20.3 - Les négociations

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Daichi s’assit sur la grande chaise qui se trouvait derrière lui et tapota calmement la table devant lui. L’unique pièce de la tente était éclairée par une lampe à huile. Il y avait des caisses de bois remplies de vivres et d’ingrédients posés près de la sortie, avec un baril d’épées et de hachettes qui devaient sûrement servir aux rebelles. De l’autre côté de la tente était posé un lit dépliable où il dormait durant la nuit. C’était un abri temporaire, mais il semblait s’être installé confortablement au campement. Il était habitué, tout comme Misaki, de voyager et de camper là où il le pouvait pendant de nombreuses semaines, avant de retourner à un village où crécher quelque temps.

Leurs quartiers généraux dans les montagnes ressemblaient à une petite ville. Daichi avait construit cet endroit à la sueur de son front, ainsi que tout le sang des nombreuses créatures sauvages qui avaient osées s’y aventurer de trop près. Ce maître des armes était un homme redoutable, mais il n’était pas cruel. Sa grande compassion avait fait en sorte de sauver bien des vies, même celles de Misaki et de son mari alors qu’ils n’avaient nulle part où aller lorsqu’ils étaient plus jeunes.

Même s’il souhaitait croire Artael et accepter son offre, Daichi ne pouvait s’empêcher de douter qu’il plongerait tout droit dans un guet-apens. Il se gratta le bout du menton et examina le colosse situé tout près d’eux.

— Et toi, est-ce que tu serais prêt à rejoindre notre armée ? dit-il. Lui, c’est un conseiller, donc les charges seront plus lourdes contre lui. Toi tu n’es qu’un simple soldat, un militaire et tu peux très bien t’en sortir avec quelques années derrière les barreaux. Je ne crois pas que tu veuilles le suivre.

Gabriel allait répondre mais Artael, mit une main devant lui pour répondre :

— Gabriel, ici présent, est l’une des expériences illégales produites dans les sous-sols de notre palais présidentiel. Il a été rejeté par l’un des autres conseillers qui l’a conçu à partir de son ADN et de celui des esprits élémentaires. S’il y a bien une personne dans ce camp qui peut comprendre la cruauté faite envers votre peuple, c’est bien lui. Les civils l’ont traité comme un moins que rien depuis ses premières années sauf ma famille et moi.

Vraiment ? marmonna le chef des rebelles. Je croyais que ces expériences de golems et d’homoncules n’étaient que des rumeurs.

— Malheureusement, ce n’est pas le cas. Même après que j’ai fait cesser les expériences faites pour construire Gabriel, d’autres ont suivi sans l’autorisation du Conseil et je soupçonne que plusieurs de ces créations ont été recrutées dans nos rangs en tant qu’agents doubles, pour le culte de Perséphone. D’ailleurs, d’après quelques-unes de mes sources, les disciples de la déesse renégate auraient infiltré notre nation depuis maintenant plus d’un siècle.

— Attends une petite minute ! grogna Gabriel à côté du mage et du rebelle. Es-tu en train de me dire que je devais servir Perséphone ?

— Je l’ignore, Gabriel. Il faudrait que tu le demandes à Randell, mais puisqu’il est toujours occupé dans ses tâches et qu’il refuse de coopérer avec qui que ce soit, ça te prendrait un miracle pour lui en parler. D’autant plus, je doute fort qu’il accepte d’en parler avec toi, puisqu’il t’a toujours méprisé.

— Mince…

Daichi soupira, puis jeta un coup d’œil du côté de Misaki. Il aimerait bien savoir ce qu’elle pensait de tout ça.

Et toi, Misaki-chan ? demanda-t-il. Que penses-tu d’Artael ? Est-il aussi bien qu’il parait l’être ? Si tu me donnes ta bénédiction, je vais accepter son offre. Mais je te préviens, au moindre faux-pas, nous devrons l’exécuter.

L’albinos approuva avant de répondre :

— Monsieur Artael est la personne la plus généreuse et terre-à-terre qui soit à la capitale. Ses services apporteraient sûrement un support moral à nos troupes puisqu’ils auraient avec eux quelqu’un qui désire voir du changement depuis l’intérieur des murs. Cependant, je doute qu’il soit prudent d’envoyer la charge cette nuit. Nous devrions envoyer quelques espions en ville et faire en sorte qu’Artael rejoigne le palais au crépuscule, en compagnie de Gabriel. Il serait peu recommandable de passer à l’action maintenant. Qui sait ? Peut-être pourrions-nous rallier d’autres gens à notre cause avant l’invasion ? Ainsi il sera plus facile d’évacuer les civils. Du coup, moins de sang sur nos mains.

— J’avoue ne pas y avoir pensé, mais ce qu’elle dit a du sens, ajouta Artael. Je pourrais très bien rallier les hommes et les femmes qui en ont marre du président et recruter les brigades qui me sont fidèles depuis des années. Ainsi, ça nous permettrait de réduire les dégâts.

C’est sûrement la meilleure des solutions, déclara Daichi. Toutefois, je doute que mes hommes apprécieront ce délai. Ça fait depuis des années que certains d’entre eux attendent de mettre la main sur le président.

C’est tout ce que nous pouvons vous offrir pour le moment, j’en suis sincèrement désolé, dit le conseiller.

Daichi avait donc pris sa décision. Il allait lui faire confiance. Après tout, il n’avait plus rien à perdre. Ils devraient attendre au moins vingt-quatre heures avant d’envoyer un signal aux rebelles infiltrés dans la capitale, pour les renseigner de leur arrivée. Il expliqua son plan à Artael et Gabriel ; Misaki le connaissait par cœur pour l’avoir entendu des milliers de fois. On s’en servait souvent pour les repaires de brigands où certains membres de leur groupe attaquaient, tuaient et dépouillaient les voleurs après avoir utilisé des signaux différents. Ces derniers comportaient des fusils d’alarmes ou des reflets de lumières avec des miroirs, afin d’informer les rebelles que la voie était libre. Le signal pour le début des combats serait le bruit d’un boulet de canon que l’on tirerait dans l’une des murailles qui entouraient Baldt. Artael rassura Daichi que s’il y avait des changements aux plans, il demanderait à l’un de ses messagers de lui transmettre une missive au plus vite. Le lendemain soir, si tout se passait bien, l’invasion aurait lieu.

Gabriel se souvint aussitôt qu’on avait envoyé quelques membres de la Septième Brigade à Xu Fahn.

— Que fait-on de l’équipe de Nash ? demanda aussitôt le colosse. Ils vont essayer de libérer le village… Il faut les avertir avant qu’il ne soit trop tard !

Daichi se souvint avoir envoyé quelques-unes de ses troupes là-bas. Mais il ignorait s’il pourrait les rejoindre à temps, afin d’éviter un massacre.

— J’en déduis que si l’un d’entre eux meure, ça sera de ma faute, dit-il.

— Vos hommes ont intérêt à être aussi puissant que vous le croyez, prononça Artael, car mon frère cadet, mon fils et le mercenaire Shayne Wolfe sont bien entraînés. Nash est l’une des nombreuses victimes du président et de ses actes immoraux. Mon jumeau, lui et moi, nous avons été modifiés génétiquement afin de pouvoir manipuler certains éléments. Bien sûr, certains de mes traits se sont transmis à mes enfants… Je doute que vos hommes soient sains et saufs… Il vaudrait mieux ne pas garder espoir.

Dans ce cas, je vais prier les esprits pour que personne ne soit blessé, déclara le chef avant de faire signe à l’un de ses gardes d’approcher de la table.

Après une minute d’attente, il remit au garde un rouleau de parchemin dans lequel il venait d’écrire les renseignements pour les rebelles installés à Xu Fahn. Il avait aussi écrit un mot adressé à Nash, comme quoi il faudrait qu’il parle à son frère Artael d’ici les prochaines vingt-quatre heures. Après que le garde empoigna le rouleau, il partit aussi vite que ses jambes pouvaient lui permettre. Maintenant, il ne restait plus qu’à espérer qu’il rejoigne l’équipe de Nash à temps pour délivrer le message.

Un quart d’heure plus tard, tel que prévu, le cortège d’Artael repartit pour la capitale avec en addition quelques rebelles qui s’infiltreraient dans la ville durant la nuit. Ils avaient été renseignés qu’Artael, Gabriel et Misaki seraient leurs alliés durant les jours à venir. Comme l’avait prédit l’albinos, l’armée présente au campement semblait séduite par l’idée d’être aidée de l’intérieur de Baldt. Daichi expliqua donc à ses soldats alors que le cortège s’éloignait, qu’il faudrait limiter les dégâts autant que possible, employant des méthodes qui ne seraient pas fatales contre leurs victimes.

Leur priorité désormais serait d’emprisonner le président et ceux et celles qui tenteraient de se rallier à ce dernier. En tant que représentants des villes et villages négligés par les actes de Virgile, il était de leur devoir de punir ce traître et que justice leur soit rendue. L’un des fidèles de Daichi remarqua que ce dernier avait repris des couleurs après sa rencontre avec le conseiller. Celui-ci affirmait même que si tout se passait bien, le jour suivant, qu’il veillerait personnellement à remercier cet homme qui lui avait donné un nouvel espoir. Il l’inviterait à boire quelques bières à ses frais.

Peut-être était-il en train de se faire duper, il l’ignorait. Mais il était déterminé plus que jamais à mettre un terme à cette administration pourrie par l’orgueil et la vanité de certaines personnes. Les jours qui suivraient seraient déterminants concernant l’évolution de leur peuple. Sur ces pensées, Daichi observa au loin le cortège du conseiller tout en se disant qu’il avait fait le bon choix.

Que mes ancêtres me pardonnent si je me trompe… se dit-il, avant de finalement retourner dans sa tente pour s’y reposer.

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