— Comment se fait-il que tu le surnommes Nonox, dans ce cas ?

— C’est seulement pour l’embêter. Dia le fait tout le temps et il déteste ça.

— Tu ne l’aimes vraiment pas, hein ?

— Ouep…

— J’abandonne.

La loutre était retournée à sa forme de bracelets et discutait avec le mage pour passer le temps. Elle s’ennuyait et songeait à faire une sieste si les choses ne devenaient pas plus excitantes, d’ici quelques minutes.

— Savez-vous ce qui me manque le plus ? demanda Kylie au reste du groupe. Le vent.

— Ah c’est vrai, dit Scottie. Maintenant que tu le mentionnes, il est vrai que l’air est assommant à Sylgea. Il n’a pas plu, ni neigé depuis notre arrivée.

— Il pleut au moins une fois, à tous les deux ou trois mois, dit Bella. Ce n’est jamais assez pour remplir les puits, mais on fait avec.

— Les rations doivent être très limitées, dans ce cas… dit Wyatt.

— Mouais… répondit l’esprit des eaux. Par moments, il m’était arrivée d’arroser quelques plantes auxquelles je me suis attachée, mais je ne suis jamais restée au même endroit très longtemps. Je n’avais pas envie qu’on m’attrape, voyez-vous ?

Estelle tourna son regard vers les bracelets. Ce que leur amie venait de leur expliquer lui rappelait à quel point ils ne devaient pas s’éterniser sur ces plaines. La vie était difficile pour les survivants de Sylgea. Elle se demandait comment ils avaient fait pour ne pas perdre la tête après toutes ces années.

Parfois, l’adolescente ressentait la présence de spectres, tout comme ses amis. Les fantômes ne pouvaient interagir avec eux, mais ils pouvaient tous les voir. Nox leur avait raconté l’autre jour que les monstres absorbaient ces derniers pour augmenter leur puissance. Elle avait pitié d’eux.

— Quand on y pense, Sylgea a bien mérité son statut d’enfer, ajouta Bella. C’est invivable. Faudrait être masochiste pour aimer un tel monde !

— Eh, pas vraiment, répliqua Kylie. J’ai connu pire.

Tous se tournèrent vers la guerrière qui n’avait pas fait attention à ses paroles.

— Hein ? Qu’est-ce que j’ai encore dit ? reprit la guerrière.

— Tu sais quoi ? Plus rien ne m’étonne chez toi, soupira Estelle.

Lorsque la punk réalisa qu’elle venait d’avouer à tout le monde qu’elle avait avoué l’une de ses préférences sexuelles, elle déglutit et lâcha un juron avant de se cogner la tête contre le côté non-tranchant de son arme.

— Idiote ! Idiote ! Idiote ! s’exclama-t-elle.

— Ce n’est pas la fin du monde, tu sais ? déclara Scottie.

— Oh arrête, toi au moins tu ne dis pas ouvertement ce que tu préfères ! ARGH ! Je suis bonne pour l’enfer quand viendra ma mort !

— Dans ce cas, on a intérêt à rénover le manoir de Drokaï, puisque tu vas y passer une éternité. Je pensais à une chambre avec plein d’affiches pornos et…

Kylie toisa son frère depuis sa position et lui montra son poing. Celui-ci pouffa de rire. Estelle roula les yeux. Cette routine des jumeaux n’était pas sur le point de disparaître, car ils agissaient toujours de cette manière. Leurs disputes physiques comme verbales avaient un peu fait peur à l’adolescente, en premiers lieux, mais elle avait fini par s’y habituer.

— Au moins, ils rajoutent de la vie dans ce groupe, dit Bella. Tu devrais prendre exemple sur eux, Wyatt. T’es tellement accablant…

Le mage choisit de l’ignorer. Elle se sentit provoquée.

— Ça vous dit de prendre une courte pause ? suggéra le maître des eaux. Je ne sens plus mes pieds.

— Bonne idée, dit Scottie. Nous sommes près d’un ruisseau. J’aimerais vérifier son état.

L’estomac d’Estelle grogna à cause de la faim. Contrairement à ses camarades, elle n’avait rien mangé de soutenant durant les dernières heures. Elle se croisa les doigts pour que son ami puisse leur trouver du poisson. Ils n’auraient qu’à le cuire avec la magie de Kylie.

— Je mangerais n’importe quoi… mentionna Estelle. Même une écrevisse…

Et tout le monde dans son groupe savait à quel point elle n’aimait pas manger de homard, ni toutes les créatures à coquilles qui lui ressemblaient. Le seul fruit de mer qu’elle acceptait de manger était la crevette, mais seulement accompagnée d’une trempette préparée par Gabriel.

— Moi, du saumon, dit Wyatt. Mmm…

— Ah ouais ! Papa en avait préparé avec ta sauce de cornichons… C’était délicieux, en fait. Et c’est rare que j’apprécie les trucs au vinaigre.

— Ça, c’est parce que tu es difficile, blagua le mage.

— Même pas vrai… bouda sa protégée. Enfin… ça dépend…

La loutre reprit sa forme animale, aux pieds de son porteur. Elle leva la tête vers le mage et son apprentie et leur dit :

— En tout cas, ce ruisseau a piqué ma curiosité. Je veux voir ce qu’on peut y trouver.

— Dans ce cas, je te suis, déclara le jeune homme. Allons aider les jumeaux. Je commence moi aussi à avoir faim.

Estelle hocha la tête et ils suivirent Bella jusqu’au bord de la rivière. Pendant qu’ils éclairaient l’eau avec une lumière magique, Wyatt remarqua que l’étendu d’eau était clair, à part quelques petites crasses qui flottaient à la surface.

— Mmm, cette rivière me semble moins polluée que celle qu’on a trouvée près de Drokaï. C’est sympa, vous ne trouvez pas ? dit-il au reste du groupe.

— Ouais ! lança Kylie. On aurait dû camper dans cette région plutôt que de rester enfermé au manoir. J’ai déjà repéré une truite !

— Cesse de jacasser et embroche-la, ordonna son frère.

La guerrière secoua la tête et leur fit signe de s’éloigner un peu de l’eau.

— J’ai une meilleure technique, dit-elle avant de faire apparaître de l’électricité du bout des doigts. Vous voyez où je veux en venir, bien sûr ?

— Attends une petite min… commença son frère.

Mais il n’eut pas le temps de terminer sa phrase. Elle venait de lancer un sortilège de foudre dans la rivière. Une bonne dizaine de poissons remontèrent à la surface.

— … nute, continua Scottie. Merde, Kylie ! Ça va nous prendre une éternité pour stabiliser l’état de cette eau. Tu veux nous électrocuter ou quoi ?

— Sur le coup, je n’y ai pas réfléchi… répondit sa sœur. Pardon.

— Ça ne fait rien, déclara Bella. Je peux vous sortir ces poissons de l’eau facilement. Laissez faire l’experte ! Et une… et deux… et trois…

La petite loutre se mit à danser devant l’eau électrifiée. Un moment plus tard, tous les poissons foudroyés furent projetés dans leur direction grâce aux petits mouvements rapides que venaient d’exécuter l’esprit élémentaire. Cela dit, ils mangèrent tous à leur faim, cet après-midi-là. Lorsqu’ils eurent le ventre plein, ils reprirent la route.