Chapitre 1.11 :Le poids du remède
Jérémy Chapi :
Les minutes passaient lentement, chaque détail s’inscrivant dans l’esprit des parents d’Elowen. Ce n’était pas une scène tirée d’un conte magique où tout se résolvait sans conséquences ; c’était une vérité crue, une science sans embellissements. Je les observais de temps à autre, voyant la peur et le doute se dessiner dans leurs yeux, mais aussi l’ombre d’une compréhension naissante.
La fin de la soirée fut empreinte de gravité, l’atmosphère pesante. J’expliquai que le remède avait des effets secondaires douloureux, que son administration nécessitait un choix éclairé. Tout cela n’était qu’un choix, difficile et incertain. Je savais qu’Elowen voulait convaincre ses parents d’accepter ce risque pour elle, mais je voulais aussi qu’ils aient une vision juste des sacrifices impliqués.
« Je vous laisse le temps d’y réfléchir, » dis-je doucement, jetant un regard vers Elowen qui me rendit un sourire fragile. « C’est une décision difficile, et elle doit être mûrement réfléchie. Vous pouvez me donner votre réponse d’ici la fin de la semaine. »
Avec cette vérité posée devant eux, je me levai pour les saluer, les remerciant pour cette soirée chaleureuse et ce repas partagé en leur compagnie. En quittant la maison, j'entamai une marche tranquille dans la fraîcheur nocturne, jusqu'à me poser sur un banc public qui offrait une vue imprenable sur la ville illuminée en contrebas. La lune, qui avait déjà progressé depuis mon arrivée, se trouvait maintenant au bord de disparaître derrière une montagne, plongeant peu à peu le paysage dans une pénombre apaisante.
Je repensai à la famille de Pavel, à cette soirée fort agréable qui éveillait en moi un désir latent : celui d'avoir moi aussi un jour une vie de famille simple et sincère. J’espérais que ce que je leur avais révélé ne les avait pas trop choqués, et qu’ils ne m'en voudraient pas d'avoir partagé avec eux un secret aussi lourd de conséquences.
Ces pensées faisaient peser un poids insoupçonné sur mes épaules. Leur raconter l'histoire du remède avait été plus difficile que prévu, ravivant une douleur lancinante dans mon bras gauche. Je sentis alors un liquide chaud me couler entre les doigts. Je baissai les yeux et découvris, surpris, que je m’étais inconsciemment gratté jusqu’au sang, laissant une tache rouge s’épanouir sur ma chemise blanche. La douleur était bien là, mais, étrangement, celle que je portais au cœur paraissait encore plus vive.
Avec un soupir, je sortis un mouchoir de ma poche et entrepris de nettoyer les traces de sang et les griffures sur mon bras, m'interrogeant sur la moralité de ce choix que j’avais imposé à la famille de Pavel. Quels en seraient les impacts pour eux ? Tant de questions se bousculaient dans mon esprit…
Je soupirai, perdu dans mes pensées, lorsque j’entendis un bruit imperceptible derrière moi. Avant même que je puisse réagir, une main glacée se posa fermement sur ma bouche, et la lame d'un couteau effleura la peau de mon cou. Le choc figea mes mouvements, mon cœur battant si fort que j’étais certain que l’inconnue pouvait l'entendre.
Mon assaillant me serrait la tête entre ses bras, m'empêchant de bouger. Je tentai de me débattre, mais la poigne était d’acier.
« Bouge encore, et je te tranche la gorge, » murmura une voix à mon oreille. Le timbre froid et menaçant de mon agresseur m’immobilisa. Je relâchai la pression de ma main contre son bras armé, tentant de calmer mon souffle et de me conformer à ses ordres, tandis que l’adrénaline affluait dans mes veines.
« La prochaine fois, appelle la voiture avant de sortir de la maison, mon mignon, » murmura-t-elle, retirant enfin la lame de ma gorge et relâchant ma bouche. Encore sous le choc, je tentai de reprendre mon souffle, le cœur battant à tout rompre. Vivian s’assit calmement à côté de moi sur le banc, vêtue d'une tenue de commando noire, son regard fixé sur le paysage comme si de rien n’était.
Je m’écartai instinctivement, encore sous l’effet de l’adrénaline. C’était donc elle ? Le danger évanoui, une vague de confusion et de colère mêlée s’empara de moi.
Vivian tourna la tête vers moi, un sourire énigmatique aux lèvres. « Je t’ai fait peur ? » demanda-t-elle sans détour, une étincelle d’amusement dans le regard, tandis que ses yeux revenaient à la vue nocturne
Je la fixai, tentant de comprendre. « Tu... as vraiment un drôle de sens de l'humour, » répondis-je, encore un peu tremblant. « Pourquoi faire ça ? »
Elle haussa les épaules, les yeux toujours rivés sur la ville illuminée en contrebas. « Il faut bien s’assurer que tu es sur tes gardes ai que des personne pourrais dans un futur proche de tuée, et… parfois, une petite frayeur remet les idées en place. On ne sait jamais qui peut rôder. »
Malgré moi, je lâchai un rire nerveux. « D’accord, mais la prochaine fois tu pourrais juste me le dire »
Vivian esquissa un sourire en coin, un brin moqueur. « Ce serait bien trop facile, » répliqua-t-elle avec un clin d’œil, le regard toujours fixé sur les lumières de la ville. « Et puis, si ça peut te rassurer, c’est aussi une façon de te préparer à ce qui pourrait arriver. La sécurité ici est relative, tu le sais. C’est Nana qui m’a envoyée pour veiller sur toi. »
Je soupirai, passant une main sur mon cou pour tenter d’en effacer l’impression glacée de la lame. « Tu penses vraiment qu’un couteau sous la gorge était nécessaire pour assurer ma sécurité ? »
Elle se tourna vers moi, les yeux devenus sérieux. « Je t’apprécie, Jérémy. Et c’est justement pour ça que je veux m’assurer que tu réalises ce qui t’attend. Certains n’hésiteront pas à aller au-delà des conseils, ils passeront directement aux menaces. »
Je la regardai en silence, prenant pleinement conscience de l’avertissement dans ses mots. Vivian n’avait pas simplement voulu me secouer, elle avait cherché à me faire comprendre quelque chose d’essentiel. « Très bien, message reçu. Mais… si possible, garde ton côté ‘instructeur commando’ pour d’autres occasions, d’accord ? »
Vivian éclata de rire, un rire franc qui résonna dans la nuit. « D’accord. Mais je ne promets rien ! Sinon, tu vas bien ? Tu as une mine affreuse, ou serait-ce le contrecoup de mon intervention musclée ? »
Je fis non de la tête en souriant légèrement. « Tu te rappelles que je vous ai parlé du remède ? »
Vivian haussa un sourcil, son sourire moqueur laissant place à une expression plus sérieuse. « Oui, bien sûr. Le fameux remède… » Elle marqua une pause, me scrutant avec attention, les yeux légèrement plissés.
Je détournai le regard, inspirant profondément avant de poursuivre. « Notre discussion dans l’avion m’a fait réaliser les conséquences que ce remède pourrait avoir sur le monde. Mais malgré tout, je reste convaincu qu’il faut le partager. Tant de gens espèrent être guéris, tant de vies pourraient être changées. »
Vivian resta silencieuse un moment, les yeux perdus dans le vide. Puis, d’une voix plus douce, elle reprit : « Alors, c’est pour ça que tu es ici, seul, à observer la ville, à te poser mille questions. » Elle posa une main réconfortante sur mon épaule. « Peut-être qu’il est temps de t’écouter vraiment, de savoir ce que toi, tu veux, au lieu de rester paralysé par la peur des conséquences. Parce que sinon… tu risques de ne jamais avancer. »
Je lui adressai un sourire, reconnaissant pour sa compréhension. « C’est un poids lourd à porter, Vivian. Parfois, je me demande vraiment où tout ça me mènera. »
Elle se leva, me donnant une tape sur l’épaule. « Allez, il est temps de rentrer. »
Elle se leva, me donnant une tape sur l’épaule. « Allez, il est temps de rentrer. »
Je me levai à mon tour, remarquant la voiture avec les militaires qui nous attendaient un peu plus loin. « Tu rentres avec moi ? » lui demandai-je en la regardant se diriger vers la voiture.
Elle esquissa un sourire en coin. « J’aurais bien voulu, mais après ta surveillance, j’ai encore un travail à faire, » répondit-elle, posant un doigt sur ses lèvres dans un geste mystérieux.
Je soupirai, un sourire amusé aux lèvres. « Je suppose que si je te demande ce que tu vas faire, tu ne vas pas me répondre ? »
« Exactement. Certaines choses, mieux vaut que tu les ignores… pour ta sécurité, » dit-elle en me tenant la porte de la voiture ouverte, m’invitant à monter.
Je m’installai dans la grande berline noire, jetant un dernier regard vers elle. « N’hésite pas à passer nous voir de temps en temps à l’entrepôt. »
Vivian me fit un clin d’œil amusé. « Je n’y manquerai pas, mon mignon. Passe une bonne soirée, » ajouta-t-elle avant de refermer la porte derrière moi, sa silhouette disparaissant rapidement dans la nuit.
Installé dans la voiture pour le retour à la base, je me rendis compte que je me sentais un peu plus détendu. Étonnamment, la discussion avec Vivian avait réussi à soulager mon esprit, malgré ses méthodes peu orthodoxes. Elle avait ce talent étrange de mettre en lumière des vérités que je préférais souvent éviter.
Une fois arrivé à l’entrepôt, je trouvai ma fille qui m’attendait. Son écran était fixé sur un véhicule télécommandé, roulant doucement vers moi pour m’accueillir. Mais son visage à l’écran trahissait une inquiétude que je ne pouvais ignorer.
« Papa, tu vas bien ? » me demanda-t-elle, ses traits virtuels affichant une légère anxiété.
Je déposai mon manteau et soupirai, sentant encore le poids des événements de la soirée. « Ça va, ma chérie, merci. J’ai croisé Vivian sur le chemin du retour, et j’ai pu discuter un peu avec elle. Ça m’a… apaisé, un peu. Mais toi, comment tu vas ? » lui demandai-je, esquissant un sourire pour la rassurer.
Iris sembla hésiter un instant avant de répondre, comme si elle cherchait les bons mots. « Tu sais… je n’aime pas cette partie de notre histoire. Ce jour-là, je me suis sentie… tellement impuissante. »
Elle s’arrêta brusquement, son regard se fixant sur ma chemise. Une large tâche sombre couvrait mon bras gauche, teintée de sang séché.
« Papa… ton bras… » s’exclama-t-elle, alarmée.
Je baissai les yeux et remarquai l’état de ma chemise. « Tout va bien, ma chérie, » répondis-je, en essayant de minimiser l’incident. « La plaie s’est refermée. Mais je crois que cette chemise est bonne à jeter maintenant. »
Je retirai la chemise, révélant la peau de mon bras gauche marquée par des hématomes et des griffures, résultat de ma négligence. Une cicatrice récente, courant jusqu’à une partie de mon abdomen, ajoutait à l’image déjà inquiétante.
Iris fronça les sourcils, son expression virtuelle affichant une sévérité presque maternelle. « Père, je t’en prie, fais plus attention à toi ! Tu sais bien que tu dois éviter tout contact physique dans des moments comme ça. »
Son ton, bien que ferme, était chargé d’une inquiétude sincère. Je baissai les yeux, honteux. « Je sais… » murmurais-je, avant d’ajouter : « Heureusement que les saignements s’étaient arrêtés quand Vivian est arrivée. »
Le moindre contact à ce moment-là aurait pu être désastreux. Cette pensée, bien que rapidement écartée, laissa une ombre de peur s’installer en moi. Mais je savais qu’Iris avait raison : je devais être plus vigilant. Pour elle. Pour moi. Et pour ceux que j’avais promis d’aider.
Le moindre contact à ce moment-là aurait pu être désastreux. Cette pensée, bien que rapidement écartée, laissa une ombre de peur s’installer en moi. Mais je savais qu’Iris avait raison : je devais être plus vigilant. Pour elle. Pour moi. Et pour ceux que j’avais promis d’aider.
Je pris le temps de passer sous la douche, laissant l’eau chaude couler sur ma peau comme pour emporter avec elle les soucis de cette journée éprouvante. Chaque goutte semblait laver un peu de la tension accumulée, me permettant enfin de respirer plus librement. Tout en me lavant, je tentais de chasser les images et pensées qui tournaient encore en boucle dans mon esprit. Ce moment de calme sous la douche était une rare échappatoire, un instant de répit dans un tourbillon incessant.
Après m’être séché, je rejoignis Iris, qui m’attendait avec une trousse de premiers soins posée près d’elle et ses nombreux bras robotiques prêts à intervenir. Le léger ronronnement des mécanismes m’apaisa presque, tant je m’étais habitué à cette extension de ses gestes.
Les bras se mirent en mouvement avec une précision quasi chirurgicale, déroulant les bandages et préparant tout le nécessaire. Je laissai ma fille prendre le contrôle, la regardant effectuer chaque étape avec une maîtrise impressionnante. Elle me fit un bandage soigneux autour de mon bras, recouvrant entièrement les blessures et les hématomes. Son sérieux et la douceur de ses gestes trahissaient une inquiétude qu’elle ne cherchait pas à dissimuler.
« Voilà, c’est fait, » déclara-t-elle, l’un de ses bras mécaniques ajustant la dernière couche pour s’assurer que tout était bien en place. « Comme ça, tu ne pourras plus t’acharner dessus. »
Je lui adressai un sourire reconnaissant, touché par son attention. « Merci, ma fille. C’est parfait. »
« Et ça masquera aussi les stigmates, » ajouta-t-elle, ses yeux se levant pour croiser les miens. Son ton, bien que calme, portait une note de reproche implicite. Elle s’inquiétait, je le savais, mais elle n’en disait pas plus.
Une fois cela terminé, je me dirigeai vers ma chambre. Le lit m’appelait, et je ne pouvais ignorer l’épuisement qui alourdissait mes membres. Je m’allongeai, les pensées encore tournées vers la semaine qui m’attendait : une routine exigeante de formations, de simulations, et de préparation pour la confrontation imminente avec les politiciens lors de cette réunion décisive.
Je fermai les yeux, tentant de calmer les tumultes dans mon esprit. Une nouvelle journée m’attendait, avec son lot de défis et de responsabilités. Mais pour l’instant, je devais me reposer, ne serait-ce que pour quelques heures.
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