79.2 - Amanites et toiles d'araignées

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— Bon sang Kylie, t’en as mangé combien ? demanda Scottie qui observait le seau rempli d’amanites tue-mouche.

— Je croyais que c’était comestible… grogna la jeune femme.

— Pas les amanita muscaria ! Combien de fois faudra-t-il te le répéter ? Baka !

— Mais j’avais faaaaaaaaaaaim…

— Arf… mais qu’est-ce que je vais faire de toi ? C’est pourtant un truc que Yosuke-sensei nous a enseigné quand nous étions tous jeunes…

Kylie haussa ses épaules. Elle était allongée sur le divan du salon depuis des heures. Après qu’elle avait été malade à la cuisine, elle s’était couchée pour se reposer un peu. À son réveil, les effets secondaires avaient diminué, mais elle avait toujours cette sensation d’halluciner plein de petits détails.

À un certain moment, elle avait cru voir une chauve-souris voler au-dessus de sa tête et l’avait même entendu couiner. Elle regardait dans un coin sombre de la pièce et la vit encore une fois. Elle se frotta les yeux et pointa cette dernière.

— Dis Scottie, est-ce que tu la vois ? demanda-t-elle.

— Quoi ça ? fit ce dernier. La chauve-souris ?

— Ah ! Je ne suis pas folle, dans ce cas…

— Ça dépend à qui tu le dis…

Kylie fronça les sourcils et donna un coup de poing dans le ventre de son frère. Celui-ci pouffa de rire, après avoir gémi de douleur.

— Plutôt que de m’insulter, je te suggère de la mettre dehors, dit-elle entre ses dents.

— Pourquoi ? questionna son frère. Elle ne nous a pas fait de mal.

— Et si c’était l’ennemi déguisé… ?

— Allons, je veux bien croire que ces champignons sont toxiques mais pas au point de te rendre idiote… Si notre invitée décide de nous attaquer, on s’en occupera.

— Traître…

Elle se recouvrit d’une couverture avec laquelle elle s’était couchée, la nuit dernière. Elle l’avait trouvée sur un petit lit du premier étage. C’était dans une chambre sombre qui avait probablement appartenu à un serviteur du manoir.

— Il était bon le dîner, au moins ? interrogea la jeune femme.

— Mouais, ça faisait changement, avoua son frère.

— Chanceux…

Elle tenta de s’asseoir mais était si étourdie qu’elle préféra rester couchée. Au moins, une bonne partie de ce qu’elle avait avalé était ressorti. Son frère se pencha vers le contenant aux champignons et l’observa sous la lueur de la lampe à huile, posée sur la table centrale du salon. Il l’avait trouvée aux sous-sols, durant son investigation du manoir. Avant cela, ils avaient dû éclairer les pièces avec des lampes-torches ou bien leur propre magie. Le groupe se limitait donc à la cuisine et cette pièce.

Estelle chauffait quelques salles de cet étage grâce au feu du poêle à bois. Elle avait passé une bonne partie de la journée à préparer leurs repas ou bien à recoudre le chandail de Wyatt, car celui-ci avait quelques trous. Contrairement à ses camarades, elle était la plus calme et la plus à l’écart, ce jour-là.

Elle avait besoin de temps et d’espace, car ces derniers jours avaient été très intenses pour son groupe. L’adolescente avait profité de passer plusieurs heures de solitude. Cette dernière avait trouvé une petite bibliothèque, au deuxième étage, qui n’avait pas été détruite par le régime tyrannique des démons. Elle y avait trouvé des romans et des journaux intimes écrits par l’ancienne propriétaire du manoir. Finalement, elle avait découvert que ce terrain avait appartenu autrefois à une grande dame, reconnue pour être la descendante de la famille des pêcheurs et fondateurs de Drokaï.

Estelle était heureuse de constater que cette femme parlait couramment la langue commune en Aeglys, contrairement aux nombreux messages étranges que son groupe et elle avaient trouvé à d’autres endroits.

Sûrement des codes utilisés par les démons, songea-t-elle.

D’après le dernier journal qu’elle avait déniché, la maîtresse de ce manoir avait vécu une vie entourée de richesses et de luxes auxquels Estelle et sa famille n’auraient jamais eu droit. La dame se plaignait constamment de ses employés et des habitants du village qui se moquaient éperdument de leur richesse et de leur influence politique à travers le royaume. L’adolescente trouvait cette femme méprisante mais ne pouvait pas s’empêcher de continuer la lecture, tellement elle était captivée par ce personnage. Finalement, elle se rendit aux dernières pages.

Aujourd’hui marque la troisième semaine depuis que la guerre a éclatée, lisait-elle, à la fois captivée et choquée de voir les choses changer si rapidement. Mon père est mort, poignardé par un représentant du culte de Thanatos et une bonne partie du village a été réduit à l’esclavage. Je ne sais pas combien de temps nous allons tenir, mais mes gardes du corps vont me guider vers le nord du continent. Ceci est ma dernière entrée… Peu importe qui lira ceci, sachez que je regrette tout ce que j’ai dit sur les citoyens de Drokaï. Personne n’a mérité un tel châtiment. Si je pouvais me sacrifier pour ramener tous ces gens, je le ferais… Mais il est trop tard. Peu importe ce que vous entamerez par la suite… Ne vous rendez surtout pas à Archenwald. C’est là-bas où tout a commencé…

Le reste de la feuille était indéchiffrable. Estelle pouvait y voir des taches de larmes qui avaient coulé sur l’encre de la dame. L’adolescente déglutit et posa le livre sur la table. Une telle information ne devait pas être gardée que pour soi. Elle décida qu’elle en parlerait aux autres, un peu plus tard. Archenwald était donc la ville où se cachaient les chefs des démons. Aussi, elle avait tiqué au nom de Thanatos. Elle se souvint des nombreux cours religieux en compagnie de sa tante, Sarah. Ce dieu renégat était l’un des alliés de Perséphone, d’après ce qui était écrit dans leur bible.

Un frisson lui parcourut la nuque. Elle se sentait comme si un détail très important lui échappait. Depuis quand ce journal existait-il, en fait ? Il n’était pas assez vieux pour tomber en poussières, mais à le tenir entre ses mains, elle vit que le papier était jauni et qu’il avait dû passer une bonne cinquantaine d’années sur ces étagères. La guerre avait-elle eu lieu cinquante ans plus tôt, dans ce cas ? Si c’était le cas, pourquoi Nox ne l’avait-il pas mentionné ? Peut-être qu’il ignorait lui aussi cette information.

Si ça se trouve, Thanatos et Perséphone ne sont probablement pas en si bons termes que ça, pensa la petite blonde. Je me demande si ces terres n’ont pas été détruites par eux… Qu’est-ce que Papa Flint dirait dans un moment pareil ? Ah ouais, que ces cons mériteraient une bonne correction. Mais bon, je ne suis pas une créature divine et encore moins une brigadière expérimentée. Il faudrait être masochiste pour s’en prendre à un dieu… Par contre, je ne pense pas que ça ferait peur à l’Oncle Shayne… D’après les dires de Papa Gabriel, notre cher ami vampire aurait déjà mordu Perséphone au cou. Mmm… ? C’est quoi ça ?

Alors qu’elle relisait certains passages du journal intime, elle remarqua qu’une partie de la couverture du bouquin avait été déchiré. Elle fouilla à l’intérieur et y trouva une carte de la région, pliée à plusieurs reprises.

— Ah tiens ! se dit-elle. Voilà qui pourrait bien nous servir. Mais pourquoi donc gardait-elle une carte dans sa couverture de livre ?

Quand elle réalisa qu’elle se parlait toute seule, elle se tut. Elle espérait que personne ne l’avait entendu, car elle se sentait ridicule.

Wyatt marchait le long de la plage alors qu’il fouillait pour des algues séchées et des déchets qu’il aurait pu recycler. Il avait passé une bonne partie de l’après-midi à récolter tout ce qu’il trouvait intéressant. La loutre ne l’avait pas quitté, mais elle n’approuvait pas vraiment la décision du groupe de rester au manoir.

— Pourquoi refuses-tu de m’écouter ? dit Bella. Nous avons besoin des autres esprits élémentaires pour que mon plan fonctionne.

— Rien ne nous dit qu’il fonctionnera, répliqua le mage. Et puis, les autres membres de notre bande fonctionnent tous par démocratie. Si tu veux imposer tes règles, c’est dommage mais tu risques d’en baver.

— Mmpf… grogna celle-ci.

Elle était debout sur un rocher et se croisait les pattes avant. De tous les humains qu’elle avait croisés dernièrement, il était celui qui se montrait le moins coopératif. Bella refusait de croire qu’on ne voulait pas de ses conseils. Et pourtant, ils ne l’avaient pas écouté. Elle se sentait prise au piège, maintenant qu’elle avait formé un pacte avec le mage ; elle regrettait son choix.

Elle sauta en bas de son rocher et se transforma en bracelets, autour des poignets de son porteur. Sous cette forme, elle amplifiait ses pouvoirs et lui permettait de régénérer son mana. Elle n’avait plus envie de lui parler, tellement il la frustrait. Hélas, il pouvait le ressentir. Wyatt ne s’était pas attendu à travailler avec une créature si égocentrique. Quand elle ne disait rien, elle avait l’air d’une peluche toute mignonne. Mais dès qu’elle ouvrait la gueule, c’était une toute autre histoire.

— Sinon, faudrait que tu m’expliques pourquoi tu es si chiante envers tout le monde, dit Wyatt. Scottie m’a dit tantôt que tu as refusé de lui adresser la parole, alors qu’il te posait des questions.

— Je ne vois pas où tu veux en venir, grogna-t-elle. C’est les autres qui ne comprennent pas mon génie ! Je suis très intelligente, après tout. Les démons me pourchassent pour toutes mes connaissances !

— Je crois surtout que tu souffres de mégalomanie et que pour cette raison, ta fratrie te rejette. Ça saute aux yeux que tu as un problème à fabuler…

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