3.4 - Flint et Gabriel

5 minutes de lecture

— Je constate que vos protégés ne sont pas ici aujourd’hui. Sont-ils en classe ? demanda Nash lorsqu’il entra au réfectoire de l’église, en compagnie du prêtre.

— Oh, ne vous en faites pas pour eux. Ils sont dans les bois, avec Sœur Agnès et Sœur Louisa. Elles ont toutes deux décidé d’aller cueillir des champignons avec eux. Ils sont accompagnés par quelques brigadiers.

— Voilà qui est très généreux de leur part.

— Il faut bien que nous tenions ces gamins occupés, les pauvres ! Cependant, je suis fier de notre grande et belle communauté d’avoir pris en main ces pauvres brebis égarées. Nous espérons que leurs parents, peu importe où ils se trouvent, soient fiers de leurs nombreux accomplissements ! J’imagine qu’Athéna veille sur eux…

À ces paroles, Nash hocha la tête.

— Si je n’étais pas si occupé avec mon boulot de protéger les rues durant la nuit, j’aurais aimé adopter l’un d’entre eux, formula-t-il. Malheureusement, je ne peux pas me proposer pour l’adoption. J’en suis sincèrement désolé.

— Ne vous en faites pas ! Les brigades sont très importantes, après tout.

Le Père Shalom, en soutane brune, s’avança près d’un poêle électrisé où il avait fait bouillir de l’eau, un instant plus tôt. Il vida le liquide de sa théière dans une tasse en céramique qu’on lui avait offerte en cadeau. Il mit cette dernière dans une petite assiette avec une pochette de thé qu’il passa par la suite à Nash. Après, il se servit.

Lorsqu’il eut terminé de préparer sa boisson, il partit rejoindre le capitaine à table, avec une soucoupe remplie de biscuits.

— Au fait, Nash… commenta le prêtre. La proposition que vous m’avez faite il y a un mois tient toujours. Nous serions prêts à marier Flint et Gabriel…

Le capitaine haussa un sourcil, intéressé par ce qu’il lui disait.

— Cependant, vous savez mieux que moi que les préjugés de certaines personnes sont toujours d’actualités, dit-il. Il y a des siècles de cela que nous tentons d’abolir la haine envers les minorités… Mais les traditions de l’ancien royaume semblent se perpétuer à travers la descendance de nos ancêtres… C’est triste, car je crains que l’homosexualité ne soit pas bien vue publiquement. Je vous propose donc de les marier dans une réception privée, si vous le voulez bien.

— C’est en effet ce qui serait le mieux pour eux, déclara le capitaine. Notre religion n’a jamais empêché les mariages de même sexe, après tout.

— Certes, mais il y a longtemps qu’un couple, tel que celui de Flint et Gabriel, ait osé s’afficher en public. Normalement, ils se cachent des préjugés et de la haine…

— C’est ce que vous croyez, Père, mais il m’arrive d’en croiser durant mes missions. Ils vivent ensemble sans même être mariés.

Le Père Shalom regarda son ami et afficha une expression à la fois choquée et désorientée.

— Vous m’en voyez navré, dit-il, avant de prendre une gorgée de son thé. La déesse aime tous ses enfants, sans discrimination. Il serait bien qu’ils en fassent autant pour Elle.

Nash comprenait l’inquiétude du prêtre, mais préférait ne rien ajouter à ce sujet. Il sirota son thé en silence, tout en se demandant comment se déroulait le pèlerinage de sa nièce. Il se dit qu’elle devait être en sûreté. Après avoir terminé sa tasse de thé, il se leva, serra la main du prêtre et lui offrit quelques piécettes en gage de charité. Le religieux, humblement, le remercia, et se leva pour lui offrir un sac à papier, afin de lui donner les restes de biscuits.

Ce fut à cet instant que Nash déglutit. Il savait qu’il était temps pour lui de partir, mais se souvint pourquoi il avait d’abord voulu venir voir le religieux.

— Père Shalom… avoua-t-il, d’un air grave. J’ai… j’ai presque fait une rechute… Tantôt. Je… Je suis désolé… Voilà pourquoi je suis ici.

Le prêtre n’était pas sûr de comprendre. Une rechute ? Mais de quoi ? Il se faisait vieux et oubliait souvent certaines expressions des jeunes gens.

— J’ai trouvé un flacon de whisky dans l’une de mes poches, après la rencontre avec les autres brigadiers… et je… j’ai voulu… en boire quelques gorgées pour me changer les idées… mais j’ai tout jeté à la poubelle.

— Oh ! s’exclama son interlocuteur, étonné. Je vois… Vous êtes pourtant sobre, non ? Depuis combien de temps ?

— Depuis près d’un mois, maintenant. Vous étiez à ma première rencontre des alcooliques anonymes… Vous ne vous en souvenez pas ?

Le Père Shalom était un vieil habitué de ces rencontres. Il y allait souvent pour entendre les paroles des gens qui avaient besoin de son soutien.

— Si, si… pardonnez-moi, mon jeune ami, dit-il. Ma mémoire déraille avec l’âge. Ne vous en faites pas. La déesse est là pour veiller sur vous et votre vice. Un mois, c’est déjà tout un exploit ! En avez-vous parlé à votre frère ?

— Pas encore… mais je compte le faire. Il est mon parrain des A. A., après tout.

Le vieil homme plissa des yeux et s’approcha de Nash avec d’autres biscuits qu’il lui tendit. Il souhaitait lui en offrir d’autres. Il se sentait mal à l’aise à l’idée de laisser celui-ci partir maintenant, alors qu’il avait besoin de se confier.

— Est-ce vraiment si difficile que ça que de gérer votre neveu ? demanda-t-il.

— Oh, vous n’avez pas idée, Père !

Shalom soupira et hocha la tête, alors qu’il se souvenait des quadruplés que Nash avait dû élever chaque jour, depuis la mort de leur mère. Il se dit que cet homme devait vivre un cauchemar avec un neveu si farouche qui refusait de quitter son adolescence. Il se gratta la tête un moment, puis réfléchit.

— Je peux bien vous accorder quelques minutes de plus, si vous en avez besoin…

— Merci infiniment, expira le capitaine qui se rassit à la table.

Alors, le châtain se mit à déverser tout ce qu’il avait sur la conscience à son vieil ami et pleura même à quelques reprises, tellement il était en colère et se sentait dépassé par les événements. Shalom avait l’habitude d’entendre les confessions de sa paroisse, mais celles de Nash lui brisaient toujours le cœur. Il avait affaire à un homme brisé par la vie, qui se sentait mal aimé et surtout négligé par sa propre famille. La moindre chose qu’il puisse faire à cet instant, c’était de le réconforter de son mieux, alors qu’il recherchait des mouchoirs dans ses pochettes. Cette petite visite à l’église dura donc plus longtemps que prévu…

Annotations

Vous aimez lire TeddieSage ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0