Journal - Paul Lorens - 21.04.2021

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Aliénant, c'est le mot. Je suis aliéné, hors de moi, décontextualisé. A chaque moment, je me transgresse, je tire sur moi, sur mon potentiel. Je casse, je brise, j'écorche, je creuse à la hâche les fondations, le toît, l'édifice de ma personne.

Je n'ai jamais eu le temps de construire quoi que ce soit, aucune opinion, aucun patrimoine intellectuel. Je me sens vide, à force d'épouser toutes les formes. Je parle en voulant plaire à l'autre, je fais pour répondre à une urgence interne, une alarme qui crie, qui crie.

C'est surement pour ça que mon écriture ne touche rien, n'évoque rien de concret. Me relire me surprend à chaque fois : on n'y trouve aucun personnage, aucune idée, aucun pays, aucune frontière. C'est une terre désolée que je donne à voir, d'un homme de 28 ans, qui, à force de suivre tous les vents, se trouve dans une mare, sans vague et sans courant pour l'emmener quelque part ou plus loin.

"Cette solitude face à l'existence", trait le plus partagé entre les hommes, à la limite ça m'irait bien. Mais une solitude se remplit d'une multitude de souvenirs, de sensation. La vide n'a pas sa place dans la solitude. On pourrait aller jusqu'à dire que le vide manque à la solitude, ou à celui qui le cherche.

Et qu'est-ce que ça peut foutre si ce que j'écris est décousu, si je n'arrive pas à poursuivre une idée fixe ? Vous en connaissez beaucoup vous, des hommes, des femmes qui poursuivent des idées fixes ? Les grands hommes, les grandes femmes, oui, ceux-là, vous en connaissez beaucoup maintenant ?

Alors, on en a encore peut être quelques uns : Christiane Taubira, qui n'a jamais souhaité atténuer une verve et un charisme d'un autre temps ; Patrick Modiano qui n'a que faire d'être dépourvu de voix, pourvu qu'il est l'écrit ; on doit avoir quelques grands hommes de conviction...Et encore, s'ils existaient, les lignes seraient de toutes façon brouillées.

4 ans à essayer de construire un édifice intellectuel, un système, un patrimoine, quelque chose qui m'appartienne, et ça ne tient même pas debout. Ou plutôt, je ne veux pas le faire tenir debout. Trop honte, trop honte d'être docteur d'une université dégueulasse, sous la direction d'une professeure qui n'a plus le réflexe de la décence, ni plus aucun principe de réalité pour gouverner ses actes. Tellement honte de ma honte aussi : 4 ans, des vallées d'angoisses, des torrents de crispation, et à l'arrivée...tu n'as plus la force de la porter cette thèse, plus la force de revandiquer une position, un argument...juste envie de la cacher cette thèse, comme si ces 4 années n'avaient jamais existées.

Alors reste la haine, un gout amer dans la bouche, une envie de vengeance. Faire cracher à l'institution derrière le doctorat ses tripes, les dégouter de consentir à maintenir en place une fabrique à dépression, une machine à exclusion, un poule qui enserre et qui tue.

Reste la haine, qui doit devenir porteuse, me donner une voix peut être. Pourquoi refuser un tel élan pour écrire. La motivation, la haine, certes. Mais pourquoi nier que les fondements des grandes volontés sont aussi construites sur des terres brulantes, des marécages flamboyants, des ombres et des armes ?

Ecrire des articles, faire des conférences sur le savoir, revandiquer le droit d'attaquer l'évaluation de cette école doctorale et son laboratoire. Les exposer par leurs données, par les faits :

* comparaison de durée moyenne de la thèse par rapport aux autres disciplines

* comparaison du taux d'abandon

* durée d'attente pour soutenir VS. paupériation associée

* raisons de l'abandon

* les sujets du catalogue de formation et le mode de formation VS. les besoins de compétences au XXIe siècle = formation de docteurs inadaptés, qui vont devenir des professeurs transmettant des pratiques inadaptées, amenant une paupérisation des étudiants eux-mêmes, pas armés avec les bonnes compétences, les bonnes connaissances.

La meilleure attaque, c'est de leur demander de s'exposer, de me donner leurs statistiques au titre de la loi pour une République Numérique, des obligations légales des laboratoires. Demander des statistiques, les comparer entre elles, créer un observatoire de la thèse, et du doctorat, avec theses.fr, avec myCada.fr, avec des demandes par mails. A commencer par mon laboratoire, ils doivent être transparent sur les abandons de thèse, et je dois croiser avec tous les doctorants. Recueillir des témoignages anonymes de tous les doctorants. Et balancer la chose (couverture d'un observatoire data), upload en live des données theses.fr. Trouver des partenaires.

Et envoyer un message d'alerte à toute la hiérarchie en partant de la direction de thèse --> ecole doctorale --> laboratoire --> RH --> UFR --> direction

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