Quentin à Choix Multiples

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#1

Quentin avait eu 30 ans. Cela relevait déjà d'un certain exploit qu'il fut toujours en vie à cet âge. Depuis sa plus tendre enfance, il avait toujours évité de prendre quelque décision que ce fût, parfois, même au péril de sa vie. Ayant très tôt décidé de toujours suivre les règles et de faire exactement ce qu'on attendait de lui, il s'était ainsi libéré de l'oppression du choix. Donner son avis ? Pas besoin, si on lui posait une question il se rangeait invariablement derrière la dernière opinion formulée. Décider d'un plat au restaurant ? Le serveur s'en chargerait. Continuer à traverser le passage clouté alors que le feu était passé au rouge à la moitié du chemin ? Il attendrait, patiemment, qu'on vienne lui demander de partir, de bouger, ou qu'on vole à son secours afin qu'il ne soit pas écrasé. Certaines situations imposaient un choix, que Quentin évitait toujours. D'aucuns diraient que son évitement était un choix, ou un moyen de survivre. Quentin n'était ni heureux ni malheureux. Mais cela allait changer.

Depuis quelques semaines, il était parfois pris de sueurs froides devant des choix plus cornéliens que les autres. La veille, en faisant ses courses, il avait manqué suffoquer dans le rayon frais. Saumon d'Écosse ou de Norvège ? Il avait finalement pris les deux. Pas un choix, pas un compromis. Toutes les options à la fois. En caisse, alors qu'il déposait ses courses sur le tapis roulant, il fut bousculé par une jeune fille qui courrait. Sa jumelle l'appelait en lui hurlant de faire attention. Peine perdue, elle slalomait entre les caddies. Quentin pris peur, se raidit et ne se déporta pas à son arrivée. Elle s'étala sur lui et lui sous elle. La jeune fille se relevait bien vite en détalant. "Sabine !" appelait sa sœur alors qu'elle disparut dans un rayon. Quentin se redressa et repris sa besogne.

— Pourquoi vous êtes resté planté là ? demanda la caissière.

Quentin haussa les épaules et vida son charriot. Il paya et retourna à sa voiture sur le parking. Devant le coffre, il s'aperçut qu'il avait oublié d'acheter du lait. On était samedi. Le samedi, le menu c'était crêpes, et ce depuis toujours. Sa mère avait préparé des crêpes chaque samedi depuis sa plus tendre enfance, pas question de déroger à une coutume. Mais sans lait... Il pensa retourner au magasin en acheter. Puis il envisagea de partir sans. Un... choix ?

Il sentit un picotement, sa respiration s'accéléra, son crâne le gratta... Aïe ! Aïe !

Quentin remonta dans sa voiture et démarra. Tant pis, il était temps de rentrer.

#2

Quentin s'en retourna donc au magasin, acheta un pack de lait et revint sur ses pas vers le parking.

#1

Arrivé chez lui sans encombres, il se gara et vida ses courses dans le réfrigérateur et les placards.

#2

Sur le parking, il eut la désagréable surprise de ne pas retrouver sa voiture. Il se garait toujours dans la même allée, au plus près de la porte, et il venait d'y déposer ses courses... La voiture n'était plus là. Volée, à n'en pas douter.

#1

Une fois les courses rangées, Quentin pensa de nouveau à ses crêpes. Quel dommage.Il ne lui manque pas grand chose pourtant. Un litre de lait. Pas de voisin à qui en emprunter, ils étaient partis pour la semaine. Il aurait pu aller faire un tour à la supérette du village, mais il avait déjà enfilé ses chaussons. Rester ou sortir... Il sentit un picotement tout le long de son bras, haleta quelques instants, sentit son derme capillaire l'irriter... Aïe ! Aïe !

Tant pis. Il se dirigea vers le réfrigérateur afin de préparer son repas du soir.

#3

Il jeta ses chaussons et enfila ses baskets. La supérette était à deux rues de chez lui. Un peu d'exercice ne lui ferait pas de mal après tout.. Ceci dit, il pourrait aussi bien y aller en vélo, celui-ci était dans le garage. A pied il irait moins vite mais il serait moins encombré au retour par le litre de lait... Encore un fourmillement, une crise d'angoisse à coup sûr... Il se calma, sentit son crâne le démanger une seconde, peut-être deux. Aïe ! Aïe !

Il irait à pieds. Il se dirigea vers le petit magasin d'un pas guilleret dans la fraicheur naissante du soir.

#4

Il entra dans le garage, récupéra son vélo et son casque, toujours posé à côté. À peine sorti du garage, il enfourcha l'engin et se dirigea vers le bourg. Il croisa un jeune homme qui marchait sur le bord de la route, se dévia pour lui laisser de la place sans l'effrayer et continua sa route.

#3

Après un petit quart d'heure de marche, Quentin entra dans le supermarché. Il ne payait pas de mine. Trois rayons tout au plus, du dépannage de proximité. Le lait était toujours stocké dans le fond, avec les oeufs et les eaux minérales. Comme si le gérant savait qu'on viendrait toujours chercher ces produits dits essentiels chez lui, et qu'il espérait qu'en rejoignant la sortie on trouverait autre chose à acheter, dont on ne savait pas qu'on avait besoin. Quentin sourit à cette idée et s'engagea dans l'allée. Il n'y avait pas foule. Tout juste un vélo garé devant le magasin, un client dans une autre travée certainement.

Arrivé devant les oeufs, il eut de nouveau du mal à respirer... Tant de marques différentes, tant de laits, fermiers, bio, bleu demi-écrémé, rouge entier, faciles à digérer. Il en attrapa le tournis, puis souffla un grand coup. Un lait ordinaire, bio. Il pensait à sa santé. Mais pour le goût, le lait entier apportait une petite touche non négligeable sur le demi-écrémé. Fourmis, démangeaisons, Aïe ! Aïe !

Il attrapa un tetra pack bleu et se dirigea vers la caisse.

Le caissier était nouveau. Quentin ne l'avait jamais vu. Il lui adressa un grand sourire, et annonça:

— Re-bonsoir. Il vous en manquait, avouez. On en a jamais assez. Vous n'en voulez pas un pack de six tout de suite ?

— Euh oui, non, juste un, euh, bonjour. Il ne fait pas encore nuit, répondit Quentin dans un rictus maladroit..

— Euh... Chacun son lait ? Vous payez séparément ? demanda-t-il au client suivant.

L'homme derrière Quentin sembla acquiescer avant de reculer d'un pas. Visiblement surpris, le caissier garda le silence. Quentin pensa qu'il avait dû le vexer par erreur. Sans se retourner vers l'autre client, il s'excusa, paya et sortit avant de rejoindre sa maisonnée, toujours à pied. Le vélo n'était plus devant, il aperçut le cycliste qui tournait au coin de la rue à quelques dizaines de mètres.

#4

Alors qu'il tournait au coin de la rue, il vit un gyrophare bleu clignoter devant sa maison. Une sirène annonça rapidement le départ de la voiture de police. Il accéléra, pédala comme jamais, certain qu'il ne rattraperait pas le véhicule, mais il s'inquiétait de sa présence et voulait en savoir plus, plus vite. Il abandonna son vélo devant la porte d'entrée et farfouilla frénétiquement ses poches à la recherche de la clé. Dans sa précipitation, il la laissa tomber dans les gravillons du chemin. Tandis qu'il s'agenouillait pour la récupérer, la porte s'ouvrit. Une paire de chaussons entra dans son champ de vision. Il les reconnut de suite, c'était les siens. En se relevant, son regard découvrit son pantalon de pyjama, son T-Shirt et enfin son visage. Dans l'embrasure, de la porte se tenait Quentin. Une copie conforme, aussi parfaitement imparfaite que lui, l'original.

— Entre, soupira Quentin.

Quentin était bouche bée, il suivit Quentin sans un mot et rejoint le salon. Dans le canapé, Quentin pestait sur son téléphone portable, visiblement agacé de ce qu'il lisait sur l'écran. A sa droite, Quentin expliquait à Quentin que la police avait accepté de le ramener chez lui après qu'il ait déclaré le vol de sa voiture.

— Evidemment, je vais avoir du mal à leur expliquer que c'est toi qui l'a prise.

Sur la table de la cuisine trônaient trois tetra packs de lait. Derrière lui, deux autres Quentin passaient le seuil de la porte:

— C'est quoi ce...

Ils venaient d'arriver à pied de la supérette, chacun un litre de lait sous le bras. L'un avait opté pour le demi-écrémé bleu, l'autre pour le lait entier rouge.

Quentin #1, engoncé dans son pyjama, embrassa son salon du regard, tous ses doubles plus ou moins à l'aise d'être de retour chacun chez soi.

— Ben merde, on aura jamais assez d'oeufs...

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