Chapitre 1.9: Formation

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Jeremy Chapi:

Je m’éveillai, encore engourdi par un sommeil profond. Ce réveil brutal m’avait arraché à un rêve agréable, et d’un pas lourd, je me dirigeai vers la salle de bain. Une bonne douche bien chaude et un café fort achevèrent de me réveiller complètement. En sortant de la cuisine, j’aperçus ma fille qui, elle aussi, se réveillait, encore un peu ensommeillée sur son futon.

« Coucou, ma fille. Tu as bien dormi ? » demandai-je en observant ses cheveux couleur améthyste, ébouriffés et partant dans tous les sens.

Elle hocha la tête avec un sourire. « Oui, comme un loir, mais j’avoue que je ne dirais pas non à quelques minutes de plus… » Elle s’étira, baillant largement, et, comme toujours, son bâillement m’entraîna à en faire de même, un réflexe qui nous fit sourire.

Je jetai un coup d'œil à la montre et lançai, avec un rire moqueur : « Bon, je vais y aller. J’espère revenir en vie, ah ah ! »

« Je l’espère bien, sinon je fais exploser leur base, » répondit-elle sur un ton d'humour noir qui, venant d’elle, m’amusa.

Je lui souris. « De ton côté, tu t’occupes de Séraphina et de Daniel. Ils vont sûrement essayer de créer des anneaux célestes. Fais bien attention à leurs essais. »

« Pas de souci, » répondit-elle en secouant la tête. « Je serai là pour les consoler quand ils verront que ça ne marche pas… mais si, par miracle, ils y parviennent, ce serait risqué pour nous, non ? »

Je me rendis dans ma chambre pour enfiler le costume qu’on m’avait apporté. « Honnêtement, il y a peu de chances. Et puis, si jamais ils réussissent, cela pourrait bien me soulager d’un peu de travail, on verra bien ce que l’avenir nous réserve. » J’apparus, tiré à quatre épingles, tout en bleu foncé avec une chemise blanche, le gilet et le pantalon assortis à la veste. Seule la cravate rouge, que j’essayais toujours de nouer correctement, manquait encore.

« Wow, papa, tu es magnifique comme ça ! » lança-t-elle, ses yeux pétillant d’étoiles d’admiration.

« Oh, je t’en prie… c’est déjà assez gênant de devoir porter ce costume de pingouin. En plus, mes rondeurs ressortent un peu, non ? » avouai-je, légèrement embarrassé par l’allure formelle qui ne m’était pas habituelle.

« Mais non, papa, ne t’inquiète pas pour ça. Ça te va vraiment très bien, je t’assure, » dit-elle avec un regard profond et sincère qui me rassura.

Je récupérai la tablette posée sur l’établi et lui adressai un sourire d’au revoir. « Bon, je vais y aller, alors. Passe une bonne journée, on reste en contact sur la tablette. »

« Oui, bon courage à toi, père. Bisou ! »

« Bisou, ma fille chérie, » répondis-je, et je quittai l’entrepôt, prêt à affronter cette nouvelle journée.

En remontant le couloir en direction de l’ascenseur, je me dirigeai vers le bureau de Natali. Je m’étais plutôt bien habitué à cette vie sous terre, où tout était réglé par le rythme artificiel de l’éclairage de la base. La lumière variait au fil de la journée pour imiter la course du soleil, s’assombrissant légèrement la nuit. Malgré tout, j’avais pris l’habitude de sortir de temps en temps pour prendre l’air, car même si l’ambiance souterraine était confortable, l’air recyclé finissait par devenir oppressant.

Avec du recul, je réalisais à quel point cet endroit ressemblait à un abri antiatomique. Je n’avais sans doute exploré qu’une infime partie de cette base, mais tous les couloirs et étages semblaient uniformes, presque interchangeables, renforçant ce sentiment d’enfermement sécurisé.

Je finis par arriver devant le bureau de Natali. Inspirant un bon coup, je toquai à la porte.

« Entrez, » lança sa voix, étouffée par la porte.

« Bonjour, Natali, comment allez-vous ? » dis-je en entrant. Derrière son bureau, elle s'affairait sur une pile de papiers.

« Bonjour, je vais très bien, merci. J’espère que vous êtes prêt, » répondit-elle sans détour.

« Je n’ai pas vraiment le choix, j’ai l’impression, » répondis-je en m’installant dans la chaise qu’elle me désignait d’un geste de la main, tandis qu’elle écartait les documents devant elle.

« Dans une semaine, vous serez à New York pour passer devant l’ONU. Là-bas, attendez-vous à être questionné sur votre présence en Atlantide et sur l’avenir que vous envisagez pour le monde. À ce jour, personne en dehors de ce pays n’est au courant de votre demande de création d’une nation indépendante. »

« Et donc je vais devoir me préparer à tout cela ? »

« Exactement. Et plus encore. Vous devrez être irréprochable, » dit-elle en se levant pour contourner le bureau et venir vers moi. « Tenez-vous droit… et où est passée votre cravate ? » Je me levai, sortant la cravate que j’avais glissée dans la poche de mon pantalon, et la lui tendis.

« Sachez une chose, » commença-t-elle en ajustant la cravate autour de mon cou. « La politique est remplie de monstres prêts à vous dévorer. Quand vous serez face à eux, ils analyseront soigneusement chaque détail, votre démarche, votre gestuelle, votre façon de parler. » Je l’écoutais attentivement, prenant conscience du poids de ses paroles. « Soyons clairs, » continua-t-elle tout en resserrant un peu trop le nœud de la cravate autour de mon cou. « Je ne ferai pas de miracle, mais je peux au moins réduire les apparences négatives que vous pourriez renvoyer. »Je savais que je n’étais pas fait pour ce genre de choses, mais j’avais l’impression que Natali n’allait pas vraiment me laisser le choix.

Elle recula d’un pas, s’adossant à son bureau, et me fixa avec un regard à la fois sérieux et intransigeant.

« Redressez-vous, relevez les épaules. Vous devez dégager une présence pleine de confiance. » J’écoutais attentivement, essayant de m’imprégner de chaque conseil qu’elle donnait.

« Écoutez, je comprends ce que vous essayez de faire, mais… »

« Il n’y a pas de "mais" qui tienne, » répondit-elle fermement. « Si vous voulez vraiment faire évoluer ce monde comme vous le dites, il va falloir que vous donniez de votre personne pour atteindre cet objectif. » Son ton ne laissait aucune place à l’objection. « À partir de maintenant, vous allez passer chaque jour avec moi jusqu’à votre passage devant l’ONU. »

Je la regardai, un peu déconcerté par cette détermination. Je sentais que ces sessions n’allaient pas être de tout repos, mais quelque part, j'étais prêt à relever le défi.

« Vos mains, » reprit-elle d’une voix stricte, « en aucun cas vous ne devez les garder dans vos poches. Gardez-les le long du corps ou prêtes à serrer celle de vos interlocuteurs quand on vous y invite. »

Je me redressai encore, me sentant presque ridiculement raide. C’est alors qu’elle attrapa ma main gauche pour l’élever à la hauteur de son visage, ses yeux se plissant légèrement en remarquant quelque chose.

« Qu’avez-vous au poignet ? » demanda-t-elle en inspectant la zone. En relevant mon bras, la veste et la chemise se tendirent, révélant un hématome qui couvrait une bonne partie de mon avant-bras.

« Ce n’est rien, » répondis-je, un peu crispé par la douleur de la chemise contre la peau sensible. « Juste une petite blessure survenue lors des travaux. »

Elle fronça les sourcils en examinant l’hématome, un air soucieux sur le visage. « Seraphina ne m’a pas informée de cela. » Elle inspecta mon bras un instant de plus avant de conclure : « Vous irez à l’infirmerie après cette session, et si cette marque persiste pour la réunion à l’ONU, il faudra la masquer pour éviter toute interprétation. »

Je remis ma veste en place et ajustai ma chemise sur mon bras alors que la formation continuait. Elle ne cessait de m’évaluer, analysant ma façon de m’asseoir, de disposer mes mains quand je ne savais pas quoi en faire, et même la posture que je devais adopter devant un pupitre. Elle corrigeait mes mouvements, m’avertissant de ceux à éviter, surtout ceux qui pouvaient suggérer une posture religieuse ou militaire.

Ma patience commençait à s’épuiser, et Natali semblait le remarquer, ses yeux observateurs ne me lâchant pas un instant. Je soupçonnais même qu’elle poussait volontairement le niveau d’exigence pour tester ma résistance.

« Bien, nous approchons de l’heure du déjeuner. Nous allons nous rendre au réfectoire, et je vais vous montrer comment vous comporter correctement à table. »

Elle dut voir la déception s’afficher un instant sur mon visage. J’avais espéré me détendre un peu au cours du repas, mais je compris rapidement qu’il n’en serait rien.

Nous nous dirigeâmes vers le réfectoire, où une table magnifiquement ornée nous était réservée dans un coin. Je remarquai les regards des militaires présents, ce qui me mit légèrement mal à l’aise. Daniel, Seraphina, et même ma fille étaient absents, ce qui rendait l’endroit étrangement silencieux.

Le réfectoire était spacieux, principalement constitué de buffets bien fournis pour satisfaire tous les goûts, avec un large choix d’entrées et de desserts. Pour le plat principal, trois options étaient préparées sur place par un chef. Plus d’une centaine de tables étaient réparties dans cette grande salle.

En arrivant devant notre table, Natali me fit signe de l’installer sur sa chaise en suivant les règles de galanterie, m’expliquant que la courtoisie à table était essentielle. Elle ne laissait aucun détail de côté, et même si certaines règles me paraissaient complexes, le pire fut la disposition des couverts.

Je contemplais la table avec perplexité : une quinzaine de couverts et de verres différents étaient soigneusement alignés devant moi. Cela me donnait l’impression de faire face à un tableau de bord du Liberty, mais encore plus compliqué. On nous apporta l’entrée, un assortiment de petites verrines magnifiquement disposées et colorées.

« Comprenez bien les règles de bienséance à table, » expliqua Natali d’un ton sérieux. « Même durant un repas, vous devez dégager une bonne image. » Elle s’arrêta un instant, semblant réfléchir, avant d’ajouter : « Voyez ces couverts comme des outils. Peut-être que cela vous aidera à mieux vous repérer. »

Elle continua à m’expliquer, avec une précision presque chirurgicale, l’usage de chaque couvert, la manière de tenir les verres et même l’art de porter un toast ou de boire. Bien que le repas soit délicieux et préparé avec soin, je devais admettre que cette rigueur constante en diminuait légèrement le goût.

Je ne pouvais m’empêcher de remarquer à quel point Natali incarnait ce qu’elle m’enseignait. Elle effectuait chaque geste avec une précision et une grâce naturelle, presque fascinante. Mes yeux s’attardèrent sur elle alors qu’elle prenait une bouchée de sa tarte tatin, ses mouvements soigneusement mesurés, sa bouche se refermant avec délicatesse autour de la fourchette. Ses yeux d’un bleu profond, semblables à un océan dans lequel on pourrait se perdre, et ses cheveux bruns soyeux ajoutaient à cette impression de poupée de porcelaine vivante.

Perdu dans mes pensées, je fus pris au dépourvu lorsqu’elle leva les yeux vers moi, me fixant calmement. Je détournai le regard, pris de court, les joues légèrement rouges.

Elle s’essuya soigneusement la bouche, puis déclara avec une voix douce mais ferme : « Je vous prierais d’éviter de dévisager les gens pendant un repas. »

« Désolé, » balbutiai-je, embarrassé.

La journée avait été longue. Après le repas, Natali m’avait fait passer une série de simulations de questions qu’on pourrait me poser lors de l'Assemblée générale de l'ONU. Ce n’est qu'aux alentours de 17 heures qu’elle m’avait finalement relâché, juste au moment où mon agacement devenait palpable. Malgré tout, elle m'accompagna jusqu’à mon entrepôt, un sourire presque amusé sur les lèvres.

Je lui envoyai un message pour prévenir Iris de mon retour, mais elle me répondit simplement de prendre mon temps, ce qui m'intrigua. Normalement, elle me donnait toujours des nouvelles sur l’atelier et sur ce qu’elle y faisait.

« Vous vous en êtes plutôt bien sorti pour une première journée, » déclara Natali en marchant à mes côtés.

« Vous dites ça pour me motiver, » répondis-je en tentant un sourire fatigué.

« Non, je suis sincère, mais il reste encore du travail, bien sûr, » dit-elle en hochant la tête avec un air de sérieux qui la rendait presque intimidante.

Alors que nous arrivions enfin devant la porte de l'entrepôt, je m’apprêtais à la remercier et à savourer un instant de calme dans mon atelier. « Merci pour tout, mais je dois avouer que j’ai hâte de retrouver mon... »

Je n’eus pas le temps de finir ma phrase. La porte s’ouvrit, révélant un véritable champ de bataille : des flammes crépitaient ici et là, des morceaux de métal en fusion s’étaient figés en flaques rougeoyantes sur le sol, et la machinerie centrale était partiellement fondue. Seraphina et Daniel étaient chacun armés d'un extincteur, tentant tant bien que mal d’éteindre ce qui ressemblait à une explosion d’atelier.

Natali leva un sourcil, un sourire amusé commençant à se dessiner sur son visage. Elle tourna aussitôt les talons, m’accordant un regard où transparaissait un début de rire qu’elle ne chercha même pas à dissimuler. « Eh bien, il semblerait que vous ayez un peu de travail ici aussi. Bon courage ! »

Je restai figé, les bras ballants, à contempler le désastre devant moi. Pour quelqu'un qui avait passé la journée à se faire enseigner la droiture et la discipline, cette scène de chaos était presque trop ironique.

Ma fille Iris s’approcha de moi avec un sourire innocent. « Salut, Papa ! Ta journée s’est bien passée ? » demanda-t-elle d’une voix enjouée, comme si de rien n’était.

Je me frottai le front en soupirant, tentant de dissiper l'image de la dévastation devant moi. « Disons que, malgré la fatigue, je pense avoir passé une meilleure journée que vous... » lui répondis-je, entre lassitude et amusement.

Elle se tortilla un peu, tapotant ses index l’un contre l’autre d’un air gêné. « Eh bien... disons qu’ils ont voulu essayer... et voilà le résultat, » dit-elle, avec une expression qui semblait demander à la fois pardon et indulgence.

Je secouai la tête en riant doucement malgré moi. « Très bien. Je vais juste m’allonger deux minutes, et je viendrai vous aider après. »

Après cette journée interminable, je pris le chemin de ma chambre et m’affalai sur le lit. Les yeux fermés, je laissai la fatigue m’emporter, savourant enfin un court instant de calme avant de replonger dans le tumulte de mon quotidien.

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