Chapitre 4 - Profession : journaliste défenseur des droits
Hector avait aussi usé de sa plume sur des articles d'opinion envoyés à tous les journaux susceptibles de lui donner une petite place quelque part. Il aurait tout pris, même la section nécrologie. Voyez plutôt,
Journal - 15 décembre 1932
Depuis le temps que je voulais dire à ses tronches de bibliothèques ce que je pense de leur doctorat. Une chance d'avoir rencontré Phédus, un pleutre, mais honnête le bonhomme. Il tient dignement L'homme, le journal de l'université. On y trouve de tout, et mon essai y figurera demain.
Il l'avait signé d'un faux nom mais on pourrait peut être remonter jusqu'à lui. La direction savait comme il aimait gueuler comme une poissonière, comme il aimait pleurer sur la tristesse de tout ceux qui sont passés par le trou boueux du laboratoire "CNRS 655, Centre d'Etudes pour la Recherche en Cryptographie Unifiée et l'Extinction Illimitée de la Libido" (CERCUEIL)". Les chanteurs de blues venait voir les doctorants pour s'inspirer, tellement ça chouinait, ça pleurait, tellement ça tombait en lambeaux l'envie.
Voulons-nous d’un doctorat à ce prix-là ?
Le doctorat vous glace les os, tant et si bien que vous ne pouvez en sortir que les pieds devant. Intellectuellement parlant bien sur. Quoi que…un simple coup d’oeil aux statistiques laisse planer un doute. On ne meurt qu’intellectuellement au cours d’un doctorat ? En est-on bien sur ? Selon la revue Nature, 36% des doctorants témoignaient d’avoir souffert d’anxiété ou de dépression en lien avec le doctorat. Mettons ses chiffres en scène : prenez 10 personnes autour de vous, regardez-les. Regardez-les bien dans les yeux car 3 et 4 sont au bord de la rupture psychologique. La nuit, le jour, à tout moment, ils ne peuvent plus respirer, la poitrine lourde comme du plomb, vidé de toute énergie, de toute envie. Au regard de la société, du monde productif, ces 3 ou 4 personnes deviennent des rebuts, rejetés à la mer par le rouleau compresseur universitaire. Alors, une mort purement éthérée ou belle et bien psychique ?
Continuons la lecture de l’enquête de Nature :
They choose such careers partly because of the freedom and autonomy to discover and invent. But problems can arise when autonomy in such matters is reduced or removed — which is what happens when targets for funding, impact and publications become part of universities’ formal monitoring and evaluation systems. Moreover, when a student’s supervisor is also the judge of their success or failure, it’s no surprise that many students feel unable to open up to them about vulnerabilities or mental-health concerns.
Autrement dit, vous vous engagez dans un doctorat pour être libre, et effectivement, votre solitude vous prouve tous les jours que rien ne vous empêche de pousser les murs, de tenter des explorations intellectuelles nouvelles. Et pourtant, jour après jour, les murs se rapprochent. Au début, on vous laisse crouler sous des milliers d’articles scientifiques illisibles, et tout vous semble ouvert. Puis vos premiers élans créatifs arrivent, vous souhaitez vous former sur des thématiques, des sujets qui vous paraissent vitaux pour avancer dans votre thèse. Alors vous envoyez un mail à votre équipe de direction de thèse :
Doctorant— Je souhaiterai pouvoir me former sur un sujet qui me semble utile pour attaquer mon sujet.
Direction de thèse — Non
Doctorant— Non ?
Direction de thèse — Non.
Ce dialogue n’est pas tiré d’une pièce de théâtre, mais d’une boite mail bien réelle. Le doctorant n’est pas libre d’acquérir les connaissances que son instinct lui crie d’absorber. Pensez-vous qu’il est libre de contacter les experts de son domaine de recherche en toute liberté ? Absolument pas. L’équipe de direction décide jusqu’aux personnes à qui vous adressez la parole.
Alors, qu’est-ce que, selon vous, une institution dans laquelle tous les individus sont seuls et pour autant ne peuvent disposer de leur temps, à aucun moment ? Un bâtiment dans lequel leur conduite est évaluée régulièrement. Des individu seuls, qui se plient à une surveillance sans caméras, et qui se tiennent à carreaux pour savoir s’ils pourront obtenir un permis de sortie ? Vous connaissez la réponse : un laboratoire de recherche.
J’aimerai pouvoir écrire que l’institution du doctorat flirt avec une forme de peloton d’éxécution psychique depuis peu, que les erreurs sont toutes fraiches, à portée de réparation. Mais non, bien sur que non. William James, philosophe américain, père de la philosophie pragmatiste, publiait en 1903 “Le poulpe du doctorat”. Un essai tout en finesse qui file la métaphore de l’institution du doctorat en tant que bête tentaculaire, qui aspire les individus et progressivement coupe les connexions qui les reliaient à d’autres réseaux. Monstre de l’ombre, le poule du doctorat vient interdire à l’individu la formation de nouvelles connexions ou de nouveaux raccordements. Finalement, coupé de ses liens avec le monde, l’individu dépérit, vidé de nourritures terrestres. 110 ans plus tard, 3 à 4 doctorants sur 10 sont encore dans les griffes du poulpe.
Face à ces chiffres, ces réflexions, comment les directeurs de thèse de ces 3 à 4 doctorants n’ont-ils pas honte ? Comment les directeurs d’école doctorale n’ont-ils pas honte ? Comment les présidents d’université n’ont il pas honte ?
Ces directeurs et présidents d’université connaissent très bien la situation, et certains sont même passés maitre (de conférence) dans l’art de mettre ces cris d’angoisse sous le tapis. Pour ne citer qu’un cas particulier dont j’ai fait personnellement l’expérience, il est possible dans le milieu universitaire de voir un directeur de thèse faire l’objet de nombreux signalements sur une période de 10 ans pour des faits allant de l’incompétence professionnelle au harcèlement et pour autant, être autorisé à prendre de nouveaux doctorants chaque année.
Il est également possible qu’un des doctorants de ce directeur fasse part de sa détresse psychologique auprès de l’école doctorale après un contact prolongé avec le monsieur, et rappelant les précédents signalements, se voit répondre:
Tu es adulte et suffisamment intelligent pour être capable de ne pas mélanger tous les cas de figure qui se présentent. Et si au lieu de te focaliser sur ces soi-disant cas de dysfonctionnement, tu te focalisais sur ceux qui, au contraire, révèlent exactement le contraire ? Ta vision en serait peut-être un peu modifiée. D’autres doctorant.e.s ont été et sont encore tout à fait satisfait.e.s de l’encadrement de qualité dont ils ont bénéficié dans un contexte similaire au tien. Tu me sembles être suffisamment mature d’autre part pour comprendre que l’essentiel dans ton cas est de te concentrer sur ton propre travail et ton propre avancement sans en référer en permanence et de manière stérile à d’autres personnes (extérieures à ta relation de thèse) et à des situations autres que la tienne.
Que croyez-vous que le doctorant ait eu envie de faire après avoir lu cette réponse à sa plus difficile confession ? Relire le Mythe de Sisyphe et apporter une réponse à la seule, l’unique question vitale de la philosophie universitaire : le vie en doctorat mérite-t-elle d’être vécue ? Selon le projet interuniversitaire qui porte sur l’abandon et la persévérance au doctorat, 50 % des doctorants répondent par la négative.
Voulons-nous vraiment d’un doctorat à ce prix-là ?
FIN
Il publierait mais il ferait une pétition, c'était décidé. Une pétition qu'on ferait circuler par les réseaux d'étudiants communistes. Des clandestins qui rafolait de chier du papier partout dans l'université.
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