39.3 - Euryale et Sthéno

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— Ça va aller Dia… Nash ne t’en veut pas, j’en suis certain, dit le jeune homme qui caressa la tête de la louve.

— Tu dis ça pour me faire plaisir… fit la louve, avant de hoqueter et lever son pif vers lui pour ensuite lui lécher le menton.

— Mais non, il n’a jamais été très rancunier, mon oncle. Et tu n’as pas à t’en faire, les seules personnes qui l’énervaient, c’était moi et le reste de sa famille. Il t’aimait beaucoup, tu sais ? Tu étais une très bonne amie pour lui. Le peu de temps que nous avons vécus ensemble ont été remplies d’aventures et d’émotions fortes, nous avons tous tissés des liens importants… Nash ne voudrait pas que tu te laisses aller pour ça. Il faut que tu sois forte pour lui… et pour moi… ainsi que ta famille.

Dia pencha sa tête d’un côté, curieuse de lire l’expression de Flint. Il semblait douter de ses propres paroles ; les yeux du blond observaient la plaque silencieusement.

— C’est pour me rassurer ou bien pour te rassurer, que tu dis ça ? demanda la louve.

— Un peu des deux, répliqua le jeune homme.

Dia soupira, puis ajouta :

— Ne devrais-tu pas être dévasté ? Ton oncle est mort, il a fait partie de ta vie beaucoup plus longtemps que moi et c’était pratiquement ton deuxième père…

— J’essaie de ne pas m’effondrer… Parce que si je le fais, je sais que je ne m’en remettrai jamais…

Ils restèrent ainsi pendant un moment. Quelques minutes plus tard, Flint continua :

— Misaki a bien fait de nous donner ce congé… Il fallait que nous puissions tourner la page sur cette tragédie… Ce n’est pas de notre faute, Dia. C’est la vie qui en a décidé ainsi. Le destin a voulu qu’il rejoigne les cieux avant d’autres personnes, c’est tout…

— Mais j’emmerde le destin ! grogna la louve, une phrase qu’elle avait entendu son ami aux cheveux blonds répéter souvent, au fil des dernières semaines. Nous sommes au-dessus de tout ça, nous les créatures élémentaires ! La déesse nous a donné naissance pour que nous puissions justement repousser les limites du destin ! Nous…

— Dia… Il nous faut accepter cette défaite si nous voulons un jour retrouver le sourire.

La louve savait que Flint avait raison, mais elle s’entêtait pour la lui donner. Elle finit par s’endormir dans ses bras, alors que ce dernier était agenouillé, puis assit dans la neige fondante depuis plus d’une demi-heure déjà. Il jugea qu’il devrait probablement faire une sieste lui-aussi ; il avait mal dormi ces derniers jours. Mais ce n’était ni le bon endroit, ni le bon moment pour se reposer. Il posa Dia tranquillement au sol, alors qu’il se releva pour aller lire et relire les noms de toutes les victimes de l’embuscade.

— Arrêtez de chialer, vous allez me faire vomir… dit une voix rauque derrière le brigadier et la louve.

Flint fit volte-face et remarqua deux étranges dames vêtues de haillons. Elles avaient des allures monstrueuses, comme si elles sortaient tout droit des histoires d’horreur qu’il avait lu, lorsqu’il était plus jeune. Dia, qui venait de se réveiller d’un bond, ressentait en elles une puissante magie maléfique qu’elle n’aimait guère. Elle avait une vague idée sur l’identité de ces créatures.

— Alors, ma chère, dit la première dame. Ce sont des gens comme eux qui ont tué notre sœur, pas vrai ? Que dirais-tu qu’on leur donne une leçon ?

La louve se figea sur place. Flint jaugea les vieilles dames. Elles avaient la peau si ridée qu’on aurait dit des épaves en cours de décomposition. Elles étaient recouvertes d’un tissu noir et sur leurs têtes se dressaient des serpents vivants qui gigotaient dans tous les sens, alors qu’elles observaient le blond et la louve. Un nuage de fumée obscur était en train de se former autour des deux créatures répugnantes. Flint comprit qu’elles lévitaient par magie.

— Ferme les yeux ! aboya la louve qui avait reconnu les traits physiques de ces vieilles dames. Ces femmes sont des gorgones !

— Des gorgones ? répéta le blond qui lui obéit aussitôt. Je pensais qu’elles n’existaient que dans les mythes !

— Elles sont peu nombreuses depuis que l’église est intervenue, mais elles sont fortes et redoutables ! Un simple contact visuel avec l’une d’entre elles est assez pour te transformer en pierre !

— Voyez-vous ça, c’est qu’ils sont instruits ces misérables mortels, dit la plus âgée des gorgones. Non seulement vos ancêtres ont eu l’audace de lui crever les yeux, vos amis l’ont tuée alors qu’elle était démunie !

— Je ne vois pas de quoi vous voulez parler, mentionna Flint, aveuglé. De quelle sœur parlez-vous et qui êtes-vous ?

— L’un d’entre vous à la capitale a tué notre sœur, Méduse, il y a des semaines, dit la gorgone à la voix rauque. Sa tête a été dévorée par l’une des créatures qui vous accompagnent. Inutile de dénier les faits, vous avez avec vous une louve qui possède la même forme d’énergie spirituelle que nous avons ressentie dans sa chaumière !

— En tout cas, je ne suis ni responsable de la mort de votre sœur, ni Dia ici présente, déclara le brigadier. Nous sommes de passage, ici, afin de prier pour nos morts.

— Allez-vous-en ! hurla l’autre gorgone qui avait une voix encore plus sèche et sanglante que sa sœur. Ces terres nous appartiennent désormais !

Dia retourna entre les mains de Flint, sous forme d’épée. Le jeune homme empoignait fermement l’arme, même s’il ne pouvait plus voir quoi que ce soit.

— Votre sœur a terrorisé notre amie pendant plusieurs années ! lança-t-il, une pensée pour Luna. Ne soyez pas étonnées que justice ait été faite !

— Elle n’a eu que ce qu’elle mérite ! ajouta la louve.

L’histoire de Luna résonnait toujours en eux. Celle-ci leur avait raconté son passé, plusieurs semaines plus tôt. Flint se souvint qu’elle avait d’abord hésité, puis avec l’aide de Shayne et Nox, elle avait pris un peu plus d’assurance au fil des jours qui avaient suivi. Flint se souvenait aussi des nombreuses cicatrices que Méduse avait affligées au dos de la pauvre magicienne. Tout ça avait été assez pour que ça reste gravé dans sa mémoire. Cependant, Luna se sentait mieux ces derniers temps et n’avait pas tenté à désobéir aux lois de la république. Elle avait été vengée.

De retour à la réalité, Flint ouvrit légèrement un œil tout et baissa la tête, pour essayer de repérer l’endroit exact où se trouvaient les deux vieilles dames. Elles n’avaient toujours pas bougé, ce qui voulait dire qu’il devrait se fier à leurs premiers mouvements avant d’agir. Il ferma à nouveau son œil et se mit à écouter attentivement tous les bruits autour de lui. La respiration des gorgones était rugueuse et haletante, comme si elles avaient couru un marathon après avoir fumé un paquet de cigarettes. Les serpents au-dessus de leurs têtes n’arrêtaient pas de siffler, comme s’ils s’apprêtaient à le dévorer. Le blond pourrait se repérer facilement, grâce à eux.

Flint, laisse-moi prendre le contrôle de ton corps ! dit la voix de Dia, dans sa tête. Je vais te défendre de mon mieux !

D’accord, mais fait attention ! répliqua-t-il, mentallement.

— T’as vu ça, Sthéno ? formula la plus jeune gorgone. Il tremble comme une feuille ! Laisse-moi m’occuper de lui…

— Pas si vite, Euryale ! répondit sa sœur. L’essence magique qui l’accompagne pourrait très bien nous servir si nous voulons préparer de nouvelles potions de jouvence ! Le mana est tellement condensé à l’intérieur de cette arme que nous pourrions facilement en faire une centaine de filtres !

— Ah bon ? Normalement, tu les garderais toutes pour toi !

— Nous sommes immortelles, rappelle-toi, sœurette ! Malheureusement, plus les années passent et plus nous nous vidons de notre essence ! Une source suffisante de magie est essentielle si nous voulons rajeunir notre image !

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