Chapitre 6

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Le regard fixant le plafond, Lana soupira, désespérée que l’heure n’avance pas.

Après le petit incident avec le bout de verre, Daichi lui avait demandé, enfin plutôt ordonné, d'aller s’asseoir sur le canapé du salon pendant qu'il n'espérait ses bêtises. Elle n'avait pipé mot et après avoir soufflé un petit merci, rongée par la gêne.

Elle avait donc passé le reste de la housse et le début de soirée, ce qui lui avait paru une éternité, en sa compagnie. Chacun à l'autre bout du canapé, un un livre à la main et l'autre le nez plongé dans son téléphone, n'osant pas se lever.

De toute façon, pour aller où ? Dans la cuisine ? Après ce qui venait d’arriver, il en était hors de question. Dans la chambre ? Bien sûr que non. Ils doivent la partager. Va-t-il dormir sur le même lit ? Ou va-t-elle finir par terre ? Ces questions étaient beaucoup trop gênantes pour être dites à voix haute.

Rien que de regarder la porte de la chambre la faisait frémir d’angoisse.

Mais il avait fini par comprendre son malaise ou peut-être l’avait-il vue à moitié endormie sur le canapé. Quoi qu’il en soit, il lui avait proposé de prendre le lit tandis que lui dormirait par terre.

Elle n’avait pas cherché à le contredire ou à savoir comment allait-il dormir. Elle avait été si fatiguée, elle avait juste hoché la tête avant de traîner des pieds jusqu’à la chambre.

Elle était maintenant réveillée depuis 5h30 du matin, attendant avec impatience que 6h30 s'affiche sur l’écran de son téléphone.

Elle s’était réveillée en sursaut, prise d’une grande panique. Et si l’homme n’aimait pas qu’on le réveille si tôt ? Et s’il lui faisait du mal parce que son réveil avait été trop bruyant ? C’était dans ces pensées, loin d’être joyeuses, que notre héroïne avait attrapé son téléphone qui s’était caché sous son oreiller et désactivé l’alarme.

Depuis, elle n’avait osé se rendormir. N’ayant plus aucun moyen de se réveiller, il était sûr qu’elle finirait par être en retard, voire pire : rater son cours.

Depuis, elle fixait le plafond, attendant sagement que les minutes défilent, n’osant pas se redresser pour jeter un coup d'œil vers le bas, où l’homme devait dormir.

Elle avait profité de cette longue pause pour réfléchir au meilleur moyen de se faufiler vers la sortie de la chambre sans que cela ne réveille personne.

Ses pensées avaient aussi divergé vers ce qu’il s’était passé hier. Entre ses pensées interrompues par sa sonnerie et Daichi la soignant, elle s’était vraiment demandé à quoi elle était en train de penser. Pourtant sa réflexion n’allait pas plus loin.

Elle ne voulait pas connaître la fin de ses pensées. Elle avait peur de les connaître.
Ou peut-être les connaissait-elle déjà et voulait nier autant que possible ses pensées honteuses qui lui avaient traversé l’esprit.

Quoi qu’il en soit, elle était vite passée à autre chose et avait fini par porter son attention sur le calme de la chambre. Il n’y avait pas un bruit. Elle n’arrivait même pas à percevoir la présence de son 95% qui devait sûrement dormir au pied du lit. Le règlement l’obligeait. Et pourtant rien dans cette chambre n’indiquait qu’il y avait une autre personne autre qu’elle. Cela l’avait perturbée. Daichi était loin d’être le genre d’homme qui pouvait effacer sa présence. Un frisson lui avait parcouru l’échine lorsqu’elle avait repensé à la lourdeur de sa présence et à l’aura de dangerosité qui l’avait entouré.

Son écran affichait enfin 6h30. Elle se leva tout doucement, prête à sortir en catimini de la chambre sans aucun bruit.

À peine s’était-elle levée qu’elle remarqua que le matelas qui servait de lit pour l’homme de cet appartement était vide. Les draps étaient à peine froissés.

Elle fronça les sourcils, ne voulant pas croire qu’il n’avait sûrement pas passé la nuit dans cette chambre.

Impossible, c’est interdit.

Pourtant les faits étaient là. Les draps étaient à peine froissés, la chambre était dépourvue de sa présence. Rien n’avait bougé.

Le rouge finit par lui monter aux joues. Elle se claqua la tête avec force contre son coussin. Elle se sentait idiote, en colère aussi, mais surtout complètement ridicule. Alors qu’elle avait poireauté comme une idiote pendant près de deux heures par peur que son réveil ne réveille l’homme froid qui était censé être à ses côtés, lui était sûrement dans le salon à lire ou encore sorti dehors.

Elle se sentait complètement ridicule. Elle était en colère. En colère contre elle-même d’avoir si peur, d’être si intimidée par quelqu’un qu’elle était prête à ne pas dormir pour ne pas le contrarier.

Bon sang, c’était aussi son chez-elle pendant quelques mois au moins. Elle avait le droit de laisser son réveil sonner. Droit de vagabonder dans l’appartement comme elle en avait envie. Le droit de faire un peu de bruit le matin.

Le pire dans tout ça ce n’était pas tout ça. Non, le pire c’est que personne ne lui avait fait de remarque. Il ne l’avait pas menacée. Il ne lui avait même pas adressé un mot, mis à part lorsqu’elle s’est fait mal avec le bout de verre. Non, il s’était contenté de vivre comme si elle n’existait pas. C’est elle qui avait pris la décision de s’écraser. Elle qui avait pris la décision de se réveiller deux heures plus tôt. Tout était de sa faute à elle, et c’était ça qui l’énervait le plus. S’il lui avait dit quelque chose, elle ne se trouverait sûrement pas aussi pathétique qu’elle se trouvait à l’instant.

Rageusement, elle donna un coup dans ce matelas vide de toute âme avant de sortir de la pièce tel une furie.

Pourtant, la colère qui était alors omniprésente en elle s’estompa en un instant lorsqu’elle ouvrit la porte de la chambre. À peine fut-elle ouverte qu’un courant froid la fit frissonner. Une atmosphère pesante régnait dans le salon alors qu’elle se figea, le corps tremblant, face à l’homme qui se trouvait devant elle.

Habillé d’un jogging noir, d’un t-shirt blanc, une serviette autour du cou, les cheveux encore dégoulinants d’eau, il était là, posé au milieu de la pièce, son regard livide braqué sur elle.

Un regard qui la cloue sur place, empêchant même l’air de circuler correctement dans son corps. Un long frisson traversa son corps, la faisant trembler encore plus.

Incapable de dire ou de faire quoi que ce soit, notre héroïne se contenta de l’observer, essayant par tous les moyens de fuir son sombre regard.

Ses yeux s’attardèrent sur son bras gauche recouvert d’encre noire. Des formes collées les unes aux autres, si nombreuses qu’elle n’arrivait à en discerner les détails. Plissant les yeux pour essayer de discerner la moindre forme, une sorte de fascination naquit au plus profond d’elle. Une hypnotique fascination si soudaine, brutale et puissante qu’elle fit disparaître l’horrible sensation d’écrasement que procure l’aura de son 95%.

Tout disparut : les caméras, l’appartement, son 95%, son aura grisante, son corps tremblant de peur. Tout. Il ne restait plus que ses tatouages et son envie irrépressible de savoir à quoi ils ressemblaient exactement.

Une curiosité si intense qu’elle la poussa à franchir les mètres qui les séparaient pour enfin pouvoir mettre des images sur cet amas d’encre noire.

Il ne lui fallut que quelques secondes pour se retrouver à quelques centimètres de son bras gauche.

Un chat, une colombe, une horloge, des chaînes, une tête de mort, un cœur fissuré, des lettres formant les mots « survie », « death », « unfair » et tellement d'autres symboles et objets, tous plus fascinants les uns que les autres.

Un tourbillon de symboles qui l’engloutit et la prit au piège, l’empêchant de quitter des yeux ce chef-d’œuvre gravé à même la peau. Si magnifique, si puissant, et à la fois si vulnérable, mais indéniablement et irrésistiblement fascinant. Comme une énigme à déjouer. Comme si elle regardait un mauvais feuilleton mais que l’intrigue était si intense qu’il était impossible de ne pas en être accro et d’attendre avec impatience le prochain épisode.

N’y tenant plus, et voilà gravé au plus profond d’elle chaque dessin, elle posa sans attendre son doigt sur sa peau bouillante et ferme, traçant, sans se rendre compte de ce qu’elle faisait réellement, chaque dessin.

Daichi, toujours figé, regarda cette fille qui, il y a encore quelques secondes, était toute tremblante à sa vue, le toucher sans aucune hésitation. Cette fille qui n’avait pas arrêté de le craindre depuis leur rencontre touchait son bras gauche, son bras qui enfermait toutes ses pensées et son histoire. Il regardait cette fille toucher du doigt son intimité.

Il n’avait jamais laissé quiconque le toucher avant ça. Il n’avait jamais laissé quiconque mettre les doigts sur ses tatouages. Son journal intime. Pourtant il était figé, impossible de bouger. Électrifié par son index qui trace tour à tour sa vie, ses pensées les plus profondes.

Le souffle court, obnubilé par cette fille dont le nom lui échappait il y a encore quelques heures.

Il n’y avait aucune raison qui l’empêchait de se détacher d’elle. Il le savait, cette fille était fragile. Il en avait eu le cœur net lorsque ses yeux avaient sondé son regard. Un regard empli de détresse et d’appel à l’aide. Il n’était pas certain de ce qu’elle avait vécu et il n’était pas vraiment sûr que cela l’intéresse, mais il savait que sa vie n’avait pas dû être rose pour chercher si désespérément une bouée à laquelle se raccrocher.

Dommage, avait-il pensé ironiquement, je suis loin d’être un prince charmant qui délivrera sa princesse.

C’était de cela dont elle avait besoin. Pas d’un homme au passé trouble qui n’aspire même pas à vivre.

Le regard toujours rivé sur ses taches d’encre, Lana continuait à les tracer, essayant tant bien que mal de deviner chacune de leur signification. Sa peau ferme sous ses doigts la faisait frémir si intensément qu’elle se mordillait la lèvre de temps à autre pour les empêcher de se poser sur sa peau blafarde. Un bras rude et musclé.

Soudain, ce bras, qui était jusque-là son obsession, s’arracha à elle si brutalement qu’elle recula de quelques pas, sonnée.

Troublée, son corps se mit à nouveau à trembler alors que l’écrasante aura de son 95 % s’abattait brutalement sur ses épaules. Comme sortie d’un rêve, le cerveau en ébullition, elle réalisa peu à peu ce qu’elle venait de faire.

— Ne touche pas à mes tatouages, grogna-t-il.

Elle sursauta de plus belle, les larmes aux yeux. Son corps tremblait si fort que cela la faisait souffrir. Elle ne comprenait pas ce qu’elle venait de faire. Quelle mouche l’avait piquée ?

Elle recula de plus belle, la tête tellement lourde qu’elle n’avait d’autre choix que de fixer le sol.

La bouche sèche, incapable de dire quoi que ce soit, elle serra ses poings aussi fort qu’elle le pouvait. Elle devait bouger, il en valait de sa survie. Elle devait s’éloigner de lui, et au plus vite.

Alors, avec un effort surhumain, elle pivota sans un mot et se rua aussi vite qu’elle le put à l’intérieur du dressing. Ce ne fut qu’une fois la porte refermée sur elle-même que ses jambes la lâchèrent. Elle tomba mollement sur le sol, essoufflée.

Bon sang, mais qu’est-ce qui m’est passé par la tête ? se demanda-t-elle, une forte envie de se gifler la démangeant.

Dire qu’elle était effrayée serait un euphémisme. Elle l’avait énervé. Elle avait énervé un meurtrier. Un meurtrier avec qui elle devrait vivre durant trois mois.

Il lui fallut une bonne dizaine de minutes pour arrêter ses tremblements, et encore une dizaine supplémentaire pour réguler ses battements de cœur. Quant à l’engourdissement qu’elle ressentait au bout des doigts de sa main gauche — celle qui l’avait touché —, elle avait conclu que cela ne disparaîtrait pas. Et tout comme les pensées engrangées qui lui avaient valu une coupure au pied, elle décida de simplement oublier.

Il lui fallut en tout une heure pour avoir le courage de sortir du dressing. Une heure qui lui avait paru une éternité. Comme une proie qu’on avait enfermée en cage, elle avait tourné en rond encore et encore, écoutant le moindre bruit. Silence. Rien que du silence.

Était-il sorti ? Lui tendait-il un piège pour la tuer ?

Elle avait peur, elle était effrayée et troublée, mais elle ne pouvait pas rester ici indéfiniment. En réalité, si, elle le pouvait. Elle pouvait rester cloîtrée dans ce dressing et attendre qu’on l’évacue, mais son ego le lui interdisait. Ce qui était étonnant, même pour elle. Elle n’avait jamais eu une vraie estime de soi, mais surtout, elle avait toujours trouvé les personnes prêtes à tout, jusqu’à risquer leur vie pour leur ego, complètement débiles. Et pourtant, elle était là, la main fermement cramponnée à la porte, prête à sortir, qu’importe le danger, simplement pour ne pas passer pour une faible et une débile devant lui. C’était absurde. Il l’effrayait au plus haut point et pourtant elle voulait lui prouver qu’elle n’était pas apeurée, alors qu’il était clair pour tout le monde qu’elle l’était.

Elle inspira un bon coup, puis ouvrit doucement — trop doucement — la porte du dressing. Le corps tendu et tous ses sens en éveil, prête à agir au moindre bruit. Il n’y avait que du silence, et rien de plus. Un silence qui ne l’avait pas quittée depuis qu’elle était arrivée ici hier…

Hier, pensa-t-elle, cela ne fait même pas 24 heures que je suis ici et pourtant j’ai l’impression que cela fait une éternité.

Elle passa doucement la tête par la porte à peine ouverte. Le salon était plongé dans la pénombre, glacial, silencieux et vide. Complètement vide. Il était parti.

Dans un soupir de soulagement, elle ouvrit complètement la porte. Ses muscles se détendirent d’un seul coup. Dire qu’elle était heureuse qu’il ne soit pas là serait un euphémisme. Si elle n’était pas si rattachée à son ego, et qu’elle n’avait pas peur de passer pour une cruche devant tous ceux qui la regarderaient, elle se serait sûrement mise à se dandiner dans tous les sens en hurlant de joie.

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