56.2 - L'ambassadeur d'Archenwald

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De leur côté, Cassandra et Luna restèrent près de la calèche et attendirent que leur jeune chef revienne avec l’ambassadeur. Flint marcha en direction de ladite taverne. Puisque ce n’était qu’un simple aller-retour, ni l’elfe, ni la mage ne voyait l’intérêt d’aller visiter les boutiques ; quoique ce ne fût pas l’envie qui leur manquait. Un peu endormi, Gabriel décida de rester avec elles, les mains dans les poches.

Le capitaine finit par trouver la taverne, entra à l’intérieur et s’approcha du barman. C’était un petit homme moustachu à la tête chauve.

— Salut, je viens pour l’ambassadeur… commença-t-il.

Le barman l’interrompit et pointa une personne, du doigt. Il était blasé à la présence de Flint. Le capitaine avait remarqué que l’homme au comptoir semblait épuisé. Sûrement était-ce dû à la récente invasion de la capitale, qui l’avait forcé à travailler davantage, avec des clients qui venaient d’un peu partout pour prendre des nouvelles. Pour cette raison, il devait sûrement être très fatigué. Le tavernier de Baldt vivait à peu près la même chose, tellement les citoyens de la ville étaient stressés et curieux d’en savoir plus ce qui se passait dans leur communauté. Après tout, les taverniers étaient d’excellents informateurs pour tout le monde.

Flint se tourna vers ce qui semblait être un jeune homme qui portait un chapeau à plume, au coin de la grande salle. C’était rempli de clients, plusieurs discutaient dans la bonne humeur, accompagnés de rires. Le blond avait de la difficulté à discerner les conversations, tellement il y avait de chahut. Quand il s’approcha de la table au fond de la pièce, un jeune homme au chapeau à plume leva son visage, mit ses mains sous menton, puis esquissa un sourire au capitaine.

— Dis donc, tu n’as pas changé d’un poil depuis la dernière fois que je t’ai vu, dit l’ambassadeur. Enfin, si, la dernière fois que je t’ai vu, tu n’avais pas cette bague au doigt. J’en déduis que notre cher Gabriel a enfin demandé ta main en mariage ?

— Ce visage… commenta Flint, en état de choc.

— Prends tout ton temps, mon frère, répliqua le jeune homme.

— Non, mais pince-moi si je rêve…

L’ambassadeur ôta son chapeau pour le mettre à côté de son sac de voyage, ce qui laissa tomber une longue chevelure blonde sur ses épaules. Son visage n’avait pas été revu depuis au moins une dizaine d’années, mais il lui rappelait beaucoup les traits de son père et de son oncle. En face de Flint se tenait sa sœur… qui n’avait jamais été une femme en fait. Flint réalisa avec maladresse qu’elle était en fait… un homme trans.

¤*¤*¤

Il y avait trop de gens dans cette pièce. Flint ne voulait pas faire de scène, alors il emporta l’ambassadeur à l’extérieur, où ils s’installèrent sur un banc, collé à un autre bâtiment. Déconcerté et confus, le capitaine essayait de se ressaisir.

— Pourquoi… n’en as-tu jamais parlé avant ? demanda Flint qui pencha sa tête d’un côté. C’est… déstabilisant. Comment dois-je t’appeler maintenant ?

— Je m’appelle Lucas Markios, enchanté de te rencontrer à nouveau, Flint. Il est vrai que ma nouvelle apparence et ma voix puissent te secouer, mais je partage toujours les souvenirs du temps où je me faisais passer pour une fille. Gwen était pour moi un fardeau, durant toute mon enfance et mon adolescence… mais je ne regrette pas ma transition. C’est un peu la raison pour laquelle je ne vous ai pas donné de nouvelles.

— Tu veux dire… Tu as quitté notre nation, sans même nous dire pourquoi… Tu sais que je t’aurais suivi hein ? Tu étais ma sœur… enfin… Tu…

— Je sais… soupira l’ambassadeur. Nous étions comme les cinq doigts de la main, Gabriel et nous quatre…

— Tu… Tu m’as manqué… dit Flint, au bord de rage.

— Je sais… Ça n’a pas été facile de renoncer à mon ancienne vie, mais il le fallait… Sinon j’étais à deux doigts de me suicider.

Flint regarda Lucas avec effroi. Comment pouvait-il penser une chose pareille ? Il essayait de trouver les mots pour le rassurer, mais rien ne lui venait à l’esprit.

— Cette nouvelle va causer l’effet d’une bombe, dit-il avant de rire maladroitement.

Lucas hocha la tête. Il souriait.

Non seulement elle a déserté la république pour devenir un citoyen de Lanartis, elle… non il… se dit Flint. Oh bon sang, je risque de lui faire de la peine si je ne m’adapte pas, et vite !

Le capitaine se souvint que son frère ne s’était jamais senti bien dans sa peau, depuis leur jeunesse. Maintenant, il comprenait pourquoi il avait pris ses distances durant toutes ces années. Il ignorait par où Lucas était passé durant les dernières années, mais le voilà transformé sous ses yeux.

On dirait Kyran et moi, tout craché, se dit Flint. À part quelques centimètres de différences, il nous ressemble beaucoup.

— Flint… marmonna Lucas. Est-ce que… tu comprends maintenant, pourquoi je n’osais plus me dévoiler à la famille ? J’avais horriblement honte de moi… et j’avais trop peur de révéler à tout le monde que je suis en fais un homme depuis tout ce temps. Je n’avais pas le choix de penser à ma propre santé mentale…

Le capitaine hocha, compréhensible.

— J’ai perdu une sœur le jour où tu es parti de Baldt… dit Flint.

Il baissa sa tête, sur le point de pleurer.

— Si tu savais toutes les larmes qu’on a versées, Sarah et moi… poursuivit le capitaine. Si tu savais toutes les nuits que j’ai passées à vouloir t’étrangler…

— Je sais… Je suis désolé… répondit Lucas qui baissa son regard.

— Mais… J’ai en retour un frère… et… Nash n’est même plus là pour faire ta… rencontre. Ce con a tellement souffert après ton départ… tu n’as pas idée. Il… Il aurait vraiment voulu te revoir.

Flint ne pouvait plus retenir ses émotions. Il serra Lucas dans ses bras et se mit à pleurer à chaudes larmes. Instinctivement, l’ambassadeur serra son frère dans ses bras. Ils restèrent ainsi, pendant de longues minutes. Lucas avait beaucoup souffert à cause de leur ignorance, mais Flint reconnaissait cette tendresse familière, lorsque qu’il passa ses mains autour de la taille de son quadruplé.

Au bout d’un moment, ils reprirent leur position initiale.

Lucas plaça une longue mèche de sa chevelure derrière une épaule, puisque celle-ci obscurcissait sa vue. Ensuite, il formula :

— Lorsque je suis arrivé à Lanartis, je n’étais personne. J’ai erré dans les rues comme un mendiant. Je ne connaissais pas qui que ce soit et j’ignorais ce que je faisais là-bas. Pendant plusieurs années, j’ai passé ma vie à me chercher, avant de me rendre compte un soir que je ne me suis jamais senti comme une femme… J’ai alors commencé une thérapie et on a vite fini par comprendre que j’étais l’une des rares personnes de ce monde qui ne s’identifie pas au genre assigné à sa naissance… On m’a donc conseillé de suivre des procédures qui arrivent plus souvent qu’on le pense, bien que ça ne soit pas fréquent… J’ai appris à m’aimer et à me respecter à travers tout ça. Je n’ai pas laissé cette nouvelle me décourager. J’ai pris mon courage à deux mains et j’ai décidé graduellement d’abandonner mon ancien prénom et de changer mes pronoms pour ceux des hommes, auxquels je me suis toujours identifié dans le fond… Ensuite, il y a plusieurs trucs que je préfère ne pas mentionner, car c’est très personnel. Tout ce que je peux te dire, c’est que le traitement a fonctionné.

Il prit une grande inspiration, avant de regarder son frère. Le capitaine était épuisé et confus, malgré toutes ses larmes. Il gardait en lui une profonde tristesse, comme une vieille blessure de leurs jeunes années. La mort de Nash n’avait fait qu’empirer les choses. Lucas réalisait, malgré tout, à quel point sa présence avait un effet positif sur son quadruplé. Il regrettait de ne pas lui avoir laissé de nouvelles, mais il n’avait pas le choix à l’époque. Il avait pris ses distances, dans le but de se protéger.

— D’où t’es venu le nouveau prénom ? demanda Flint. Il est… sympathique.

Il essayait de retenir ses émotions, pendant qu’il s’essuyait les yeux.

— Il m’a été donné par des amis à Archenwald, expliqua Lucas, mais ça c’est une autre histoire. J’ai fini par rejoindre l’armée et j’ai grimpé dans les rangs, avec beaucoup de patience et d’expertise. Toutefois, je n’ai pas envie de m’étaler sur les détails. Je préférerais garder tout ça pour la route.

— Oh, c’est vrai. Tu es en mission pour Lanartis…

— En effet. Le Roi Davis d’Archenwald, quatrième du nom, et Dame Floraine, son épouse, essaient de réviser les contrats de marchandises entre la république et le royaume. Les derniers incidents ont attiré beaucoup d’attention sur votre ville et le roi s’inquiète que cela puisse nuire à la réputation de nos terres et des vôtres. Beaucoup de vos villes portuaires ont été détruites par les bêtes. Les membres du culte de Perséphone, y sont sans doute pour quelque chose. Tu dois bien t’en souvenir, avec nos cours d’histoires ; nos traités de marchandises permettent au royaume de Lanartis d’acheter nos produits et vendre les leurs sur vos terres. Notre économie a beaucoup souffert de cette récente guerre, mais il est vrai que la vôtre est davantage dans le jus.

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