrasser de ces pensées mais elles se tissent dans mon esprit. « Regarde tes bras, ils sont bien la preuve vivante que tu y es pour quelque chose… En plus tu es amnésique, tu refoules simplement la vérité. » Je plaque mes mains contre mes oreilles pour la faire taire en vain. « Tu oublies que tu es fautive. »
Le doute s’installe en moi. Et si c’était vrai ? Et si jamais je l’avais…
Non !
Je refuse de l’accepter.
Je ne peux pas avoir fait ça.
La voix se fait plus insistante. « La vérité est devant tes yeux, arrête de la nier. » Je suis prise d’un horrible frisson. Profondément enracinée dans mon esprit, l’idée suit son chemin et un nouveau haut-le-cœur me traversa. Comment en étais-je arrivée là déjà ? L’esprit confus, mes souvenirs s’effacent plus vite que la culpabilité ne s’installe en moi. « Tu ne te souviens pas ? Comment peut-on oublier une chose pareille. » Je ne l’ai pas fait. « Bien sûr que tu l’as fait. »
Je suis prise d’un vertige. Je l’ai vraiment fait alors ? « Oui. » L’effroi me glace le sang tandis que je baisse mon regard sur le corps. Je ne veux pas de cette vérité. Il faut que je parte d’ici et vite. Pour tout oublier. Ça ne doit pas être réel. L’angoisse resserre sa prise sur moi et me compresse de plus en plus fort. Mon corps est parcouru de spasmes alors que je la sens prendre petit à petit le contrôle de mes muscles. Soudain, mes jambes se mettent à bouger.
Je m’enfuis. Je ne sais pas vers où, mais j’espère très loin d’ici. Il faut que je recommence à zéro. Que tout soit oublié. « Tu l’as tuée. » Non ! J’accélère, essayant de semer la voix sans succès. « Accepte le. » Jamais ! Je hurle à plein poumon, manquant de m’étouffer au passage. Ça ne s’est jamais produit !
Ma seule volonté était de fuir. Alors je file à toute allure ; chaque enjambée me transportant toujours un peu plus loin. Je ne veux pas voir ça. Je ne veux pas avoir fait ça. Je ne veux pas. Entraînée par mon élan, le sol semble se dérober sous mes pieds comme s’il n’avait existé, comme si ma volonté d’échapper à mon tourment me guidait vers un voyage sans retour.
Portée par cette course endiablée, je n’ose plus m’arrêter. « Fuir ne résout rien. » Si. Absolument tout. Ça n’a jamais existé. Et cette voix désagréable non plus. Je déguerpis d’autant plus vite alors que celle-ci se calme et je chasse toutes ces pensées en espérant pouvoir y soustraire. Soudain je prends conscience de l’angoisse qui se noue dans ma poitrine et qui remonte difficilement dans ma gorge. Elle cherche tant bien que mal à s’évader dans un souffle qui résonne à mes oreilles : « Tu ne pourras jamais échapper à la réalité ».
Je sais qu’elles ont raison. Mais je ne suis pas prête à l’accepter. Elles continuent de geindre de concert ; captant toute mon audition. Elles fusent de toute part, n’offrant absolument aucune échappatoire et me donnent l’impression que mon cerveau va exploser. Le souffle court, je m’arrête un instant reprendre ma respiration. C’est sans compter sur ma gorge oppressée et le nœud qui me tord l’estomac. La douleur me traverse le corps et s’intensifie au moindre mouvement.
Désespérée, je me roule difficilement en boule, au milieu de nulle part, essayant de disparaître aux yeux du monde. Faites que tout ça ne soit qu’un cauchemar.
« Tu rêves trop. »
« C’est la réalité... »
Épuisée par cette bataille incessante et veillée par ces maudites voix, je ferme les yeux et essaie encore et malgré tout d’oublier.
« Tu es fautive. »
« Responsable. »
« Coupable. »
Je ne veux pas… Mon cerveau cesse de réfléchir.
Endormie là, bercée par leurs accusations, mes dernières forces me lâchent et je sombre dans un sommeil sans rêve.
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