27.2 - Le passé de Luna Kelly

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— Effectivement, j’ai entendu dire que vous avez été sauvée lors d’un raid qui a eu lieu près de Kritz. Des brigands avaient volé quelques récoltes et menacés de tuer des villageois, mais vous étiez présente et Nash Markios vous a sauvé la vie, je crois. D’après nos informateurs, vous étiez une orpheline errante et vous créchiez chez les aubergistes.

— C’est en effet comme ça que j’ai vécue quelque temps… Comme une vagabonde. En fait, je dois vous avouer que ma vie avant de me retrouver à Kritz était loin d’être ma plus grande fierté… C’est d’ailleurs pourquoi je suis venue quérir votre aide… C’est très difficile pour moi d’en parler… Peut-être serait-il mieux que je vous montre…

Ellen ne comprenait pas vraiment où elle voulait en venir, mais Luna qui avait enlevé son manteau, déboutonna sa chemise et se tourna dos à la cheffe de guilde pour laisser tomber son vêtement légèrement. Elle dévoila alors des cicatrices le long de son dos. Des marques laissées par son passé. Ellen sentit le sang bouillir dans ses veines. Elle avait une petite idée sur le sujet que Luna avait en tête.

Après avoir remis sa chemise, l’adolescente se retourna, honteuse et reprit sa position initiale. Elle déglutit avant de reprendre :

— Je n’ai jamais connu mes parents. J’ai vécu pendant un temps avec mon grand-frère qui s’est fait tuer par une bête lorsque j’avais à peine six ans. Je ne me souviens même plus de son prénom… c’est bête... Le village où nous vivions avait été saccagé durant une nuit chaude d’été et j’ai été la seule survivante. Avant de mourir, mon frère m’avait caché dans le grenier de la maison où des gens charitables nous ont hébergés… Je n’avais nulle part où aller, je ne savais pas comment me débrouiller, toute seule après cet incident. J’étais écartée dans ces ruines, loin de la capitale et sans personne pour prendre soin de moi. Je suis restée cachée au grenier pour une journée entière, en attendant que les monstres ne partent du village. C’est en sortant le lendemain que j’ai vu qu’une vieille dame qui portait des haillons. Elle examinait des corps déchiquetés, un peu partout dans les rues. Des restes laissés par les monstres. Elle était venue vandaliser les maisons. À cet âge, je ne savais pas faire la différence entre les gentilles personnes et celles qui étaient… monstrueuses

— Ça n’a pas dû être facile, en effet, commenta Ellen à l’expression remplie de compassion, mais aussi de tristesse.

— Effectivement, ce ne fut pas le cas… Très vite, j’ai compris que cette vieille dame allait faire de moi son esclave. J’ai voulu prendre la fuite, mais elle m’avait ensorcelée. J’étais incapable de bouger et de prononcer quoi que ce soit… On a passé devant des voyageurs, sur la route. Je n’étais même pas capable de crier à l’aide, parce que j’étais sous son contrôle. Quand elle s’est rendu compte que je résistais trop à son sortilège, elle m’a assommé à mi-chemin et j’ai perdu connaissance.

Luna soupira et versa quelques larmes. Ellen prit sur sa table une boite de papiers-mouchoirs qu’elle offrit aussitôt à l’adolescente.

Après une longue minute de silence, la magicienne reprit son récit.

— À mon réveil… J’étais loin de chez moi… dit-elle. Elle avait sûrement choisi de me déplacer dans ses bras pendant que j’étais inconsciente… C’était une vieille cabane dans les bois. J’étais enchaînée au mur par les chevilles… Rapidement, elle m’a donné des ordres, de mettre du bois dans sa cheminée et d’allumer un feu… Je n’avais que six ans, je n’étais pas instruite. Voyant que je ne savais pas comment faire, elle m’a giflé et fouetté avant de me donner un coup de pied dans le ventre… Je suis ensuite tombée sur mes fesses, et j’ai compris que ce n’était pas la dernière fois qu’elle me malmènerait. Je me souviens avoir pleuré toutes les larmes de mon corps alors que je la voyais qui allumait le feu de la cheminée… Après elle m’a craché au visage et m’a dit que j’avais intérêt à apprendre au plus vite, sinon elle me donnerait à manger aux loups. Je n’avais pas le choix de mémoriser tout ce qu’elle faisait, sinon je savais que tôt ou tard, elle tiendrait sa promesse de me tuer.

— Quelle horrible vipère… formula Ellen.

— Je sais… Mais ça n’a pas arrêté là. J’ai été prisonnière de cette femme pendant au moins neuf longues années. Plus je grandissais, plus les chaînes s’accumulaient et elle me jetait des sorts pour me faire oublier, voir accepter, mon existence d’esclave. Elle m’a tout appris en ce qui concerne les tâches ménagères et comment faire des potions qu’elle vendait aux alentours. Lorsqu’elle partait et me laissait seule chez elle, j’en profitais pour lire des trucs dans sa cachette secrète. Elle y conservait des grimoires de sorcellerie et d’ingrédients de potions. Elle ignorait que mon frère m’avait enseigné les bases de l’écriture et de la lecture alors que j’allais bientôt fêter mes quatre ans… Parfois il m’arrivait d’expérimenter mes propres potions et j’ai fini par découvrir comment fabriquer un filtre… Celui-là me permettait de repousser les mauvais sorts. J’ai eu la chance d’en produire en petites quantités alors que je préparais d’autres potions pour ma maîtresse.

Luna déglutit, elle commençait à avoir la gorge sèche. Ellen lui passa sa gourde d’eau pour qu’elle s’humecte le palet.

Un instant plus tard, l’adolescente continua son histoire.

— Ce filtre, je le cachais dans mon petit lit de fortune, formula celle-ci. Il était constitué de pailles et de vieux linges souillés qu’elle n’avait jamais pris la peine de laver. J’ai fini par décrasser tout ça avec des savons qu’elle m’offrait en cadeau, lorsque je me conduisais comme l’esclave parfaite. Sinon, elle me crachait au visage quand j’accumulais les gaffes, me giflait ou bien me fouettait encore et encore jusqu’à ce que je perde connaissance. J’étais son pantin, je ne méritais rien de plus que la misère selon elle. Je n’étais pas sa première victime, car le sous-sol à l’abandon depuis mon arrivée, contenait des ossements humains ou animaux qu’elle n’avait jamais pris la peine d’enterrer. Tôt ou tard, j’aurai fini comme eux, comme de la vidange et je me serais fait dévorer par les vers et les insectes…

Elle soupira et poursuivit :

— C’était comme ça qu’elle m’avait élevé et comme ça qu’elle comptait me garder vivante. Mais je n’avais pas dit mon dernier mot… J’avais toujours mon filtre qui me permettait de conserver chacun de mes souvenirs, je n’avais qu’à jouer la comédie et prétendre que j’étais qu’une marionnette à ses yeux… Elle n’y a vu que du feu, ma ruse m’a permis de conserver toutes mes connaissances… et j’en ai profité pour concocter mon plan d’évasion.

— J’en déduis qu’elle a fini par découvrir que vous lui jouiez dans le dos, n’est-ce pas ? demanda Ellen. C’est pourquoi vous êtes ici aujourd’hui, vivante…

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