Chapitre 6 - Le poème en prose rêvée
Et quelques fois, des grandes danses apparaissaient, nues dans son imagination. Les mouvements de l'esprit remplaçaient ceux du corps et des kaléidoscopes d'images remplaçaient les tendons, les muscles, les ongles, les os en mouvement.
Journal - 17 décembre 1932
a) matériau de la danse : algèbre linéaire ; tableau multi-dimensionnel ; matrices ; tracé scientifique ; bâtie ; librairie ; iris ; objet ; publicités du New Yorker ; Napoleon Street ; maquillées ; 57e rue ; trimballer ; gangster ; éjaculation précoce ; Spanish Harlem ; macaque ; fusiller ; manque de tact ; tweed de couleur ; hypothèque
b)
Salle de bain dans laquelle Moses (anti-héros de Saul Bellow dans Herzog), brise tous les carreaux en dansant
Clic, clac, clic, clac. Petits pas cadencés devenant furieux, la fureur d'une cadence qui perd l'équilibre. Dans cette salle de bain miteuse, à la peinture défraîchie, Moses s'essayait à une danse proche de l'algèbre linéaire. Normés dans l'espace, ses pas suivaient la règle écarlate, saignante du vecteur, allant d'un point A à un point B.
Sur l'évier repose une grille de mots-croisés, tableau multi-dimensionnel qui pue les consignes de ses fumiers de journaliste, bien qu'ils soient sûrement le fruit de matrices creuses. Les pages de ce tableau sont jaunes comme la pourriture qui envahit le miroir. Dans sa danse, dans ses pas, le songe de son reflet fait son apparition, égal au tracé scientifique de sa mémoire.
Alors cette salle de bain en devient une autre, la sienne mais à Napolen Street, quartier poubelle au nord-est du village. A moin que ce ne soit au nord-ouest (perte de boussole). Vingt ans en arrière, cette salle de bain était autrement dessinée dans le miroir, son iris n'avait pas la même couleur, ce bleu n'était pas aussi délavé et ces pages grasses n'étaient pas jonchées sur le sol, surprises d'être là, témoin des autres.
Il dansait sur les publicités du New-Yorker, son sexe se trimballait entre ses cuisses. Phénoménologie étrange que celle d'un sexe en apesanteur au-dessus d'un cimetière de papier, piétiné par un fou. "Gangster en suite", "maquillage en fanfare moitié prix", "macaque au zoo de Spanish Harlem", ça gueule ces pages jaunes. De quoi vous coller la chiasse au cul et sans ticket de bain public. Moses aimait mettre ses pied dans le gueule criarde des médias et briser leur prose honteuse et frénétique.
Chaque carreau se brisant sous le joug de sa fureur moqueuse et quoi que vous en disiez, rien n'est plus honteux que ces tonnes de merdes informationnelles qui jonchent les couloirs de vos demeures. Macaque, Ejaculation précoce, Hypothèque, Prêt immobilier, Bulletin de salaire. Moses danse sur la paperasse quand vous croulez sous elle. Calfeutrez-vous dans votre salle de bain nu comme Moses et lestez-vous du courrier qui enfle vos crânes et vomissez, vomissez, VOMISSEZ !
Regardez le manque de tact de ce monde, qui veut vous caresser mais vous brise lentement, avec une maitrise scientifique qui frôle la dictature. Ce qui se trouve chez vous, les journaux, votre fil d'actualité, chaque fois que votre télephone sonne, c'est une balle bourrée de données personnelles qui fracasse votre conscience.
Valsent, valsent les carreaux sous les canons des pieds de Moses, balancés les objets derrière un mur incandescent de merdes obscurs. Pourquoi, comment tuer ces réclament qui violent notre intimité ?
Alors vient un temps où la folie s'arrête, il est l'heure d'enfiler son tweed de couleur et de troquer sa liberté de penser contre un corset plus propre, quoi que plus serré, d'une société de camisole informationnelle.
Sur le bas de sa porte, laissant sa salle de bain défoncée, il hypothèque sur la tête du concierge le chaos créateur de sa salle de bain et va le vendre pour un salaire trop bas, trop net, trop propre. Il l'aurait préféré brut son salaire. Ô Seigneur, qu'as-tu fait des pélotons d'éxécution de la bienséance ? Où sont les salles de bain que l'on défonce ?
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