Il s’était approché rapidement de la louve et du dragon et les fusillaient du regard. Il avait complètement changé d’attitude. Il était agressif et désespéré, ce qui n’était pas dans ses habitudes. Lorsqu’il était question de sa petite Estelle, le golem devenait une toute autre personne – surtout quand il sentait celle-ci en danger.

— Malheureusement, nous n’avons pas été formés pour ouvrir les brèches, déclara Dia. Nous pouvons seulement les refermer… Il faudrait attendre la présence d’une nouvelle déchirure dans le voile pour s’infiltrer ou bien tenter de la garder ouverte…

— Et il serait idiot de notre part de la laisser ouverte, car l’autre dimension est infestée de monstres qui n’attendent qu’à traverser dans la nôtre, dit le dragon.

— ALORS VOUS ÊTES INUTILES ! grogna le colosse qui les pointa du doigt.

— Gabriel… arrête… s’il te plaît, demanda la louve, chagrinée.

Elle baissa sa tête, honteusement.

— NE ME DIS SURTOUT PAS COMMENT JE DOIS GÉRER MA COLÈRE !

Il montra ses dents et donna un coup de pied au sol, ce qui fit trembler la terre autour de lui. Luna et Cassandra durent reculer, car il leur faisait peur. Shayne dut intervenir et lança un sortilège de vrilles ténébreuses sur son collègue de travail. Il força le colosse à s’agenouiller et à s’asseoir en face des deux créatures. Le colosse soufflait des narines, tandis qu’il lâchait tous les jurons inimaginables.

— Ouf… fit Misaki. Calme-toi, Gabriel ! Nous sommes tous dans la même galère, je te signale ! Ce n’est pas de leur faute si nos amis sont coincés là-bas ! On n’y peut rien !

— SI, C’EST LEUR MAUDITE FAUTE ! TOUT ALLAIT BIEN AVANT QU’ILS N’ARRIVENT DANS NOS VIES ET DÉCIDENT DE TOUT BOULEVERSER !

— DANS CE CAS TU NE DEVRAIS MÊME PAS EXISTER, CRÉTIN ! grogna la louve qui prit cette remarque comme une insulte. TON CORPS A ÉTÉ CONSTRUIT AVEC LE SANG DE MES FRÈRES ET SŒURS, JE TE SIGNALE !

— ET À QUI LA FAUTE ?! SÛREMENT PAS LA MIENNE !

La guerrière, qui n’en pouvait plus de les entendre se chamailler, cogna ses deux camarades avec son bâton. Gabriel poussa un juron alors que Dia grogna, puis lui tourna le dos. La tension était palpable.

— Non, mais vous vous entendez parler ? soupira-t-elle. Vous avez été inséparables depuis son retour… C’est quoi le problème !? Gabriel, franchement !?

Cassandra roula des yeux et se recouvrit le visage. Elle n’en revenait pas qu’ils en étaient à se disputer à cause de choses qu’ils ne comprenaient pas et qu’ils ne contrôlaient pas. Elle préféra ne pas se mêler de cette querelle et s’approcha de Flint, afin de vérifier son état. Luna décida de faire de même.

Comme un buffle en colère, le golem détourna son regard et refusa de regarder l’albinos. Il râlait des mots inaudibles et se mit les mains dans les poches. Le vampire dû se résoudre de le lâcher, puisqu’il ne démontrait plus d’hostilité. Le colosse était seulement de mauvais poil. Il se releva, fit demi-tour, et s’approcha de son mari.

Gabriel se pencha, ramassa Flint et le mit sur son épaule. Il le conduit à leur tente en silence, sous les regards inquiets des autres brigadiers. Misaki soupira.

— Nous sommes tous épuisés par cette journée, dit-elle. Je crois que nous ferions mieux d’aller nous coucher. Nous reparlerons de tout ça demain.

— Je suis du même avis, formula le vampire. Essayons de nous reposer. Aux premières heures du matin, nous discuterons tranquillement de la disparition de nos amis.

— En tout cas, je ne dormirais pas près de ce malotru pansu, bouda Dia qui leva son pif en l’air. Mais pour qui il se prend ? Après tout ce que j’ai fait pour lui ?

La louve s’allongea près du dragon et enfonça son mufle entre ses pattes. Elle battait de la queue au sol, afin de leur montrer qu’elle était furieuse.

— Veux-tu venir dormir dans ma tente ? suggéra Luna.

L’esprit élémentaire de la lumière se redressa, hocha la tête et suivit la magicienne tranquillement. Il ne restait plus que Misaki, Cassandra et Shayne près du dragon. La guerrière bailla et s’excusa. Elle avait grand besoin d’un sommeil réparateur, après tout ce qu’ils étaient passés à travers. Elle salua les autres et partit se coucher.

— Comptes-tu rester avec nous ? questionna alors le vampire à Giotto. Tu risques de nous causer des ennuis à cause de ta taille… sans vouloir te vexer.

— J’ai déjà décidé que l’un d’entre vous allait devenir mon porteur, répliqua le dragon. Il a déjà un potentiel énorme à me maîtriser. Aussi, il gueule fort, donc je crois que son attitude féroce me conviendra parfaitement.

— Gabriel ? fit Cassandra. Mais il n’a aucun élément inné…

— Détrompez-vous, commenta le dragon. Gabriel possède une forte affinité avec l’élément de la création. Seulement, d’après ce que j’ai pu constater, il ne peut pas lancer de sortilèges. J’ai ressenti tout ça en combattant avec lui.

— Ah bon ? demanda le vampire. Ça doit être parce qu’il est un homme synthétique, parce que normalement votre élément est très rare chez le commun des mortels.

— Non, continua le reptile. C’est son âme. Elle a autrefois appartenu à un être du Saint Royaume. Je ne saurais vous expliquer pourquoi, mais je le sens…

Cassandra discuta encore avec eux pendant un moment, avant d’aller dormir à son tour. Durant les heures qui suivirent, Shayne et Giotto eurent une longue discussion sur les esprits élémentaires et le monde spirituel. Ils ne virent pas le temps passer, tellement ils étaient absorbés par leurs échanges.

❖

Très tard, durant la matinée, Flint se réveilla dans les bras de son mari. Il était fiévreux et grelottait de froid. Durant la nuit, Gabriel l’avait recouvert d’une couverture et s’était servi de sa chaleur naturelle afin de le garder au chaud. Ceci était la conséquence de leurs galipettes dans la rivière, en plus d’avoir épuisé son mana lorsqu’il avait exorcisé le dragon. Le blond se blottit contre le golem.

— Merde… grogna celui-ci, après avoir éternué. Fallait que ça m’arrive…

— Tu vas avoir besoin de quelques jours de repos, j’en ai peur, dit le colosse. Mais j’ai une mauvaise nouvelle à t’apprendre.

— Quoi donc ?

— La brèche nous a enlevé Estelle, les jumeaux, puis Wyatt. Ce matin, Dia et Giotto ont tentés de rouvrir la faille avec Luna, mais ils n’en ont pas été capables.

Flint se rallongea sur le dos et mit une main sur son front brûlant. Il soupira.

— Je me doutais bien d’avoir entendu des cris hier, lorsque j’étais dans les vapes. C’était toi, n’est-ce pas ?

Le golem hocha la tête, honteusement.

— J’en conclus que le groupe devra camper une journée de plus, se dit le blond. Je ne suis pas en état de me lever…

— Comment va ta côte ? demanda Gabriel qui leva la couverture.

Il remarqua que l’ecchymose de son mari avait blanchit.

— Je ne ressens plus de mal, répondit celui-ci. Mais là, c’est ma grippe qui me cause un problème… Re… recouvre-moi… S’il te plaît…

Il se croisa les bras et grelotta un peu plus. Gabriel se coucha en cuillère contre son bien aimé et l’entoura d’un bras. Le malade ferma ses yeux et se sentit soulagé. Il aimait toujours ressentir son homme près de lui.

— Eh bah, ça va nous donner beaucoup de temps ensemble, remarqua le golem.

— C’est parfait pour moi…

— Je t’ai déniché une corbeille et du papier mouchoir, si tu en as besoin. J’irais te préparer de la soupe, quand tu auras faim.

— Merci, Gabou…

Il soupira de soulagement jusqu’à ce qu’il se lève en sursaut, ce qui fit peur à son partenaire.

— Estelle ! lança Flint, en état de panique.

Il venait de réaliser que sa fille lui avait été enlevée. Il arrivait à peine à réfléchir, à cause de sa grippe. Il était sur le point d’avoir une crise de panique, quand Gabriel l’enlaça dans ses bras. Il serra ce dernier avec force, mais tendresse. Il lui caressa le dos, ainsi que les cheveux.

— Tout doux, mon chou, dit le golem. Ils vont la ramener…

— Mais… Mais c’est impossible, Gabriel… Personne n’a jamais réussi à passer de l’autre côté du voile ! Puis Estelle… elle… n’a jamais passé plus d’une nuit sans nous… Oh Athéna, oh mon Athéna… Je crois que je vais être maaa…

Gabriel eut le réflexe de lui passer la corbeille dans laquelle il vomit aussitôt. Le golem lui massa alors les épaules, pour essayer de le détendre. Il connaissait son mari par cœur pour savoir quand ce dernier avait besoin d’être massé.

— Je suis passé par là, moi aussi, déclara-t-il. Seulement, nous n’avons pas le choix d’attendre de trouver une autre brèche. Celle que nos amis essaient d’ouvrir, depuis toute à l’heure se referme à chaque fois qu’on essaie de la manipuler.

— Dans ce cas, cette région a une forte influence maléfique dans les parages…

— C’est aussi ce que pensent Dia et Giotto. Shayne aimerait que nous partions pour Alba et que nous y louions une chambre pour le reste de la journée. Lorsque tu te sentiras mieux, nous t’emmènerons dans la calèche et quitterons le camp.

— Pas sans ma fille… dit Flint. Elle a besoin de nous…

Il pleurait à la fois de désespoir et de fatigue. Sa grippe affectait beaucoup son jugement.

— Mon bébé… pleurnicha-t-il.

— Chut… ça va aller, fit Gabriel qui serra celui-ci contre son torse.

Ce jour-là, Gabriel portait un gros chandail de laine, puisqu’il faisait un peu frais à l’extérieur. Il avait changé son pantalon de la veille pour un jean moulant et enfilé de nouvelles chaussettes. Son linge sale avait été lavé, un peu plus tôt, alors que Flint était toujours en train de dormir. Il s’était occupé de laver les vêtements crassés de tous, pour se changer les idées et se faire pardonner de sa mauvaise humeur de la soirée précédente. Puisque Flint était malade, Shayne avait décidé de prendre les commandes du groupe et avait tenté de ramener les quatre brigadiers manquants, mais ce fut sans succès.

— C’est le pire premier avril de ma vie, remarqua le grand blond. Perdre ma fille ainsi n’est en aucun cas une bonne blague…

Le visage du colosse s’illumina lorsqu’il entendu celui-ci.

— Tiens donc, je n’avais pas fait attention à la date.

— Moi si, parce que ton anniversaire est dans quatre jours.

Les grosses joues de Gabriel rougirent rapidement.

— Tu sais bien que j’ai horreur de cette date, bouda le golem. Mais bon… On n’a pas trente-deux ans tous les jours…

— En effet… Et Estelle et moi, on n’attendait que cette journée pour te faire tout plein de cadeaux… Oh, punaise… Que lui est-il arrivé ?

Il gémit de douleur avant de se mettre à tousser. Gabriel haussa les épaules, incertain. Le colosse se demandait ce qui s’était passé pour qu’Estelle, les jumeaux Sanders et Wyatt aient été propulsés dans l’autre dimension. Il espérait, peu importe ce qui s’était passé la nuit dernière, qu’ils étaient tous en sécurité.

Le couple vit une ombre s’approcher de leur tente.

— Gabriel ? demanda la voix de Shayne à travers l’ouverture. Giotto aimerait te parler, si possible.

— Ah bon ? Pourquoi ? répondit ce dernier.

— Ça a un rapport avec les esprits élémentaires.

Le châtain échangea un regard intrigué avec son mari, puis lui fit une bise sur le front. Il se releva et mit une seconde couverture sur le corps de Flint. Ensuite, il sortit afin de rejoindre le dragon, à quelques pas du campement.

— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda le golem, sceptique. Est-ce en rapport à ce que je vous ai dit hier ? Parce que… Enfin… Je ne le pensais pas vraiment…

L’énorme créature argentée secoua la tête avant de se mettre à niveau avec son interlocuteur. Il huma son odeur en silence, l’observa et pencha la tête d’un côté.

— J’aimerais que tu sois mon porteur, dit Giotto. Ton corps semble compatible avec mon élément, donc je crois que nous sommes en mesure de synchroniser.

Gabriel se pointa le visage et cligna des yeux.

— M… moi… ? Mais pourquoi ? Je n’ai rien de spécial…

Sans le savoir, l’homme synthétique venait de discuter avec une créature qui lui était destinée depuis toujours. Il allait bientôt comprendre pourquoi.