Chapitre 21

3 minutes de lecture

 Ses traits tirés et ses paupières inférieures gonflées révèlent qu’il n’a pas beaucoup dormi cette nuit. Il ne s’est pas rasé : des poils courts et drus assombrissent son visage, le vieillissent de quelques années. Mais il n’en est que plus séduisant : sa beauté juvénile de jeune homme androgyne a cédé la place à une virilité plus affirmée, comme si sa soirée d’hier lui avait octroyé une assurance nouvelle. Le morceau qu’il est en train de jouer mime d’ailleurs à la perfection sa métamorphose : Satisfaction. Le célèbre riff des Rolling Stones est exécuté de manière ferme et souple à la fois. Jamil n’en fait ni trop, ni pas assez. Et il interprète la chanson d’une voix éraillée de rocker que je ne lui connaissais pas.

 La sonnette retentit, Jamil ne l’entend pas. Il est tout à sa musique, il est la musique elle-même en cet instant précis. Un deuxième tintement. Cette fois-ci, coupé dans son élan, Jamil cesse de chanter, ôte ses doigts des cordes de la guitare. Troisième coup de sonnette. Il se lève, ouvre la porte et se retrouve face à une jupe très courte, un top très décolleté, des talons très hauts. Myriam, bien sûr. D’abord ils ne se disent rien, aussi embarrassés l’un que l’autre. C’est Myriam qui se résout à rompre le silence :

 — Je suis désolée, je ne voulais pas t’interrompre, mais je t’ai entendu chanter du couloir. Je suis restée un moment à t’écouter, puis mon doigt a appuyé sur le bouton, presque sans le vouloir, une première fois, puis une deuxième, une troisième. Je voulais te dire… que c’était vraiment bien, ce qui s’est passé entre nous. Et si…

 Elle hésite. Si elle compte sur lui pour l’aider à terminer ses phrases, elle est mal embarquée : il a retrouvé sa timidité habituelle, d’un coup. L’âme de Mick Jagger a quitté son être. Alors finit par se jeter à l’eau :

 — Si tu le veux bien, on peut se revoir, tous les trois. Tu nous joueras de la guitare. On boira du vin. Et…

 Elle laisse sa phrase en suspens. Jamil ne trouve pas mieux qu’un « oui » à peine audible. Le corps raide, les mâchoires crispées, il cherche ce qu’il pourrait ajouter. Finalement un « j’en serais ravi » guère plus perceptible que son acquiescement précédent sort de ses lèvres. Myriam sent que c’est à elle que revient la mission d’organiser la prochaine soirée. Elle ne paraît pas non plus tout à fait à son aise, mais elle dit, surjouant la désinvolture :

 — On pourrait se voir demain soir, par exemple. Ça t’irait ? Je n’en ai pas encore parlé à Thomas, mais a priori je pense qu’il devrait être partant. Je vais t’avouer quelque chose : après ton départ, cette nuit, on a discuté un bon moment de ce qui s’était passé. Et on est tombés d’accord tous les deux : c’était à la fois… très excitant et merveilleusement simple. À demain, alors ?

 Jamil répond « oui, à demain » tout en s’adossant à la porte. Lui aussi tente de paraître insouciant, mais on ne peut pas dire qu’il y parvienne. C’est étrange de voir que des êtres ayant partagé l’intimité la plus totale, la plus sauvage, dans un ballet étourdissant, puissent se montrer aussi gauches à présent. Myriam ne voit pas d’autre chose à faire que de rentrer chez elle, elle s’apprête à tourner les talons, mais se ravise. Son œil se fait mutin. Elle dit :

 — Tu jouais I can’t get no satisfaction avant que je ne sonne. Est-ce que je dois y voir un signe que tu n’as pas aimé tant que ça, hier soir ? Ce n’était pourtant pas l’impression que tu nous as laissée…

 — Oh si, j’ai beaucoup aimé. J’y ai repensé toute la journée, pour tout t’avouer. C’est juste que j’adore les Rolling Stones et à chaque fois qu’il m’arrive quelque chose de bien dans la vie, je joue et chante Satisfaction, sans même penser au sens des paroles, qui ne sont, en effet, pas vraiment joyeuses. C’est devenu chez moi comme un réflexe.

 Jamil a débité ces phrases à toute vitesse. Myriam sourit : elle est parvenue à le dérider un peu. Satisfaite, elle porte sa main à la bouche et mime un baiser complice avant de se retourner pour insérer la clé dans la serrure. Je surprends le regard de Jamil posé sur ses fesses, puis descendant le long de ses jambes comme un scanner. À mon avis, Myriam aussi l’a senti. Les deux portes se referment en même temps. Ne demeurent dans l’air que l’écho de ce bref échange et un parfum de volupté palpable ; c’est bien suffisant pour meubler le silence et le vide du couloir.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Gilles Panabières ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0