Chapitre 1.3: Confrontation des Idéaux

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vivian LAP :

Enfin, nous décollons après les nombreuses plaintes de Jérémy. Cette fois, nous avons dû partir de l'aéroport Toulouse-Blagnac pour brouiller les pistes, dans un avion cargo, afin de rentrer directement en Atlantide. Le président Atlas n'était pas avec nous, sa rencontre avec les aristopolitiques ayant lieu ce matin.

Je surveillais la valise en permanence, si bien que je la gardais menottée à mon bras, que ce soit pour dormir ou pour me laver après la mission. J'observais Jérémy du coin de l'œil et remarquais qu'il parlait parfois tout seul, ou plutôt à l'objet qu'il avait ramené. Je me demandais s'il ne devenait pas fou. J'avais lu en diagonale les rapports concernant cette source d'énergie, mais je dois avouer que j'ai été surprise quand le coffre s'est ouvert et que j'ai vu, au centre de cette boîte, un anneau d'un blanc pur qui avait illuminé les environs.

« Venez vous restaurer, le repas est prêt, » dit Natali en nous apportant nos plateaux-repas sur la table.

Alors que je quittais mon fauteuil pour me détendre, Jérémy fit de même, sans quitter des yeux sa boîte. Natali nous avait préparé des rations militaires, comme il se doit : une salade macédoine en conserve, accompagnée de lentilles et d'une saucisse qu'elle avait réchauffées. En dessert, des biscuits secs, durs comme des projectiles. Je la connaissais assez pour savoir qu'elle n'était pas une grande cuisinière, mais là, elle exagérait.

« Tu abuses, je mange suffisamment de rations militaires pendant les missions. Tu aurais pu m'épargner ça, » me plaignis-je.

« Sache que c'est tout ce qu'on a à manger dans cet avion. Tu peux passer ton tour si tu veux, » me répondit-elle sans la moindre désinvolture.

« Moi, je trouve ça bon, » répliqua Jérémy, déjà en train d’attaquer sa salade.

Résignée à manger ce repas sans saveur, je pris place, tandis que les menottes attachées à la valise émettaient un tintement à chaque mouvement de poignet que je faisais en mangeant.

« Dis, tu m’as confié cette boîte, et j’en suis honorée, mais pourrais-je savoir ce que c’est exactement ? » demandai-je à Jérémy.

« Il est vrai que vous avez été avare en réponses jusqu'à présent, » ajouta Natali, observant Jérémy avec attention.

Il termina tranquillement sa dernière bouchée de salade, puis répondit, un brin mystérieux : « Si vous le souhaitez, je vous montrerai après le repas. Ensuite, vous serez libres de me croire... ou pas. »

« J'espère bien, » répliqua Natali, « mais sinon, je trouve que vous vous êtes plutôt bien débrouillé pour une première mission de civil. »

« Je vous en prie, je n’ai fait que vous suivre et vous écouter durant la mission, » répondit-il sans aucune vantardise.

« Vous savez, c’est déjà une bonne chose. Beaucoup trop de civils sont morts lors de mes missions parce qu’ils ne nous ont pas écoutés. » Natali me lança un regard froid, réalisant peut-être que j'en avais trop dit sur mes activités.

Jérémy hésita un instant avant de demander : « Je n’ai pas osé vous poser la question depuis que je vous ai rencontrées, mais que... que faites-vous exactement au sein d’Atlantide ? À première vue, je dirais que Natali est le bras droit du président et qu’il vous a confié mon "babysitting". Mais vous, Vivian, vous n’êtes pas juste une militaire, je me trompe ? »

« L'agent Vivian effectue des missions... particulières, si je puis dire, » répondit Nana d’un ton froid.

« Quel genre de missions ? » demanda Jérémy, visiblement poussé par la curiosité.

Je me levai de ma chaise, m'approchant de Jérémy, un couteau dans la main droite, avant de lui susurrer à l’oreille avec ma voix de prédatrice : « Es-tu sûr de vouloir le savoir ? »

Je jonglais légèrement avec le couteau en ajoutant une touche dramatique à ma question, tout en remarquant son visage pâlir. Natali, quant à elle, réprima un sourire en coin, cherchant à maintenir son professionnalisme.

« Et si on débriefait plutôt la mission ? » demanda-t-elle.

« Oui, je veux bien, » répondit Jérémy, encore un peu gêné par mon approche.

Le repas reprit, et nous avons longuement discuté des détails de la mission qui venait de se dérouler. Une fois le repas terminé, nous avons nettoyé la table, et Jérémy s’apprêtait à nous expliquer pourquoi nous devions retourner en France.

Il me demanda la valise qu’il m’avait confiée et sortit de celle-ci une boîte en bois.

« Tenez, ouvrez-la, mais faites attention, s'il vous plaît. »

Nana ouvrit la boîte et nous vîmes huit éprouvettes solidement fermées avec un bouchon en liège recouvert de cire, renfermant un liquide bleu océan à l’intérieur, ainsi qu’un pistolet à injection avec huit ampoules contenant un liquide jaune, semblable à la couleur du miel de fleurs. Voyant nos visages interrogatifs, Jérémy se frotta le bras gauche par nervosité avant de prendre la parole.

« Ceci est l’avenir de l’humanité, un remède à tous les maux qui ont contaminé le corps humain. Je vous présente le Sang et les Larmes de Gaïa. »

« Que voulez-vous dire par là ? » demanda Nana.

« C’est un remède qui peut absolument tout soigner, faire repousser des membres et bien d'autres choses encore. Sauf que, pour le moment, le contrecoup ne peut pas être administré à tout le monde, » nous répondit-il, comme si de rien n'était.

« Tout soigner, vraiment ? Et quel est le contre-coup dont tu parles ? » demandai-je, intriguée par ce que pourrait être le remède ultime.

« Je peux t’assurer d’une chose : toi-même, tu ne souhaiterais pas une telle chose à ton pire ennemi, » répondit-il, son visage laissant transparaître une connaissance profonde du sujet, comme si un soupçon de terreur marquait son discours. S'était-il lui-même injecté ce produit ?

« Comment peux-tu le savoir et pourquoi un tel produit ? » demanda Nana, visiblement perplexe, tout comme moi.

« Disons que certains projets exigent une implication personnelle de leur créateur. J’ai créé ce remède pour redonner de l'espoir à ceux qui en ont le plus besoin. Dans notre société, les personnes handicapées sont souvent réduites à leur condition. Elles sont rafistolées avec des solutions temporaires – des prothèses, des fauteuils roulants, des traitements qui ne font que masquer la douleur sans jamais guérir.

Je crois fermement qu'il est temps d’aller au-delà de cette approche. Chaque jour, je vois des gens privés de leur dignité, de leur liberté de mouvement, de leur droit à une vie pleine et épanouie. Mon objectif est de réparer, non pas seulement de compenser. Je veux que ces personnes puissent marcher à nouveau, vivre sans entrave et retrouver leur place dans la société, comme des êtres humains à part entière, et non comme des victimes de leur sort.

Nous avons la capacité de faire plus que simplement gérer les symptômes ; nous pouvons guérir, restaurer et réhabiliter. Ce remède a le potentiel de transformer des vies, de redonner l'espoir là où il n'y en a plus. Mais il vient aussi avec un lourd prix, un contre-coup qui doit être pris en compte. Trop souvent, nous évitons de confronter la réalité de nos créations. Je ne veux pas être complice d'une solution qui ne fait que prolonger la souffrance. Mon souhait est que chacun puisse vivre pleinement, sans avoir à se cacher derrière des artifices. »

Nana prit la parole, brisant le silence avec son habituel franc-parler.

« Vous vous rendez compte des conséquences que cela pourrait avoir sur le monde ? » demanda-t-elle d’un ton sec, le regard perçant.

Jérémy parut surpris. « Que voulez-vous dire ? » répondit-il, déstabilisé.

Je connaissais Nana assez bien pour comprendre qu’elle n’allait pas se contenter d’explications simplistes. Elle ne laissait jamais passer un sujet de cette ampleur sans creuser les implications profondes.

« Est-ce vraiment à nous de décider que la dignité d'une personne dépend de sa capacité à marcher ou à vivre sans assistance médicale ? » poursuivit-elle, son ton devenant plus tranchant. « Certaines personnes acceptent leur état et trouvent leur propre manière de vivre pleinement, sans ressentir le besoin d'être "soignées". N’est-il pas un peu présomptueux de prétendre que leur dignité dépend de ce remède ? »

Je fixai Jérémy, cherchant à voir comment il réagirait. Son assurance vacilla légèrement. On voyait qu'il ne s'attendait pas à ce genre de remise en question. Cependant, il s'efforçait de rester ouvert, même si cela le déconcertait.

Je pris alors la parole pour appuyer les doutes de Nana. « Offrir cette option, c'est une chose, » dis-je en croisant les bras, « mais qu'arrivera-t-il aux personnes qui choisiront de ne pas l’accepter ? Elles risquent d’être perçues comme des personnes refusant une opportunité d’améliorer leur vie. Et puis… ceux qui n’auront pas accès à ce remède risquent de se retrouver encore plus marginalisés. »

Je vis Jérémy hésiter un instant avant de répondre. Je sentais qu'il essayait de mesurer la portée de ce que nous venions de soulever. Peut-être n'avait-il pas pris le temps de réfléchir à ces conséquences sociales.

« Je n'avais pas vu cela sous cet angle, » admit-il finalement, l’air troublé. « Mais je n’obligerais jamais personne à prendre ce remède. Je comprendrais si certains choisissaient de vivre avec leur situation actuelle. Mon objectif est simplement de donner une possibilité, de proposer une solution. »

Il sembla retrouver un peu de son assurance. « Il y a des moments où il faut savoir faire le premier pas, » continua-t-il. « Si personne n’essaie d’apporter un changement, comment peut-on espérer améliorer ce monde ? »

Nana fronça les sourcils, réfléchissant un instant avant de répondre, d’un ton plus calme mais tout aussi ferme : « Proposer une solution, c’est bien, Jérémy. Mais vous devez comprendre que cela changera la manière dont les gens perçoivent ceux qui ne voudront pas ou ne pourront pas en bénéficier. C’est une responsabilité énorme. »

Je hochai la tête. Elle avait raison. Ce n’était pas juste une question de science ou de technologie. Nous parlions de choix, de respect, de la manière dont une société traite ses membres les plus vulnérables.

Le silence retomba sur la pièce, chacun absorbé dans ses pensées. Jérémy nous regarda, l'air pensif.

« Je comprends vos inquiétudes, » dit-il enfin, avec sincérité. « Je vais y réfléchir. »

Cette discussion n’était pas terminée, loin de là. Mais pour l’instant, nous avions chacun exprimé nos positions. Je ne pouvais m’empêcher de penser que la technologie de Jérémy allait inévitablement changer le monde. Mais à quel prix ? Cela restait à voir.

Je l’observais, plongé dans ses pensées, ses mains nerveusement serrées. Il semblait réfléchir aux questions que nous avions soulevées. Bien que son geste soit noble, la société pourrait ne pas partager ses idéaux. Si certains rejetaient cette vision, cela pourrait créer une fracture, et dans le pire des cas, une guerre.

Finalement, il s’était endormi dans son fauteuil, tandis que nous avions fait la moitié du trajet.

Je jetai un regard vers Natali, toujours concentrée sur la rédaction de son rapport. Son attitude rigoureuse ne laissait jamais place à la moindre distraction. Je m’approchai en silence, jusqu’à poser doucement ma poitrine contre son dos, déclenchant un léger sursaut de surprise.

« Que veux-tu, Vivian ? » murmura-t-elle, prenant soin de ne pas réveiller Jérémy.

« Rien, j’avais juste envie de me poser contre toi, » répondis-je, respirant discrètement le parfum de ses cheveux. Elle continua à rédiger son rapport, imperturbable, comme si ma présence ne la gênait pas.

Après un moment de silence, je pris finalement l’initiative de rompre le calme. « Que penses-tu de tout ça ? » demandai-je doucement, curieuse de connaître son avis.

Natali resta silencieuse un instant, puis répondit sans détour : « De grands changements vont se produire si nous le laissons faire, c'est certain. » Elle fit une courte pause, soupira légèrement et reprit son écriture. « La seule question est de savoir si ces changements seront pour le bien... ou pour le mal. »

Je frôlai son oreille en murmurant : « Et si c’est pour le mal, ce sera à moi d’agir. » Mes paroles la firent momentanément arrêter d’écrire.

« Oui, exactement. C’est ta mission, » dit-elle en plongeant son regard dans le mien, son expression aussi calme que ferme.

Je me détachai d’elle et me dirigeai vers l’évier pour boire un verre d’eau, jetant un coup d'œil à Jérémy, endormi paisiblement. C’est pour cela qu’il ne faut pas que je m'attache, pensai-je. Je devais toujours afficher un faux sourire, que ce soit en escortant quelqu'un ou lors des missions d'infiltration. Enfouir mes émotions avait toujours été plus simple pour accomplir mes objectifs.

Tout en me resservant de l'eau, je murmurai pour moi-même : « J'espère pour toi, Jérémy, que tu ne franchiras jamais la ligne... »

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