J'ai rien fait... ou presque !
Je savais que j’aurais pas dû passer par là ! J’me suis fait choper à cause de ce foutu feu de stop. Moi qui voulais juste cramer la bagnole dans la foret de Belleville avec la vioque dedans, me v’là chez les condés plus tôt que prévu. Forcément, ils m’auraient interrogé mais j’avais un alibi en béton (qui doit encore être en train de comater dans mon canap’). Maintenant, faut que j’la joue finement.
— Bonjour. Je suis l’inspecteur Hank Heyteur. Vous êtes dans une situation embarrassante monsieur Ouzi. Je récapitule… suite à un contrôle routier sur la N27, hier soir à 23h25, le procès-verbal fait état de la découverte d’un cadavre dans votre coffre.
Et d’un feu de stop défectueux !
— Ce n’est pas le mien, monsieur l’inspecteur.
— Ne me prenez pas pour un imbécile. Je sais bien que ce n’est pas votre cadavre puisque vous êtes ici. Et bien vivant apparemment.
M'a pas l’air très futé ce flic…Y’a moyen de s’marrer un peu !
— Je voulais dire que ce n’est pas mon coffre.
— C’est bien votre voiture ?
— Techniquement, oui… mais non. C’était la première fois que je la conduisais.
— Les papiers montrent que vous en êtes propriétaire depuis cinq ans.
— Oui.
— Alors, qui la conduisait auparavant. Votre épouse ? Un de vos enfants ?
— Je suis célibataire sans enfant, monsieur l’inspecteur.
Ou alors un ou deux qu’on m’a pas d’mandé de r’connaitre.
— Ça ne répond pas à ma question. Qui conduisait cette voiture avant vous ?
— Maggy Bolle.
— Continuez à vous payer ma tête et ça vous coutera cher. Je répète… Qui conduisait cette voiture ?
— Maggy Bolle.
— Etes-vous suivi pour des problèmes psychiatriques, monsieur Ouzi ?
Plus maintenant, l’HP m’cherche encore !
— Non.
— Je vais me montrer patient et vous demander une dernière fois : qui conduisait cette voiture ?
— Maggy Bolle.
— Si c’est votre guibole qui conduisait, c’était donc vous.
Gratiné le keuf !
— Non. C’était madame Maggy Bolle.
— Et qui est cette madame Bolle ?
— Le cadavre.
— Comment pouvait-elle conduire puisqu’elle est dans votre coffre en train de servir de buffet à volonté pour les asticots ?
On touche le fond !
— Madame Bolle m’a cédé la voiture il y a cinq ans mais elle en avait l’usufruit jusqu’à sa mort.
— Ce qui est chose faite visiblement. Pourquoi lui en avez-vous laissé l’usufruit ?
— J’ai acheté sa maison et tout ce qu’elle contient en viager, y compris la voiture.
— Tiens, tiens… un viager… donc, aujourd’hui, vous récupérez la maison et le véhicule. Quelle chance que madame Bolle soit décédée. Cinq ans… c’est plutôt une bonne affaire pour vous. Je crois qu’il va vous falloir un avocat.
Tu parles que c’est une bonne affaire ! Ça aurait pu me couter vachement plus. C’est qu’elle tenait bon la rampe la vieille. Pas de tension, pas de cholestérol ni de diabète, et même pas de cataracte.
— C’est gentil mais je n’ai pas faim.
— Vous le faites exprès ou vous êtes déb… intellectuellement limité ?
Nan, ch’uis HPI trouduc !
— Je vous assure, monsieur l’inspecteur, que je n’ai rien fait. Je venais justement signaler sa disparition et j’ai découvert son cadavre en même temps que les policiers.
— Vous expliquerez ça au juge. J’ai une autre question pour vous : quand avez-vous Maggy Bolle pour la dernière fois ?
Y m’tend la perche là…
— Jamais, monsieur l’inspecteur. Je ne vous connaissais pas avant aujourd’hui.
— Oh bon sang ! Quand avez-vous vu madame Bolle pour la dernière fois ?
— Il y a dix jours. Elle m’avait demandé de venir l’après-midi pour l’aider à faire du tri dans le cabanon du jardin. Depuis le temps qu’on se connaissait, j’étais un peu devenu son homme à tout faire.
— Et… ?
— Finalement, je me suis occupé de la cabane tout seul parce qu’elle a décidé que le garage et la voiture devaient être nettoyés. C’est qu’elle était maniaque, Maggy ! Elle frottait les coins et les recoins.
Et elle s’arrêtait jamais !
— Que s’est-il passé ensuite ?
— Rien. Quand j’ai eu fini, je ne l’ai trouvée ni dans le garage, ni dans la maison. Alors j’ai pensé qu’elle était descendue au village pour faire une course.
— À pied ? Sans vous prévenir ?
— Elle perdait un peu la boule.
— Qu’avez-vous fait ensuite ?
— J’ai soigneusement fermé le cabanon, la maison et le garage. Ah, et le coffre du break aussi. Il était resté entrouvert.
— Est-ce qu’elle aurait pu s’y trouver ?
— Ah non, elle n’était ni dans le cabanon, ni dans la maison, ni dans le garage.
— Et dans le coffre ?
Oh oui qu’elle y était ! Elle a braillé comme une truie quand j’lai bouclé.
— Je n’ai pas regardé, monsieur l’inspecteur. Vous savez, ces voitures modernes, elles se verrouillent par télécommande. Même le coffre se ferme tout seul.
Tiens, v’là du renfort.
— Chef, nous venons de recevoir un appel du légiste. La victime est décédée d’une crise cardiaque. Il est formel.
Ah bah tu m’étonnes !
— Il a également signalé qu’elle avait de nombreuses traces de nettoyant à moquette sur ses vêtements, sa peau et dans ses poumons. Aucune preuve que quelqu’un ait attenté à sa vie.
— En effet, je doute que notre cher ami ici présent soit assez dégourdi pour ça.
Dans l’mille m’sieur l’inspecteur. J’ai rien fait… ou presque !

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