La Bête

6 minutes de lecture

Il était une (première) fois, un prince beau, vaniteux et tellement sûr de lui qu’il en devenait pénible. Il avait tout vu, tout fait. Il était blasé, rien ne l’intéressait. Il s’ennuyait dans son château, isolé dans la forêt :

  • Mon Prince, vous venez faire du cheval ?
  • Non, je l’ai déjà fait !
  • À la chasse alors ?
  • Non, je l’ai déjà fait aussi !
  • Vous voulez faire la sieste peut-être ?
  • Non, ça aussi, je l’ai déjà fait !

Vous imaginez sa lippe en disant ça ? Nan, je l’ai déééjà faaaait. Mais quel abruti, franchement, un type absolument invivable.

  • On va voir les pauvres et leur faire la charité ?
  • Non, je l’ai déjà fait
  • Vous voulez aller aux péripatéticiennes ?
  • Aux quoi ?

Oui, il n’avait en plus pas beaucoup de vocabulaire… Rien pour lui, je vous dis, à part sa beauté. Mais comme on dit, la beauté, ça ne se mange pas sur une tartine… On dit ça vraiment ? Je crois, j’en sais rien…

  • Aux putes ?
  • Non, ça aussi, je l’ai déjà fait !
  • Pffff...
  • Pardon ?
  • Je me mouchais…
  • Ah bon, j’ai cru que tu soupirais, page…
  • Oh non, mon Prince, je ne me permettrais pas de soupirer en votre présence !
  • Je préfère parce que je pourrais aller te châtier…
  • Ça vous l’avez déjà fait aussi.
  • Oui, mais j’aime bien !

Tout d’un coup, on entendit frapper à la porte :

  • Mais qui frappe donc ?
  • J’en sais rien, mon Prince…
  • Alors va ouvrir, bougre d’âne bâté.
  • Oui mon Prince, tout de suite.

Quelques instants passèrent.

  • Alors, c’est qui ?
  • C’est pour vous, mon Prince.
  • Mais qui est-ce donc ?
  • Une vieille dame qui demande la charité.
  • Donne-lui donc une pièce, de ta bourse à toi !
  • Je ne peux pas, mon Prince…
  • Et pourquoi donc, je te prie ?
  • C’est à vous qu’elle demande la charité.
  • Ho, toi, moi, c’est pareil, non ?
  • Euh... pas tout à fait quand même et puis c’est vous qu’elle veut voir, mon Prince.

Un peu énervé, le Prince se dirigea vers la porte et vit la vieille dame.

  • Mais c’est une vieille dame !
  • Ben, c’est ce que je vous ai dit…
  • Elle veut quoi, cette vieille moche ?
  • La charité, mon bon Prince, fit-elle en tendant la main.
  • La charité, la charité, vous n’avez que ce mot à la bouche, vous autres les pauvres, allez donc travailler au lieu de venir faire chier les riches quand même !

Il essaya de refermer la porte, mais elle insistait la bougresse et glissa son pied dans l’entrebâillement.

  • La charité, mon bon Prince, s’il vous plait…
  • Mais c’est qu’elle insiste la bougresse !

J’ai pas déjà écrit ça, moi ?

  • La charité mon bon Prince, vous êtes si beau.

À ces mots, ne se sentant plus de joie, il ouvrit un large bec… Euh non, désolé, c’est une autre histoire…

  • La flatterie ne marche pas, petite vieille ! Je sais en plus que tu n’en penses pas un mot ! Tu n’en veux qu’à mon argent ! Allez ouste, Page, débarrasse-moi d’elle !
  • Oui, mon Prince.

Le page essaya de refermer la porte, mais il y avait toujours le pied coincé dedans.

  • Je ne peux pas mon Prince, elle a son pied qui m’empêche de fermer la porte.
  • Oh mais quel empoté !

Il sortit son épée et, d’un seul mouvement, il coupa le bout du pied qui gênait la fermeture. Il poussa la porte d’un grand coup et celle-ci se referma.

  • Tu vois, c’était quand même pas compliqué ?
  • Non, mon Prince.

Dehors, la petite vieille agonisait d’injures la maison du Prince. À l’intérieur, on ne comprenait rien de ses paroles mais on entendait bien sa colère.

  • Qu’est-ce qu’elle dit, Page ?
  • Je ne sais pas mon Prince
  • Approche-toi de la porte bougre d’imbécile et dis-moi ce que tu entends.

Le page s’approcha et colla son oreille contre la porte.

  • Houlà, elle n’est pas contente !
  • Ça j’ai bien compris mais que dit-elle ?
  • Elle dit qu’elle vous maudit…
  • Pffff, j’m’en fous !
  • Elle dit que votre beauté va se faner et que vous allez devenir moche…
  • Moi, moche ? Pas possible ! Je suis beau !
  • Elle dit que vous allez faire peur à tout le monde, que vous allez devenir une bête !
  • Une bête ? Vraiment ? Nan, j’y crois pas !

Le page se tourna vers son Prince :

  • Oh mais mon Prince… que faites-vous avec vos cheveux ?
  • Mais rien, pourquoi ?
  • Ils poussent, ils poussent très, très vite…
  • Mais que dis-tu ?
  • Et votre tête ? Votre nez ? On dirait une bête…. Au secours !

Le page s’enfuit en hurlant se réfugier aux cuisines.

Le Prince porta les mains sur son visage et sentit qu’une épaisse toison poussait. Pas une once de peau nue, des poils partout. Son nez se transformait en museau, Il se transformait bel et bien en bête. Il chercha un miroir et en s’apercevant, il tomba dans les pommes. Il n’était plus un beau Prince, juste une bête. La Bête.

Quand il se réveilla, il vit le visage de la vieille juste au-dessus du sien :

  • Tu es à l’extérieur comme tu es à l’intérieur maintenant
  • Mais, mais, ça veut dire quoi ?

Je vous avais dit qu’il n’était pas très fin, juste beau, non ? Les princes sont souvent comme ça dans mes histoires…

  • Ça veut dire que tu es tellement laid, méchant, égoïste, vaniteux à l’intérieur que tu as l’apparence d’une bête maintenant.

Avouez que ce n’est pas très sympa pour les bêtes, mais le parti animaliste n’existait pas encore à cette époque. Les pauvres bêtes étaient bien seules.

  • Ça veut dire que je vais rester comme ça… Tout le temps ?
  • Non, pas tout le temps, je suis dure mais pas cruelle.
  • Un petit peu quand même, moi qui étais si beau…
  • Ce n’était que de la poudre aux yeux, tu as toujours été laid à l’intérieur !
  • Oui, ça va, j’ai compris, alors… combien de temps ?
  • Un certain temps, fit la vieille avec un sourire.
  • Un certain temps, genre, demain, je me réveille et ce n’est plus qu’un mauvais souvenir ?
  • Oh non, mon joli, il faudra que tu changes…

Elle était plete d'humour, cette vieille fée (car oui, c'en était une, vous vous en doutiez, non ?)

  • Comment ça, que je change ? C’est vous qui m’avez changé !
  • Non, j’ai juste mis en cohérence ton aspect extérieur avec ta laideur intérieure ...
  • Ça ne répond pas à ma question.
  • Ben si, justement.
  • J’ai mal au crâne moi… Mais qu’est-ce que c’est que tous ces poils ?
  • C’est ta tête maintenant, La Bête !
  • Alors combien de temps ? S’il vous plait, je demande à mon page de vous donner une pièce et on n’en parle plus. J’ai retenu la leçon.
  • C’est trop tard mon garçon, il faudra que tu changes.
  • Mais je n’ai pas ce pouvoir de changer mon apparence !
  • Si, si.
  • Mais comment ?

Je vous avais dit qu’il ne comprenait pas vite…

  • Change à l’intérieur et ton apparence changera !

Sur ces mots, la vieille fée se leva (il était temps, elle commençait à avoir mal aux genoux) et disparut.

- Eh ben, chuis pas dans la merde, moi… Avec l’autre page qui s’est tiré en plus. Je vais être obligé de faire mes repas moi-même…

Il se releva et marchait lentement dans sa maison quand il croisa son image dans un miroir et sursauta :

  • Mince, je me fais peur à moi-même… je ne m’y ferai jamais.

Il fit le tour de la maison et brisa tous les miroirs et jeta tout ce qui pouvait, même par inadvertance, lui renvoyer son image. Il s’enferma dans son château et commença une longue période de réclusion. Il ne sortait que pour s’occuper des roses de son jardin. C’était la seule occupation qui l’empêchait de se morfondre.

On l’entendait gémir (sur son sort) derrière les murailles de son château. On l’entendait de très loin. Les gens des villages voisins essayèrent bien de le chasser. Ils se rassemblèrent en armes et se dirigèrent vers la demeure de la Bête, décidés à en finir avec ces cris horribles qui les empêchaient de dormir toutes les nuits. Quand ils approchèrent, leur enthousiasme initial décrut… Ils avançaient prudemment. Quand tout à coup :

  • Vous cherchez quelque chose, messieurs ? gronda la bête, les toisant de toute sa stature.

Sans demander leur reste, ils détalèrent comme des lapins. On ne les vit plus jamais tenter quoi que ce soit contre cette bête.

  • Elle mesure quatre mètres de haut
  • Elle a huit bras avec des griffes immenses au bout des doigts
  • Elle sent aussi mauvais que les pieds du maitre charpentier (c’était une sacré référence, ça)

Bref, le monstre pour faire peur aux enfants était né, pas besoin de chercher plus loin…

Heureusement pour lui, son page avait fini par revenir mais il se contentait de remplir le frigo, point final

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 10 versions.

Vous aimez lire Fred Larsen ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0