Chapitre 23

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 — Je suis bien avec toi, Violette.

 — Comment ça, tu n’es rien avec moi ?

 Alexandre s’esclaffe ; Violette se rend compte qu’elle a une fois de plus compris de travers.

 — D’accord, je vais me mettre en mode robot.

 Elle se rend dans la salle de bain, branche son appareil auditif, le met à l’oreille, décide de rentabiliser son déplacement : un peu d’eau sur les yeux pour achever de se réveiller, un rapide brossage de cheveux, un trait d’eye-liner car on est en couple désormais, il n’est pas interdit de concilier féminisme et désir de plaire à celui aux côtés de qui on vient de se lever. Cette petite marque de coquetterie ne l’empêche pas de rester naturelle : la bouche pleine de dentifrice, tout en se frictionnant les dents, elle revient vers Alexandre. Ce qu’elle lui dit est assez inaudible, mais ressemble à :

 — Tu feu mettre kelke chaffair à toi dans ma challe de pain, chi tu feu ! che cherait lu ratik.

 — Pardon ?

 Violette lève un doigt signifiant « attends », se rince la bouche dans l’évier de la cuisine avant de répéter, en insérant cette fois-ci les consonnes adéquates :

 — Je disais : tu peux mettre quelques affaires à toi dans ma salle de bain, si tu veux ! Ce serait plus pratique. Et si tu le souhaites, je peux te prêter mon appareil, pour tes problèmes d’audition.

 Alexandre ne relève pas la taquinerie, trop occupé à ouvrir de grands yeux étonnés : l’air de rien, elle vient bien de lui suggérer de mettre un orteil chez elle, il n’y a pas de doute possible. Moi-même, je ne m’y attendais pas.

 — Ne fais pas cette tête, voyons : je ne te propose pas non plus de t’installer à demeure ! En tout cas, pas tout de suite.

 Là, Alexandre se fige. Comme il ne répond rien, Violette reprend, soudain inquiète :

 — Ça te fait peur, ce que je viens de dire ? Excuse-moi, je ne voulais pas te brusquer. Ça m’est venu tout seul, sans même y prendre garde. J’ai vu ma brosse à dents toute seule dans son verre et les mots sont sortis comme ça.

 Alexandre plonge un regard incrédule dans son bol de café, peut-être pour trouver dans le marc l’explication de la subite métamorphose de Violette.

 — Alexandre ?

 Il finit par émerger de sa torpeur :

 — Ne te méprends pas, ça me fait très plaisir, au contraire. C’est juste que je ne m’attendais pas du tout à ça de ta part. Tu as toujours vécu seule, m’as-tu dit. Je croyais que ton indépendance était quasiment inscrite dans ton ADN. Mais tu es sûre de toi ?

 — Je crois bien, oui. Je dois me faire vieille. Ou alors je me sens tellement à l’aise avec toi que pour la première fois, j’envisage l’idée de partager ma vie avec quelqu’un.

 Alexandre n’a pas besoin de se faire davantage prier : il se lève d’un bond, saisit les clés qui traînaient sur la table de la cuisine et indique à Violette qu’il revient tout de suite. Sans prendre la peine de se vêtir davantage, il sort de chez elle. Ce n’est qu’une fois dans l’ascenseur qu’il s’aperçoit, en se voyant dans la glace, qu’il est pieds nus, en tee-shirt et caleçon fleuri.

 — Ce n’est pas grave, dit-il en rentrant un peu son ventre pour ne pas froisser le miroir, je n’en ai que pour quelques minutes. J’espère juste que je ne vais croiser personne.

 Une fois seule, Violette reste pensive un moment. Elle doit se demander ce qui lui a pris. Elle murmure un « c’est très bien comme ça », puis entreprend de s’occuper un peu des fleurs de son jardin. Alors qu’elle les arrose avec soin, elle répète les mots « c’est très bien comme ça » avant de se mettre à fredonner distraitement l’air de « Dix ans plus tôt » de Sardou. Lorsqu’elle se rend compte de ce qu’elle chante, elle sourit, repensant sans doute à la soirée d’hier. Je remarque qu’elle s’attarde sur un petit pot, qui n’a pourtant rien de particulier : de fines feuilles autour d’une tige frêle, la plante fait pâle figure à côté des géraniums, pétunias et autres œillets. C’est en m’approchant que je comprends mieux l’attention qu’elle y porte : il s’agit de son plan de cannabis.

 Quelques minutes plus tard, la sonnette retentit ; Alexandre entre, il ne prend pas la peine d’attendre que Violette lui ouvre. Elle ne s’en émeut pas le moins du monde. Il se dirige vers elle, tenant à la main un sac dans lequel ont été jetés pêle-mêle une brosse à dents, un déodorant, un gel douche, un rasoir et même quelques vêtements.

 — Je vais te faire un peu de place pour que ranges tout ça, dit Violette.

 Alexandre se rapproche d’elle, dépose un tendre baiser sur son cou, puis un tout aussi tendre merci à son oreille. Elle frissonne, avant de filer dans la salle de bain. Il la suit. En un rien de temps, l’un des rayons du meuble retrouve sa virginité originelle. Une virginité de courte durée : Alexandre pose dessus, délicatement, ses affaires de toilette. Puis Violette ouvre l’armoire de sa chambre, libère un peu d’espace en saisissant une pile de pulls qu’elle parvient tant bien que mal à ranger au-dessus d’une autre pile. L’ensemble vacille, hésite, décide de rester en place. Alexandre, qui a suivi ce jeu de Tetris avec attention, embrasse à nouveau le cou de Violette et dit, alors qu’il commence à ranger ses vêtements dans le casier désormais disponible :

 — Il faut que je te dise, il vient de m’arriver quelque chose dont j’ai un peu honte. En sortant de l’ascenseur, j’ai croisé le jeune Julien. En me voyant à moitié habillé, il a fait une de ses têtes ! Puis il a mis sa main sur ses yeux et s’est enfui par les escaliers. Il a dû me prendre pour un vieux pervers. Il faudra quand même que je lui explique la situation la prochaine fois que je le croiserai.

 — Oui, c’est peut-être une bonne idée, répond Violette, hilare. En même temps, c’est un peu vrai que tu es un vieux pervers : tu me l’as encore bien montré cette nuit. Tu ne voudrais pas réitérer l’expérience ?

 Et sans lui laisser ni le temps de répondre ni celui de ranger la paire de chaussettes qu’il tient à la main, elle l’entraîne sur le lit.

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